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Pour la députée européenne Aurore Lalucq, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada, que la France s’apprête à ratifier, favorise les intérêts privés sur les intérêts publics. Au détriment des politiques écologiques.
Tribune. Après avoir fait campagne sur le thème d’une «Europe qui protège» et qui lutte contre le changement climatique, le gouvernement français s’apprêterait en urgence à ratifier le Ceta – le Comprehensive Economic and Trade Agreement –, un accord commercial dit de «nouvelle génération» entre l’Union européenne et le Canada, espérant que la torpeur de l’été ait raison de la mobilisation citoyenne.
Or, l’incompatibilité du Ceta avec les engagements de l’accord de Paris sur le climat a été démontrée par la Commission d’experts mandatés par le gouvernement français. Leur rapport annonçait la hausse des émissions de gaz à effet de serre en raison notamment de la multiplication des flux internationaux, de la promotion d’un modèle agricole moins-disant sur le plan environnemental et de l’augmentation des investissements dans des industries polluantes telles que le pétrole issu des sables bitumineux. Il mettait aussi en garde contre le risque de voir les politiques publiques nécessaires pour mettre en œuvre l’accord de Paris contestées par les investisseurs canadiens.
Vers un abîme climatique
Malgré ces alertes, la majeure partie du texte est entrée en application provisoire le 21 septembre 2017, à l’exception du mécanisme d’arbitrage prévu en l’espèce entre investisseurs et Etats. Ce mécanisme favorise les intérêts privés sur les intérêts publics, notamment environnementaux. La ratification nationale du Ceta irait donc encore plus loin dans l’abîme climatique puisqu’elle permettra aux multinationales basées au Canada d’attaquer l’UE ou les Etats membres quand ces derniers adopteront des règles dommageables à leurs profits.
Le Ceta a d’ailleurs déjà été utilisé par le Canada et certains industriels pour dissuader les pouvoirs publics européens d’interdire l’utilisation de produits nocifs tels que le glyphosate, ou pour tenter d’affaiblir les règles existantes en matière d’importations de produits agricoles traités avec des néonicotinoïdes, pourtant interdits dans l’UE. Pourquoi leur donner une nouvelle arme pour contester à l’avenir un choix de société ? Non sans ironie, le Canada a lui-même souffert de ce mécanisme d’arbitrage à de nombreuses reprises dans le cadre de l’accord de commerce nord-américain : il vient pour ces raisons de l’abandonner avec les Etats-Unis. Selon la ministre des Affaires étrangères canadienne, Chrystia Freeland, «cela a coûté plus de 300 millions de dollars au contribuable canadien. […] L’arbitrage d’investissement élève le droit des entreprises au-dessus de ceux des gouvernements souverains. En l’enlevant, nous avons renforcé la capacité de notre gouvernement de réguler dans le sens de l’intérêt général et de protéger la santé publique et l’environnement».
Malgré une mobilisation citoyenne massive
Entre 2014 et 2015, plus de 3,2 millions de citoyens européens répartis dans 25 Etats membres avaient demandé la fin des négociations commerciales avec les Etats-Unis et la non-signature du Ceta. Conscients des risques pour le climat, la santé, l’emploi, et l’agriculture, une majorité d’eurodéputés français de tous bords politiques s’était opposée au Ceta lors du vote à Strasbourg. 52 organisations d’agriculteurs, de consommateurs, syndicats, ONG environnementalistes et mouvements citoyens avaient ensuite demandé à Emmanuel Macron de refuser l’application provisoire de l’accord.
Aujourd’hui, près de 600 000 citoyens demandent à nouveau la fin des tribunaux d’arbitrage entre investisseurs et Etats dans le cadre d’une pétition européenne initiée en janvier 2019. Nous souhaitons relayer et soutenir cette voix en espérant que les députés et sénateurs français s’opposeront fermement à la ratification d’un accord climaticide. Ce vote sera d’autant plus déterminant pour peser sur l’agenda et l’orientation de la politique commerciale européenne qu’il s’agit du dernier accord de commerce sur lequel ils pourraient être invités à se prononcer.
La ratification du Ceta par le gouvernement Macron laisse présager du pire, d’autant que les élections fédérales qui se tiendront au Canada en octobre donnent les conservateurs, particulièrement rétrogrades sur les questions climatiques, en tête. Deux gouvernements aussi cyniques sur le plan climatique et sourds à toute opposition citoyenne ont de quoi inquiéter.
Nous n’aurons après cette ratification plus aucun moyen de revenir, au nom de la nécessaire protection du climat, sur les avantages commerciaux consentis dans le cadre du Ceta. Nous consentirons donc, encore, à l’impensable inversion des priorités : la détérioration de notre environnement et de notre santé pour accompagner la fougue libre-échangiste. Le Ceta est l’arbre qui cache la forêt : les 28 gouvernements européens doivent décider la semaine prochaine s’ils signent l’accord UE-Vietnam, qui comporte la même clause d’arbitrage et d’autres dispositifs climaticides. Ratifier le Ceta, c’est ouvrir la porte à toute la nouvelle génération d’accords commerciaux incompatibles avec la protection du climat. Comme le demandent les près de 600 000 signataires de la pétition STOP ISDS, plutôt que des mécanismes d’arbitrage qui protègent les multinationales, il faut une législation européenne sur le devoir de vigilance qui protège les droits humains de l’environnement.
Pour signer la pétition: stop-impunite.fr/Signez-maintenant
Signataires : Eric Andrieu eurodéputé PS, Clémentine Autain députée LFI, Manon Aubry eurodéputée LFI, Esther Benbassa sénatrice EE-LV, Elsa Faucillon députée PCF, Raphaël Glucksmann eurodéputé Place publique, Sylvie Guillaume eurodéputée PS, Pierre Larrouturou eurodéputé Nouvelle Donne, Jean-Paul Lecocq député GDR, Noël Mamère écologiste, Claire Nouvian cofondatrice de Place publique, Mathilde Panot députée LFI, Barbara Romagnan enseignante Génération·s, Eric Piolle maire écologiste de Grenoble, Olivier Faure premier secrétaire du PS.