Mesures en faveur de la biodiversité : Macron peine à convaincre les écologistes

« Avec ses annonces surprises le jour de la publication d’un rapport alarmiste de l’ONU sur la vitalité de la biodiversité, Emmanuel Macron peut marquer des points sur le terrain de l’environnement. Mais des écologistes pointent le manque de décisions concrètes. Et une certaine forme de recyclage.

La réaction de l’Élysée n’aura pas traîné. Depuis le siège de l’Unesco, le 6 mai, un groupe international de scientifiques, placé sous le patronage des Nations unies, alertait la planète sur le risque important d’un effondrement de la biodiversité à moyen terme (relire notre article). Après avoir reçu ces experts, le chef de l’État a promis, devant le perron de l’Élysée, une série d’actions en faveur de la sauvegarde de la faune et la flore. Dans la foulée du gouvernement, qui s’était déjà engagé à prendre des initiatives, à l’occasion du G7 des ministres de l’Environnement à Metz.

« Je veux que nous nous engagions très clairement autour des options qui sont présentées par ce rapport [de l’ONU, NDLR] pour pouvoir proposer de manière claire des actions dans plusieurs domaines », a expliqué Emmanuel Macron. Face au consensus scientifique faisant état d’un million d’espèces menacées d’extinction, le président de la République affirme que « nous ne pouvons gagner la bataille qu’en œuvrant sur tous les leviers. »

Dans une note de l’OPECST (office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) de janvier 2019, le sénateur Les indépendants, Jérôme Bignon, juge que « l’effondrement peut être limité », tout comme les conclusions onusiennes.

Variés, les champs d’actions le sont en effet. Dans ses annonces, le chef de l’État propose notamment d’intensifier la lutte contre le gaspillage alimentaire, au niveau des écoles, des restaurateurs et des distributeurs. Sur le front des déchets, qui mettent en péril les écosystèmes marins et terrestres, il promet 100 % de plastiques recyclés d’ici 2025.

« C’est peut-être un peu tard, mais c’est toujours bon à prendre », salue l’écologiste LREM André Gattolin

Images : Jérôme Rabier

Appelant à un « changement profond des modèles de production », Emmanuel Macron maintient les objectifs de réduction de 50 % des produits phytosanitaires dans l’agriculture, et de la sortie du glyphosate d’ici trois ans.

Dans le même domaine, il affiche sa volonté d’ « accroître la lutte » contre l’artificialisation des sols (les objectifs seront précisés plus tard) et de porter la part des espaces protégés à 30 % du territoire d’ici la fin du quinquennat, contre 20 % actuellement. Une remise à plat des niches fiscales doit également être l’occasion d’intégrer le combat pour la biodiversité.

Autre symbole : Emmanuel Macron a critiqué le projet Montagne d’or en Guyane. Ce projet controversé d’extraction minière à ciel ouvert n’est, selon lui, « pas compatible avec une ambition écologique et en matière de biodiversité ». Une évaluation complète sera menée pour prendre une décision sur l’avenir du dossier.

Ce discours à la tonalité environnementale a de quoi satisfaire l’aile de la majorité présidentielle, qui attendait de l’ambition sur ce terrain. « Jusque-là, il faut dire que nous étions profondément frustrés au-delà des grands discours. Là, on a des décisions concrètes qui sont annoncées, c’est peut-être un peu tard, mais c’est toujours bon à prendre », salue le sénateur La République en marche, André Gattolin, de sensibilité écologiste. « Il était temps. On avait l’impression qu’une partie de la composante importante de cette majorité n’était finalement pas entendue. Il est amené à engager tout son gouvernement. »

L’ombre des élections européennes

Images : Jérôme Rabier

À moins de trois semaines des européennes, certains parlementaires ne sont pas dupes et y voient une manœuvre électoraliste. « Je suis heureux de voir qu’il s’intéresse enfin à la biodiversité. Peut-être que pour le bien de la planète ce serait intéressant qu’on ait des élections tous les 15 jours », ricane Guillaume Gontard, sénateur écologiste, siégeant dans le groupe communiste au Sénat. André Gattolin préfère y voir une « opportunité ». « C’est peut-être le supplément d’âme qui manquait à cette campagne », observe-t-il, au lendemain d’un meeting à Paris qui a réuni Pascal Canfin (candidat sur la liste Renaissance) et Daniel Cohn-Bendit, soutien affiché à la majorité dans ce scrutin.

Le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard reproche surtout à l’exécutif le manque « d’orientations claires » et concrètes. « On est encore au stade de l’évaluation, des rapports […] Il faut avoir des actes », déplore-t-il.

S’il ne s’étonne pas de ce discours « fort », attendu dans ces circonstances de réunions internationales, l’écologiste Ronan Dantec (rattaché au groupe RDSE au Sénat) est lui aussi en attente de « déclinaisons en politiques publiques ambitieuses ». « Je reste beaucoup sur ma faim. Les phrases définitives sur l’environnement, depuis Chirac on les collectionne », soupire-t-il.

Images : Jérôme Rabier

Des annonces pas vraiment nouvelles

Plusieurs des leviers présentés par Emmanuel Macron ont également la particularité d’être déjà activés, ou sur le point de l’être. « Faire du neuf avec l’ancien, tout un art », a reproché, sur Twitter, la sénatrice EELV Esther Benbassa (rattachée au groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste).

La lutte contre le gaspillage alimentaire avait déjà été intensifiée avec la récente loi agriculture et alimentation, promulguée en novembre. Sur l’objectif de 100 % de plastiques recyclés d’ici 2025, là aussi, l’ambition avait été formulée par le Premier ministre Édouard Philippe et la secrétaire d’État Brune Poirson, dès le 13 avril 2018. Diminuer l’emploi des pesticides de 50 % d’ici 2025 ? L’objectif a été annoncé dès 2015, sous François Hollande, dans le plan Ecophyto II. Même les réserves présentielles sur le contesté projet de la Montagne d’or ne datent pas d’hier. Emmanuel Macron avait précisé le 1er février que ce programme n’était « pas au meilleur niveau ».

« Il offre comme gage de bonne foi cette mine d’or qui était un non-sens absolu. On a juste tendance à se demander pourquoi il a attendu aussi longtemps », commente le sénateur Ronan Dantec. « L’annonce est intéressante, mais elle vient un peu tard et il ne dit pas qu’il arrête », ajoute Guillaume Gontard, qui aurait « apprécié » un abandon clair et net.

Finalement, les nouvelles mesures se résument principalement au passage en revue des avantages fiscaux, la lutte contre la bétonisation des terres qui demande à être précisée, et surtout à l’extension des terres protégées.

Là-dessus, les deux sénateurs affichent leurs inquiétudes face à un projet de décret simplifiant les procédures environnementales dans des projets d’aménagements, et qui réduirait le rôle du Conseil national de la protection de la nature. « Il y a quelques incohérences dans le discours qu’il faut clarifier », demande Guillaume Gontard.

La prise de parole présidentielle du 6 mai devrait en tout cas donner du corps au futur Conseil de défense écologique, dont la création faisait partie des réponses aux deux mois et demi de grand débat national. »

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