Intervention d’Esther Benbassa lors de la Discussion Générale de la PPL écocide

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame la Rapporteure,

Mes cherEs collègues,

Le 14 mars 2019, les associations Greenpeace, Notre Affaire à Tous, la Fondation Hulot et Oxfam attaquaient l’Etat français en Justice afin que celui-ci respecte ses engagements climatiques.   Cette action devant les tribunaux, intitulée « l’affaire du siècle », qui avait été précédée d’une pétition lancée le 17 décembre 2018 et signée par plus de 2 millions de nos concitoyens.

La demande des citoyen.nes se fait forte et à raison. Les trafics d’espèces protégées ont fait de l’aéroport de Roissy une plaque tournante de la criminalité environnementale. L’utilisation abusive de produits phytosanitaires en faveur d’une agriculture productiviste détruit nos sols et provoque des maladies graves en milieu rural. Les exemples venant défigurer nos paysages et heurter irrémédiablement nos faunes et nos flores sont innombrables… Et tous pourraient à terme générer la destruction de l’humanité.

Aussi, reconnaître le crime d’écocide est-il nécessaire et urgent. L’écocide, étymologiquement, signifie tuer la maison. Se rendre coupable d’un écocrime, revient à attaquer la planète, notre foyer à tous. Mon propre parti, EELV, appelle depuis plusieurs années de ses vœux un tel ajout dans notre législation.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter de l’initiative de notre collègue Jérôme Durain et du Groupe Socialiste et Républicain qui vient combler les lacunes du droit pénal environnemental français. Car il n’existe actuellement tout simplement pas d’échelle des peines en la matière. Certes, il y a des contraventions pour répondre aux incivilités que commettent certains particuliers, en jetant des détritus ou  en braconnant. De même qu’il existe des sanctions administratives à l’encontre de certaines entreprises coupables de délits  polluants. Toutefois le nombre parmi elles qui sont mises en demeure reste résiduel. Pour l’heure, il n’existe pas de réponse pénale adaptée à la criminalité industrielle des grandes entreprises, qui bénéficient de l’adage « too big to fail ».

Pour les catastrophes se déroulant sur notre territoire, comme le naufrage du Grande America en mars, ce texte peut être utile. Je dirais même qu’il serait salutaire.

Cependant, même si cette proposition de loi était adoptée, que pourrions-nous faire à l’échelle nationale, si un nouveau « Fukushima » se produisait ? Que pourrions-nous faire contre le braconnage de masse des rhinocéros en Afrique, tués pour leurs cornes ? Comment pourrait-on sanctionner Jair Bolsonaro qui prévoit de bétonner l’Amazonie, « poumon vert de la Terre » ? Rien de bien concret.

Pour sauver l’environnement, la réponse devrait être transnationale et supranationale. L’écocide mériterait d’être traité au sein d’une chambre spécifique de la Cour Pénale Internationale, comme ce fut envisagé – malheureusement sans succès – lors de la rédaction du Traité de Rome en 1998 et comme le préconise d’ailleurs la rapporteure de la CPI dans un document de politique générale de 2016.

Cependant, compte tenu des obstacles politiques et de la difficile procédure de révision des statuts de Rome, il est essentiel que les Etats incorporent le crime d’écocide dans leur arsenal juridique interne et ce afin de frayer par la suite la voie à une reconnaissance supranationale de cette criminalité.

Le Vietnam, qui a depuis longtemps adopté une législation en matière d’écocrime, a ainsi pu interdire le mercredi 10 avril l’importation du glyphosate sur son sol. A l’instar des tribunaux verts en Inde et de diverses institutions spécifiques qui existent en Nouvelle-Zélande et au Chili, la France aurait tout à gagner à se doter de juridictions et d’un parquet spécialisés dans la lutte contre la criminalité environnementale.

Selon le dernier rapport du GIEC, nous n’avons plus que 12 ans pour inverser la tendance, avant que les dégâts infligés à notre planète ne soient irréversibles. Les multinationales continuent d’agir en toute impunité, à l’instar de l’entreprise Monsanto, au fait depuis 1999 du caractère dangereux du glyphosate et qui n’a pas pour autant freiné ses activités. Si nous ne responsabilisons pas ces géants économiques, les générations futures en paieront le prix.

Au groupe CRCE nous soutiendrons donc évidemment ce texte. Et nous espérons que la droite sénatoriale en fera de même. Si vous me permettez de citer le centriste Jean-Louis Borloo : « Les climato-cyniques ne me font pas rire ».

S’il faut être responsable, c’est maintenant !

Je vous remercie.