Après les députés et la délégation parlementaire aux renseignements, la commission des lois du Sénat a entendu le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et son secrétaire d’Etat, Laurent Nunez, sur les causes de l’attaque à la préfecture de police, jeudi dernier.
La commission du Sénat, présidée par le sénateur (LR) de Manche Philippe Bas, a auditionné, ce jeudi, à 9 heures, Christophe Castaner et Laurent Nunez. Les sénateurs s’intéressent aux « conditions ayant permis le déroulement » de cette attaque, aux « éléments relatifs à la radicalisation de (son) auteur » et aux « signes qui auraient pu faire apparaître cette radicalisation dans le cadre professionnel », selon un communiqué diffusé en début de semaine.
La commission a interrogé également les ministres sur « les conséquences qui en ont été tirées » et « sur les mesures administratives prises ou envisagées à l’égard des individus qui ont contribué à cette radicalisation ».
Enfin, ont été abordés « la nature, l’objet et le calendrier des missions d’inspection décidées par les pouvoirs publics, et plus généralement les dispositions prises par le gouvernement, à la lumière notamment des travaux de contrôle parlementaire déjà réalisés, relatifs à la détection des agents radicalisés dans les administrations et aux mesures de protection des services publics contre les risques que représentent ces agents ».
9h10. « Cette attaque est en soi une défaillance grave »
Après une déclaration préliminaire de Philippe Bas, où il a rappelé le cadre de cette audition et adressé ses mots d’empathie aux familles des victimes, Christophe Castaner a d’abord expliqué « qu’il ne s’agissait pas de rechercher des responsables et encore moins des coupables ». Le ministre de l’Intérieur a beaucoup insisté sur la nécessité de revoir régulièrement les dispositifs de sécurité. « Il n’y a pas de dispositif efficace en 2013 qui pourrait ne pas être revu 2015, 2017, 2019 ».
« Cette attaque est en soi une défaillance grave » a-t-il reconnu avant d’assurer qu’il répondrait dans la mesure du possible aux questions des sénateurs. « Nous le devons à la commission des lois du Sénat. Nous le devons aux familles des fonctionnaires qui ont été emportés. Nous le devons à la préfecture de police. Nous le devons aux Français qui s’interrogent sur la sécurité ».
Le ministre de l’Intérieur a également indiqué que depuis le début de son mandat, « il n’y a pas un jour où n’avons pas une information de nos services de sécurité sur la prévention du risque de sécurité ».
9h16. Laurent Nunez détaille comment les faits se sont déroulés à la préfecture de police de Paris
Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur a d’abord exprimé sa solidarité et sa peine et a rappelé qu’il avait été lui-même numéro 2 à la préfecture de police de Paris entre octobre 2012 et mars 2015.
Il a décrit les faits « d’une durée totale de 7 minutes » qui se sont produits ce jour-là : « C’était une attaque d’une extrême violence ».
Le jour de l’attaque, l’assaillant a acheté deux couteaux « un couteau long et un couteau à huîtres ». Il est revenu dans les locaux de la préfecture à 12h36, « puis à 12h53 est passé à l’acte ». Il a tué deux de ses collègues dans son bureau puis il a poignardé dans un autre bureau, une troisième personne. Il a tenté d’entrer dans un troisième bureau mais cette fois celui-ci était fermé à clef, avec trois agents à l’intérieur. Ensuite l’assaillant a tué une quatrième personne dans les escaliers et blessé gravement une cinquième dans la cour.
Il a fini par être abattu par un jeune gardien de la paix.
9h23. « Nous travaillons à la révision globale du système d’habilitation au secret-défense » qui pourrait changer dans « la durée »
Question du sénateur LR François-Noël Buffet sur l’habilitation au secret-défense. Réformée en 2011, les durées ont été alors rallongées : 10 ans pour le confidentiel-défense, 7 ans pour le secret-défense et 5 ans pour le très secret-défense. Faut-il réduire ces durées et prévoir des enquêtes aléatoires ?
« Nous travaillons à la révision globale du système d’habilitation et du référentiel qui pourrait être différent dans la triple habilitation et la durée » répond Christophe Castaner. Des « enquêtes aléatoires, pourquoi pas. C’est un vrai sujet » qui peut « permettre de mettre une pression collective sur l’ensemble du dispositif », souligne-t-il, parlant aussi de « rendez-vous réguliers ». Et « il peut y avoir, à tout moment, en fonction d’indicateurs », le déclenchement de « nouvelle vérification ».
