Alors qu’une proposition de loi de députés défend la « légalisation régulée » du cannabis, au Sénat, la sénatrice EELV Esther Benbassa avait été la première à déposer un texte en ce sens, dès 2014. Des économistes conseillent aussi au premier ministre de légaliser face à « l’échec » de la répression.
La France va-t-elle légaliser un jour le cannabis ? On n’y est pas encore, mais les initiatives se multiplient pendant que les mentalités évoluent. Ce jeudi, un rapport des économistes du Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché à Matignon, préconise la légalisation du cannabis. Une manière de « reprendre le contrôle » alors que la répression a fait la preuve de son « échec ».
Pour ces économistes, il faut carrément créer une sorte de la Seita du cannabis, avec un « monopole public de production et de distribution du cannabis ». Cette légalisation permettra de « lutter contre le crime organisé » et de créer des « emplois ». Les économistes estiment qu’une légalisation pourrait créer entre 27.500 et 80.000 emplois. Avec à la clé des recettes fiscales de 2 à 2,8 milliards d’euros. La note recommande un prix final de neuf euros pour un gramme d’herbe, contre environ 11 euros actuellement dans la rue.
Le numéro 2 de LREM favorable à la légalisation
Un rapport qui sort au moment où 70 personnalités demandent aussi, dans une tribune publiée dans L’Obs, une légalisation du cannabis. Parmi les signataires, on trouve deux députés LREM bien en vue, Aurélien Taché et le numéro 2 du mouvement, Pierre Person. L’offensive est multiple, puisque des députés de plusieurs bords politiques déposent aujourd’hui une proposition de loi (PPL) en faveur d’une « législation régulée » du cannabis.
Le gouvernement, qui a mis en place en 2018 une amende forfaitaire de 200 euros pour usage de la résine, reste pour autant opposé à cette légalisation. Edouard Philippe a annoncé vouloir faire de la lutte contre les stupéfiants une « priorité ».
Si l’exécutif ne veut pas autoriser le cannabis à usage récréatif, c’est une autre histoire pour le cannabis à usage thérapeutique. En la matière, le gouvernement semble prêt à avancer. A partir de 2020, le cannabis thérapeutique devrait être proposé en pharmacie. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est montrée ouverte à cette expérimentation de deux ans.
« Voir les choses un peu se dégager me semble très positif »
La proposition de loi des députés pour la légalisation n’est pas une première. En réalité, c’est au Sénat qu’on trouve les premiers parlementaires à avoir déposé un texte. Onze écologistes, emmenés à l’époque par la sénatrice EELV Esther Benbassa. On trouvait parmi les signataires les membres de l’ex-groupe écolo, dont André Gattolin, devenu depuis sénateur LREM, ou Jean-Vincent Placé.
« J’ai déposé un texte en 2014 pour la légalisation contrôlée du cannabis. Il a été examiné en 2015 en séance (et rejeté, ndlr). Et en 2016, on a organisé un très grand colloque avec de grands spécialistes américains. On a été précurseur au Sénat sur le cannabis » rappelle Esther Benbassa. « Les pionniers sont toujours en retard » sourit-elle aujourd’hui, « quand on a déposé le texte, on a eu tellement de gens qui étaient contre et là, voir les choses un peu se dégager me semble très positif. C’est une cause très importante pour moi ».
La sénatrice de Paris rappelle les avantages d’une légalisation : « Rentrées fiscales très importantes », « une façon de combattre les circuits mafieux », création d’emplois notamment dans les territoires ruraux « où il y aurait une reconversion vers la culture du cannabis », ou encore « campagnes de prévention en amont pour les adolescents, car aujourd’hui, à 17 ans, un adolescent sur deux consomme du cannabis » et « accompagnement des personnes addicts, car ce n’est pas un produit anodin ». Pour la sénatrice, il ne s’agit pas, en effet, de banaliser le psychotrope, qui a déjà été consommé au moins une fois par « 17 millions de Français, alors que nous sommes le pays le plus répressif ».
« Risques majeurs de schizophrénie chez les mineurs »
Les opposants à la légalisation restent nombreux. Pour le sénateur LR du Rhône, François-Noël Buffet, « son ouverture au grand public serait un bon signe sur le plan économique mais serait assez inquiétant en termes de santé publique » (voir le sujet de Fabien Recker).
Farouche opposition aussi de François Grosdidier, sénateur LR de la Moselle, mercredi sur le plateau de Public Sénat : « Je trouve absolument extraordinaire l’argument qui est utilisé qui consiste à dire parce qu’on ne peut pas empêcher le phénomène, on va le légaliser. On n’a jamais pu empêcher complètement toutes les violations des interdits. On continue à voler, on continue à incendier, on continue à faire de la fraude fiscale, ce n’est pas pour cela qu’on va légaliser la fraude fiscale ».
« On sait que chez les mineurs, le jeune non formé du point de vue cérébral, il y a des risques majeurs de schizophrénie et de destruction des cellules nerveuses. Il n’y aucune raison de libérer le cannabis » ajoute Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales. Il souligne que « l’espérance de vie a diminué aux Etats-Unis. Et c’est essentiellement dû à l’usage du cannabis ». (Note de la rédaction: c’est dû aux overdoses liées à la prise d’opiacés)
Mais ce médecin de profession est favorable au cannabis médical qui « soigne et permet d’atténuer beaucoup de douleurs pour lesquelles on n’a pas de médicament efficace ». Regardez :
Si l’heure n’est pas encore à la légalisation, pour Esther Benbassa, il faut a minima aller jusqu’au bout sur le cannabis thérapeutique. « Beaucoup de gens attendent ce moment, il ne faut pas qu’on le rate » espère la sénatrice écologiste. Pour l’usage récréatif du pétard, le pouvoir ne le souhaite pas… pour le moment ? Beaucoup de Français, de leur côté, n’ont pas attendu et soutiennent aujourd’hui la légalisation. Comme le souligne la sénatrice EELV, « les mentalités évoluent mais pas celles des politiques qui ont toujours peur de perdre des voix s’ils légalisent le cannabis, alors que 80% des Français pensent que le système actuel n’est pas efficace. Et une personne sur deux est d’accord avec la légalisation ».