L’écocide, nouveau crime contre l’humanité qui tente de s’imposer en France
L’écocide, ce nouveau crime contre l’humanité plus dévastateur encore que le génocide, selon ses défenseurs, essaie de se faire une place dans le droit français.
POLITIQUE – “Dans un environnement qui change, il n’y a pas de plus grand risque que de rester immobile”. La citation est de Jacques Chirac. Plus tard, en 2002, l’ancien chef de l’État prononçait son célèbre discours à Johannesburg lors du 4e sommet de la Terre: “Notre maison brûle, mais nous regardons ailleurs”.
C’est à cette “maison” naturelle et universelle que pense le groupe socialiste et républicain ce jeudi 2 mai, en séance plénière. Profitant d’une niche parlementaire, il présente devant le Sénat une proposition de loi pour une reconnaissance juridique de “l’écocide”, nouveau type de crime contre l’humanité. Alors que le capitalisme transhumaniste a le regard tourné vers l’Homo Deus et imagine déjà l’exploitation des minerais martiens, ces voix politiques tentent de bousculer les Cassandres de Johannesburg et de faire évoluer les droits humains et de la nature. Elles ont toutefois peu de chance d’être entendues.
Pourtant, d’après Valérie Cabanes, juriste internationale et cofondatrice de “Notre affaire à tous”, l’urgence est immense. Au HuffPost, elle explique l’aspect inédit de l’enjeu juridique: “On est face au plus grave des crimes, au crime premier, c’est la vie de tous les êtres humains qui est menacée”. Un crime plus condamnable que le génocide.
Rejeté
L’écocide, “mais enfin, qu’est-ce que c’est?” La même question a pu être posée le 10 avril 2019 en commission des lois. Par la voix de la rapporteuse Marie Mercier, le gouvernement a en effet rejeté le texte en première lecture.
Il faut dire que dans la chambre haute, tous les sénateurs n’ont pas encore pris conscience de l’enjeu du réchauffement climatique et certains pensent encore que ce n’est qu’une hypothèse, nous raconte Valérie Cabanes, encore interloquée par la teneur d’une conversation qu’elle a pu avoir avec un responsable politique.
Motif du rejet: “la rédaction du texte souffre de trop d’imprécisions pour répondre à l’exigence constitutionnelle de clarté de la loi pénale” et “l’arsenal législatif en vigueur permettrait déjà de répondre à l’ensemble des situations rencontrées.”
Rien de nouveau sous le soleil
Le concept d’écocide n’est pourtant pas né de la dernière pluie (acide) et s’était déjà retrouvé dans les radars des politiques. En 2015, le professeur de droit Laurent Neyret avait remis à Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, un rapport intitulé “De l’écocrime à l’écocide”, poussant à la reconnaissance juridique des crimes contre l’environnement. En janvier de la même année, ses enquêtes et travaux sur cinq grands trafics environnementaux internationaux (le bois de rose, les déchets électroniques, les mines d’étain illégales, les tigres et les pesticides contrefaits) avaient fait la Une du Monde.
L’année suivante, pendant la COP21, Valérie Cabanes, accompagnée d’une délégation de représentants autochtones menacés, avait interpellé François Hollande en lui soumettant des recommandations en faveur de l’écocide. À l’époque, l’ancien président avait eu l’air intéressé, mais n’avait pas donné suite malgré le contexte politique favorable du Sommet mondial du climat.
Quant au tout premier débat, il remonte à 1947. Au sein de la Commission du droit international, les acteurs de l’après-guerre avaient planché ensemble sur le Code des crimes, censé protéger la paix et la sécurité de l’humanité. Mais cinquante ans plus tard, le crime d’écocide n’était pas retenu lors de la signature du Statut de Rome, en 1998. Empêchant ainsi les diverses marées noires, la déforestation de l’Amazonie et l’assèchement de la mer d’Aral (causé par les activités industrielles) d’être jugés en tant que crimes contre l’environnement.
Aujourd’hui, face à la difficulté de rassembler autour de la constitution d’un droit international, la piste nationale est privilégiée par les défenseurs de la reconnaissance de l’écocide. L’exemple de l’Équateur -qui en 2008 a promu la Nature d’objet à personne dotée de droit-, celui de la Bolivie -qui a fait de même en 2010 en reconnaissant des droits à la Pachamama (la Terre Mère, en amérindien)- ou encore la Nouvelle-Zélande qui a fait de la rivière Whanganui un sujet de droit, leur donnent bon espoir.
Un texte qui fait débat
Mais en France, l’évolution du droit a l’habitude de prendre son temps. Avant la proposition de loi pour la reconnaissance du crime d’écocide portée par le groupe socialiste et républicain, rien n’avait réellement bougé.
Et au vu du rejet en commission des lois, il n’y a pas grand-chose à attendre des débats en séance plénière, malgré l’intérêt d’autres élus, comme celui de la sénatrice de Paris Esther Benbassa. Ou encore la mention importante qu’en a faite Benoît Hamon pendant le débat des douze candidats à l’élection présidentielle dans “L’Émission politique” sur France 2.
Il faut dire que le texte lui-même présente d’importantes inexactitudes qui nuisent à son entrée dans le corps législatif. D’après Valérie Cabanes, qui a longuement participé à une proposition de réécriture, le texte ne mentionne ni la différence avec l’écocrime (les activités illégales des mafias, à distinguer de l’activité des multinationales) ni l’impact sur les générations futures (qui permettrait l’avènement d’un concept de droit transgénérationnel). Le texte n’introduit pas non plus la notion de “négligence punissable” à propos des actions des entreprises qui “portent gravement atteinte à l’environnement”. Un manque de rigueur intrinsèque qui ouvre toutes les brèches au législateur pour appuyer le rejet du texte.
L’écocrime plutôt que l’écocide
Pour Jérôme Durain, qui présente le texte de loi, ces précisions viendront dans un second temps. “Certes, c’est un dépôt de loi qui a ses limites”, reconnaît-il devant le HuffPost. Pour ce sénateur, qui a été l’orateur de son groupe au moment de la loi sur le devoir de vigilance sous Hollande, les améliorations du texte ne sont “pas le sujet”. “L’intention de cette proposition de loi n’est pas d’être adoptée, mais d’enclencher une réflexion sur un travail de fond.” Ce politique modéré a ainsi laissé les modifications du texte aux radicaux verts du Sénat, en vue d’une éventuelle deuxième proposition de loi.
Une stratégie modeste qui déçoit plusieurs juristes spécialistes de la question depuis une dizaine d’années. Ils voient dans cet intérêt soudain du politique pour l’écocide une façon de jeter “un pavé dans la mare” destiné surtout à renforcer l’image d’un socialisme en mauvaise posture. Pour toutes ces raisons, Valérie Cabanes avoue avoir refusé de débattre avec le sénateur Jérôme Durain sur Public Sénat, avant la séance plénière au Sénat. “Ne pas pouvoir débattre sur le fond du sujet dessert pour moi la cause”, nous explique-t-elle.
Le sénateur reste malgré tout droit dans ses bottes d’élu: “Je comprends les impatiences, mais le droit français est lent. Face à une chambre plutôt conservatrice, obtenir une majorité sur l’écocrime et provoquer un débat sur l’écocide, c’est déjà un bon début.”
Sauf que c’est encore et toujours repousser la responsabilité des multinationales conscientes de la pollution que leurs actions engendrent, “depuis 1988” pour certaines, soupire Valérie Cabanes.
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