Pour le cas de Mickaël Harpon, l’auteur des faits, en 2013, lors du renouvellement de son habilitation, « aucun signe » n’a été détecté. Puis quand des signes « apparaissent, en 2015 », ces « signes de radicalisation n’ont pas été interprétés au bon niveau et n’ont pas fait l’objet de signalement nécessaire » rappelle le locataire de la Place Beauvau.
Le ministre de l’Intérieur appelle « les forces de police à être elles-mêmes acteurs du signalement » et à repérer les signes qui peuvent être liés à une radicalisation. « Dans ces signes, il y a le port de la barbe, le refus de serrer la main à une collègue féminine, le fait de présenter une hyperkératose au milieu du front, c’est la Tabaâ, le prosélytisme religieux intempestif, la consultation frénétique de site religieux depuis le poste de travail, la fréquentation de personnes radicalisées, le port d’un voile intégral sur la voie publique pour un fonctionnaire féminin. Ce sont des éléments qui, par analyse, peuvent caractériser la radicalisation » a répété Christophe Castaner, qui regrette que certains aient « glosé, fait de l’humour » sur ces signes, « je trouve ça méprisable ».
Evoquant le hashtag sur les réseaux sociaux #signaleunmusulman, il a souligné que « personne ne fait ici de lien entre la religion musulmane et le terrorisme. (…) Mais cela peut arriver et le nier serait mentir aux Français ».
9h30. « Rien n’indique qu’il y ait une organisation collective autour de l’assaillant »
Interrogé par le sénateur Jean-Pierre Sueur sur la clé USB retrouvée au bureau de Mickaël Harpon, qui contenait des milliers de données sur les personnels de police, le ministre de l’Intérieur appelle à la prudence. « Pour l’instant, il n’y a pas d’inquiétude outre mesure, surtout que rien n’est établi à l’heure où je vous parle, sur le fait qu’il y ait une organisation collective autour de l’assaillant » déclare-t-il.
« Sur le contenu de la clé USB, d’abord nous sommes dans le cadre du secret de l’enquête, et ensuite je rappelle la responsabilité de ceux qui propagent de fausses rumeurs ».
Christophe Castaner a confirmé qu’il n’était pour l’instant pas en mesure de dire si le terroriste a divulgué les informations contenues sur cette clé USB, mais a rappelé la vigilance des services de police sur la protection de cibles éventuelles.
Laurent Nunez a en outre précisé une action d’ampleur sur le recrutement des agents de police et de gendarmerie, en renforçant les contrôles à l’embauche déjà réalisés par le SNEAS (Service national des enquêtes administratives de sécurité). « Nous travaillons à la mise en œuvre de mesures, dont l’extension des criblages […], de rétrocriblages : une possibilité une fois recruté, lorsqu’il y a un doute, de reprocéder à un criblage. La SNEAS a accès à l’ensemble des fichiers qui nous permettent de détecter des anomalies ». Pour ce service de détection de comportements radicaux, Laurent Nunez a annoncé également une hausse des personnels, qui passerait d’une trentaine d’agents à 67.
Autre mesure de prévention dans les services des forces de l’ordre, l’inspection des services de renseignement va être chargée de vérifier « service par service » comment remontent les signalements faits sur des comportements suspicieux. « Il faut absolument former le personnel à la nécessité d’un signalement, qu’il soit oral ou écrit » a précisé Laurent Nunez.
9h43. « Nous travaillons déjà à la détection de cas de radicalisation »
Sur la question du retro-criblage, prévu par la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, le président Philippe Bas s’est interrogé sur la mise en œuvre tardive de ce dispositif censé être entré en vigueur en 2017.
« C’est un dispositif qui permet de re-cribler des agents qui sont dans des services régaliens de manière à détecter une anomalie parce qu’on aura observé un comportement de cette personne qui laisse planer un doute entre ce comportement et l’exercice de sa mission » a d’abord rappelé Laurent Nunez.
