Huffingtonpost : « Castaner fête son premier anniversaire place Beauvau, les critiques pleuvent »

Le gouvernement préfère lui chanter « joyeux anniversaire » quand l’opposition pointe son « incompétence », les « fake news », le « manque d’ordre » et un ministre « démonétisé ».

AFP
Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur d’Edouard Philippe, depuis un an place Beauvau.

POLITIQUE – Il chante beaucoup trop fort pour un matin d’automne. “Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaireuhhh!”. Dans le grand bureau de l’un de ses conseillers à Matignon, Édouard Philippe est jovial ce jeudi 17 octobre au matin. Il a joué au foot la veille, souffre d’un mal de dos en conséquence et assure aller, toujours une blague au coin de la bouche, “comme un jeudi matin”.

Comme à tous nos interlocuteurs, Le HuffPost a demandé au Premier ministre comment il voyait le bilan de Christophe Castaner, son ministre de l’Intérieur, qui a passé la veille le cap de sa première année place Beauvau. Il fêtera l’événement sur France 2 dans la soirée en participant à l’émission “Vous avez la parole”.

C’est donc après avoir esquissé un léger pas de danse, oubliant un instant les problèmes du pays, que le Premier ministre réitère son soutien indéfectible à l’un des hommes les plus décriés de son gouvernement: “Si je considérais que ce n’était pas un bon ministre de l’Intérieur, il ne serait pas dans mon gouvernement”, répond-il, plus sérieusement, avant de s’envoler pour Lons-le-Saunier, dans le Jura, pour un débat sur la réforme des retraites.

“On lui souhaite de partir”

Christophe Castaner a subi une année particulièrement complexe, marquée par la crise des gilets jaunes, des attentats terroristes et des violences entre les forces de l’ordre et les différents manifestants, dont l’une d’elles a conduit à la mort de Steve Maia Caniço à Nantes en juin dernier.

Contesté sur sa droite pour son manque d’“autorité”, c’est également par sa gauche que l’ancien maire socialiste de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) est attaqué. “Ce qu’on lui souhaite pour son anniversaire? C’est de partir”, tranche d’emblée le député de La France Insoumise, Ugo Bernalicis, reprenant à son compte, pour d’autres raisons, la demande de démission formulée par la droite après l’attaque de la préfecture de police. “Pas sur la préfecture de police, mais pour l’ensemble de son oeuvre”, précise l’élu du Nord.

L’Insoumis connaît bien le ministère de l’Intérieur pour y avoir travaillé en tant que fonctionnaire. Il pointe notamment la “responsabilité” du ministre dans la politique du maintien de l’ordre. “La répression, c’est son oeuvre”, dénonce Ugo Bernalicis prenant pour exemples récents “la répression de la marche pour le climat ou la manifestation des pompiers”. “Il n’est pas là pour ses compétences. Il est là pour être loyal au président”, observe le jeune élu.

“Il n’y a pas de patron place Beauvau”

Christophe Castaner est le fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron. Dès le mois d’avril 2016, il quitte le PS pour rejoindre l’aventure En Marche et devient l’un des piliers de la campagne. C’est lui qui chauffe les meetings du candidat Macron avant son arrivée sur scène. “Qui ne saute pas n’est pas Macron”, fait-il même chanter aux marcheurs marseillais en avril 2017, avec son léger accent du sud facilement identifiable et sa bonhomie connue dans la région.

Mais en période de risques terroristes et de crises sociales d’ampleur, le disque ne fonctionne plus. “Je lui souhaite de prendre enfin conscience de la gravité de sa fonction”, lance, de l’autre côté de l’hémicycle, Constance Le Grip. La députée LR avait interpellé le ministre de l’Intérieur le 30 avril dernier, lors d’une séance de questions au gouvernement, à la veille de la manifestation du 1er mai à haut risque qui se profilait à Paris et qui avait valeur de “test” pour la nouvelle doctrine du maintien de l’ordre mise en place par Christophe Castaner après la crise des gilets jaunes.

“Mes doutes d’alors sont devenus des certitudes”, confie la députée des Hauts-de-Seine au HuffPost qui estime que le ministre de l’Intérieur “n’a toujours pas réussi à faire la preuve de sa crédibilité ou de sa compétence”. “Il n’arrive pas à faire le job ni à incarner l’autorité nécessaire à ce poste crucial. Il n’y a pas de patron place Beauvau”, lâche la députée de droite.

La vidéo et les photos qui ont circulé sur Internet et dans la presse people en mars 2019 le montrant embrassant une jeune femme dans une boîte de nuit parisienne n’ont pas aidé à redorer son blason de “premier flic de France”.

“Son bilan est un satisfecit”

Tous ne partagent pas ce constat. Au sein de la majorité, le ministre de l’Intérieur peut compter sur le soutien d’élus spécialistes de la sécurité. “Son bilan est un satisfecit”, salue par exemple l’ancien patron du Raid, Jean-Michel Fauvergue. “Il a pris le ministère dans une situation extrêmement difficile. Aucun autre pays au monde n’a connu des manifestations aussi violentes de manières répétées”, insiste le député de Seine-et-Marne.

“Il fait de son mieux dans un contexte certes particulièrement difficile”, abonde Constance Le Grip, avant de nuancer: “mais des moments difficiles, on en a eu d’autres et cela n’a pas empêché un homme comme Bernard Cazeneuve de s’imposer comme un grand républicain qui se tient droit dans la tempête”, loue même la députée LR, en citant le ministre de l’Intérieur socialiste de François Hollande au moment des attentats de 2015.

“Rétablis l’ordre!”