Les mesures « qui permettent d’écarter l’agent en dehors du contexte disciplinaire que nous utilisons actuellement » nécessite la mise ne place d’une commission qui émet un avis. Or, cette commission n’a pas encore été mise en place mais est « imminente » a indiqué Laurent Nunez. Le secrétaire d’État souligne néanmoins que la « détection de cas de radicalisation » existe déjà.
« Actuellement sont suivis une vingtaine de cas dans la police nationale, une dizaine dans la gendarmerie (…) Nous écartons déjà ces personnes de leurs activités. Simplement nous utilisons les mesures que nous permet le droit disciplinaire ».
10h00. La fiche de poste de Mickaël Harpon est classée secret-défense
Le sénateur socialiste, Jérôme Durain a demandé aux ministres, s’il était possible de se faire communiquer la fiche de poste de Mickaël Harpon. Dans un premier, temps, Christophe Castaner a répondu positivement. « Je crois qu’on va pouvoir. On va vérifier » commence-t-il avant d’être coupé par Laurent Nunez. « Elle est forcément classifiée (…) Tout ce qui touche à l’organisation des services de renseignements est forcément classifié, on ne pourra pas vous la communiquer ». Christophe Castaner propose finalement de la communiquer à la délégation parlementaire aux renseignements.
10h05. Christophe Castaner a tenu à rassurer sur le fait qu’il ne s’agissait pas de mettre en place un criblage « pour l’ensemble de la fonction publique française »
Laurent Nunez a expliqué travailler à une possible « extension du criblage » de certaines catégories professionnelles : par exemple « les personnes qui sont en contact de la petite enfance, les personnes qui sont en contact avec des personnes vulnérables ».
La sénatrice écologiste de Paris Esther Benbassa s’est étonnée que le remarriage en 2014 de l’auteur de l’attaque n’a pas fait l’objet « d’un nouveau contrôle ».
Le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur lui a répondu qu’effectivement, le mariage « est un évènement nouveau qui justifie que l’on regarde à nouveau le dossier d’habilitation ». Mais qu’un mariage ne justifie pas forcément que l’on fasse une enquête d’habilitation qui soit poussé ».
Christophe Castaner a tenu à rassurer sur le fait qu’il ne s’agissait pas de mettre en place un criblage « pour l’ensemble de la fonction publique française » « à moins d’une décision politique ».
En réponse à la question du sénateur (les indépendants) Alain Marc, le ministre de l’Intérieur a insisté sur le fait que « c’est la responsabilité d’un policier ou d’un gendarme d’assumer la dénonciation de phénomènes de radicalisation qu’il constaterait » « Pour moi, ce n’est pas négociable. Cela fait partie de leur mission ».
Pour montrer l’action de l’exécutif sur le terrain, Christophe Castaner a communiqué plusieurs chiffres : « Dans le cadre des plans de lutte contre la radicalisation dans les quartiers, depuis février 2018, 129 débits de boisson ont été fermés, 12 lieux de culte ont été fermés (…), 9 établissements culturels et associatifs ont été fermés, 4 écoles ont été fermées ».
Le ministre a souligné qu’il fallait également lutter contre « l’évitement scolaire » : « ça c’est une alerte sur un phénomène de radicalisation ».
10h25. Le jour de l’attaque, « j’ai tenu des propos de vérité » dit Castaner
Mis en cause par certains sur sa communication le jour de l’attaque, où Christophe Castaner avait affirmé que l’auteur des faits n’avait « jamais présenté de difficulté comportementale », ni « le moindre signe d’alerte », le ministre de l’Intérieur a voulu que « les choses soient très claires » et a rappelé le contexte de ses affirmations.
« On a beaucoup évoqué les propos que j’ai tenus ce jour-là. J’ai tenu des propos de vérité. La vérité des collègues de bureau avec qui j’ai discuté l’après-midi. La vérité du dossier administratif de cet agent. La vérité de nos fichiers divers et variés. La vérité de la DGSI que nous avons consultée sur ce cas-là. Cet individu n’était, au moment où j’ai parlé, connu pour aucun signe de radicalisation » précise bien Christophe Castaner.
Il ajoute : « Je trouve franchement que ce petit procès, non pas à moi, mais aux gens qui n’auraient pas désigné… Pour prendre une décision administrative pour muter un agent, (…) il faut des éléments. Ils ne sont pas remontés. C’est pour ça que j’ai parlé de faille, mais pas de faute. Car c’est à la justice de dire s’il y a eu faute ou pas ».
Quant à savoir si d’autres fonctionnaires de police pourraient avoir un profil similaire à celui de Mickaël Harpon, Christophe Castaner affirme que « personne ne peut vous dire, droit dans les yeux, « non il n’y a personne qui correspond à ce profil-là » ».
« Au moment où je vous parle, il y a une quarantaine de cas signalés dans la police nationale » explique le ministre de l’Intérieur, et « 6 révocations ont été engagées ». « Il en reste 19 qui ont fait l’objet d’un signalement mais dont les autorités ont considéré qu’il n’était pas caractéristique d’une radicalisation. Ce n’est pas parce que quelqu’un marque un signe de conversion religieuse, qu’il est forcément radicalisé et qu’il doit forcément être écarté. Mais s’il est sur un poste sensible, il ne faut pas hésiter, en dialogue avec l’agent » soutient le ministre, qui ajoute que « sur les 19 identifiés, nous avons pratiqué des mutations et même des mutations hors périmètre de la police ».
Imam de Gonesse : « J’avais demandé qu’il soit signalé » révèle la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio
La fin de l’audition de Christophe Castaner et de Laurent Nunez a apporté des éclaircissements sur le titre de séjour de l’imam de Gonesse que fréquentait Mickael Harpon. La sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio présidait la commission des titres de séjour devant laquelle il est passé.
« Sur l’imam, c’est compliqué parce qu’il y a d’un côté la focalisation sur cette personne dont je ne sais pas s’il y a un quelconque rapport avec l’enquête dont on parle ». La fin de l’audition de Christophe Castaner et de Laurent Nunez a porté sur la personnalité de Hassan El-Houari, l’un des imams de la mosquée Fauconnière à Garges-lès-Gonesse dans le Val-d’Oise que fréquentait assidûment Mickael Harpon.
Le ministre de l’Intérieur a tout d’abord indiqué que cette personne, de nationalité marocaine, était arrivée en France en 2011 avec un visa de long séjour valable jusqu’au 22 septembre 2012. Après s’être marié, son titre a été renouvelé jusqu’au 22 octobre 2013. « Il y a eu une rupture de la vie commune et à un moment, il y a eu une OQTF (obligation de quitter le territoire français) parce qu’il n’assumait plus ses responsabilités vis-à-vis d’un enfant (…) Mais il a repris ses responsabilités et l’OQTF a été suspendue en 2015 » a expliqué le ministre.
Un nouveau titre de séjour lui a été accordé jusqu’en décembre 2017 puis en 2018 après s’être remarié avec la naissance d’un nouvel enfant. C’est à ce moment-là qu’est intervenue la commission des titres de séjour du Val-d’Oise, présidée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, présente ce jeudi à l’audition du ministre. L’imam a subi un long entretien lors de la séance du 14 juin 2019 par cette commission avant de se voir attribuer un titre de séjour d’un an.
D’elle-même la sénatrice a précisé son rôle. « Je n’allais pas l’indiquer Madame la sénatrice mais puisque vous le faites… » lui a répondu Christophe Castaner.
« J’ai lu le compte rendu. Je peux vous dire que les questions étaient plus difficiles que les questions que nous avons eues ce matin Laurent Nunez et moi » a tenu a souligner Christophe Castaner.
Par la suite, Jacqueline Eustache-Brinio est revenue sur son rôle dans l’attribution de ce titre de séjour. « Je me rappelle très très bien de l’échange que j’ai eu avec cet imam (…) nous n’avions pas d’autres solutions que de lui délivrer un titre puisqu’il était père d’enfant français donc il l’avait de droit. Il n’était même pas obligé de passer devant la commission des titres de séjour. Il est passé devant la commission des titres de séjour parce que je pense que le secrétaire général de préfecture s’interrogeait sur la personnalité de cet imam ».
La sénatrice se rappelle « avoir été extrêmement interpellée par ses propos ». « Mes questions avec ce type de personnage vont très loin «. « Et à la fin de cette commission, j’avais demandé à ce qu’il soit signalé » (…) Mais qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre ? C’est toute la limite de notre système ».
Christophe Castaner a conclu par une dernière appréciation. « C’est quelqu’un qui vient avec son avocat et qui sait très bien utiliser les règles de droit pour les contourner ».