Des critiques récurrentes à droite. “Rétablis l’ordre!”, lui intime même, en le tutoyant, le sénateur Roger Karoutchi.  Dans la majorité, on temporise. “Il a beaucoup de courage et c’est un job difficile”, défend Sébastien Lecornu, son collègue du gouvernement en charge des Collectivités territoriales. Pour Jean-Michel Fauvergue, “l’ordre a été maintenu et l’autorité de l’État rétablie” pendant la crise des gilets jaunes. “Le duo Nunez-Castaner, un technicien et un politique, fonctionne pas mal” constate le spécialiste, citant le secrétaire d’État auprès de Christophe Castaner, Laurent Nunez, ancien patron de la DGSI, nommé au même moment.

 Autre critique constante depuis son arrivée place Beauvau, le ministre se “défausserait” sur son administration quand une erreur est reconnue. Souvent cité en exemple, l’ex-préfet de police de Paris, Michel Delpuech, contesté pour sa gestion de la crise des gilets jaunes et limogé en mars 2019. “Les seuls Français qui ont la tête sur le billot, ce sont les têtes d’administration et des préfectures, c’était tendanciel depuis vingt-cinq ans, c’est désormais définitif”, déplore le sénateur LR Gérard Longuet.

Jean-Michel Fauvergue voit au contraire dans cet événement “une bonne et rapide réaction” de la part du ministre de l’Intérieur et de son secrétaire d’État qui ont à ce moment-là “adapté l’outil” du maintien de l’ordre.

La “stratégie du matador” contestée

Autre sujet, autre épreuve. Depuis son arrivée, Christophe Castaner fait face au défi des conditions de travail des forces de l’ordre épuisées, régulièrement prises à partie et qui se sentent déconsidérées par leur hiérarchie.

Rassemblés lors de la “Marche de la colère” le 2 octobre à Paris, les policiers ont rappelé le “compteur de la honte”, 52 policiers qui se sont suicidés depuis le début de l’année, un record. Rachid Temal estime que le ministre n’a pas pris la mesure du problème dès son arrivée: “Sa stratégie de matador face à eux au début a fait perdre beaucoup de temps”, se souvient le sénateur socialiste. Il suggère à son ancien camarade du parti de “parler moins vite et d’entendre les forces de police”.

“Au sein de la police, il a l’image d’un ministre qui est à l’écoute et qui défend les flics”, nuance l’ancien patron du Raid. “Il y a une différence entre la perception de Castaner par les policiers telle que rapportée par les médias et l’image dont il bénéficie réellement en interne”, assure Jean-Michel Fauvergue qui met également en avant la hausse du budget.

“Il a réaffirmé l’augmentation du budget”

“Il a réaffirmé l’augmentation du budget. Ce n’est pas rien”, insiste le député de Seine-et-Marne, peu avare en compliments. 552 millions d’euros supplémentaires ont été consacrés aux personnels des forces de sécurité depuis 2018 et le budget 2020 doit connaître une augmentation de 4%. Insuffisant, répondent les détracteurs du ministre, comme la socialiste Colombe Brossel. L’adjointe à la Sécurité d’Anne Hidalgo en est à son “cinquième interlocuteur au ministère de l’Intérieur” à qui elle réclame des forces de l’ordre en plus.

Diplomate, l’adjointe au maire épargne le ministre pour mieux éreinter sa politique. “Ce n’est pas une question d’homme, c’est une question de priorité budgétaire”, relève-t-elle avant de déplorer que “ces renforts ne viennent pas alors que nous avions eu des effectifs de police supplémentaires sous le quinquennat Hollande”.

Rares sont ceux qui ont un mot aimable pour le ministre de l’Intérieur. “C’est un ministre qui devrait s’éduquer à ne pas dégainer trop vite. Il dit pas mal de fake news”, remarque Esther Benbassa. “Il l’a fait pour l’hôpital de la Salpêtrière avec les gilets jaunes. Il a dit qu’il y avait eu une attaque des gilets jaunes alors qu’ils s’étaient simplement abrités (le ministre a reconnu son erreur le 3 mai 2019). Il l’a fait avec Steve Maia Caniço, (jeune homme mort à Nantes pendant la fête de la musique, NDLR) en disant que sa noyade n’avait aucun lien avec l’intervention policière, ce qui était faux. Et là, il l’a fait de nouveau pour l’acte terroriste en disant que ce n’était pas un acte terroriste”, énumère la sénatrice EELV de Paris.

 “Il est démonétisé”

Sa gestion de l’attaque de la préfecture de police de Paris a été vivement critiquée au point que l’Assemblée nationale a ouvert une commission d’enquête et que le ministre a été convoqué dès la semaine suivante devant les commissions des Lois des deux chambres.

Laissant apparaître une attitude détendue, souvent le sourire aux lèvres, le ministre de 53 ans a même fait quelques gaffes devant les élus, voulant parfois dévoiler des éléments du dossier classifiés ou se prononçant sur la clé USB de l’assaillant sans avoir assez d’éléments.

″À l’Assemblée, Castaner n’est même plus écouté, il est démonétisé. Et plus Édouard Philippe lui réaffirme sa confiance, comme il le fait tous les trois mois, plus cela le fragilise”, déplore Constance Le Grip, des Républicains. “Il a mis du temps à rentrer dans le costume, d’ailleurs est-il vraiment rentré dedans?”, fait mine de s’inquiéter le socialiste Rachid Temal.

Bon anniversaire Castaner? La question n’aura pas fait seulement sourire Édouard Philippe. L’ancien ministre Gérard Longuet explose de rire quand on lui pose la question et trouve immédiatement une boutade pour accompagner son hilarité: “Est-ce que Christophe Castaner a encore du souffle pour souffler une bougie?” s’interroge le sénateur LR. Avant d’ajouter: “D’un autre côté, il ne manque pas d’air…”