Dans la France des « gilets jaunes », les dons des grandes fortunes pour Notre-Dame font polémique

Dans la France des « gilets jaunes », les dons des grandes fortunes pour Notre-Dame font polémique

Par L’Obs
Publié le 17 avril 2019 à 13h08

Devant l’afflux vertigineux des dons pour reconstruire Notre-Dame de Paris, des voix dénoncent une générosité sélective, alors que les « gilets jaunes » réclament depuis des mois dans la rue une hausse de leur pouvoir d’achat et que l’aide aux plus démunis est en baisse.

« On ne peut pas faire de la préservation de notre patrimoine une grande opération de communication comme certains sont en train de faire », a accusé ainsi sur LCI Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise (LFI) aux élections européennes, dénonçant « une espèce de course à l’échalote de l’entreprise qui donnerait le plus tout en revendiquant l’exonération d’impôt ». « J’ai impression d’avoir le classement des entreprises présentes et des personnes présentes dans les paradis fiscaux », a-t-elle ironisé.
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« Le plus simple, ce serait déjà qu’ils commencent par payer leurs impôts, ils ne peuvent pas se payer une opération de communication en mettant leur nom potentiellement sur une pierre de Notre-Dame et de l’autre côté, ne pas payer leurs impôts », a-t-elle critiqué.

« En un clic, 200 millions, 100 millions, ça montre aussi les inégalités, ce que nous dénonçons régulièrement, les inégalités dans ce pays », a critiqué le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez sur Franceinfo.
« « S’ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu’ils arrêtent de nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire l’urgence sociale », a insisté le dirigeant syndical. »

Face à un chantier qui s’annonce colossal, plusieurs grandes fortunes françaises ont sorti leur carnet de chèques depuis lundi : la famille Pinault a promis 100 millions d’euros, suivie par le groupe LVMH et la famille Arnault, première fortune de France, qui a annoncé un don de 200 millions, puis la famille Bettencourt-Meyers et le groupe L’Oréal (200 millions).

Face à la polémique, la famille Pinault a annoncé dans un communiqué mercredi renoncer à sa réduction d’impôt.
« L’exemplarité fiscale serait encore mieux »

Ingrid Levavasseur, une des figures des « gilets jaunes », a souhaité sur BFMTV « qu’on revienne à la réalité » et dénoncé « l’inertie des grands groupes face à la misère sociale alors qu’ils prouvent leur capacité à mobiliser en une seule nuit +un pognon de dingue+ pour Notre-Dame ».

« Que l’oligarchie donne pour Notre-Dame, c’est bien. L’exemplarité fiscale serait encore mieux. La bonne conscience ne cache pas la misère et l’austérité », a dénoncé sur Twitter Benjamin Cauchy, figure des « gilets jaunes » sur la liste de Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France).

De fait, la générosité des donateurs est en partie payée par de l’argent public, car la loi Aillagon de 2003 prévoit que les entreprises qui investissent dans la culture peuvent déduire 60% de leurs dépenses en faveur du mécénat (66% de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers).
« Les milliardaires vont passer pour des héros »

Cette réduction fiscale peut même atteindre 90% lorsqu’il concerne l’achat de biens culturels considérés comme des « trésors nationaux » ou présentant « un intérêt majeur pour le patrimoine national ». L’ancien ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, qui avait proposé « dans l’émotion de l’incendie » de déclarer Notre-Dame « trésor national », est revenu sur sa proposition mardi, « puisque la question des financements semble réglée ».

Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé mercredi une déduction de 75% jusqu’à 1.000 euros (66% au-delà) pour les dons des particuliers en faveur de la reconstruction.

« Les milliardaires vont passer pour des héros. Ils feraient mieux de renoncer à l’évasion et à l’optimisation fiscales », a critiqué sur Twitter la sénatrice EELV Esther Benbassa, rêvant d’« un élan aussi spontané et massif en faveur des associations et structures prenant en charge l’extrême pauvreté, l’exclusion sociale, les sans-abri ».

Le premier secrétaire du PS Olivier Faure a lui salué « une formidable mobilisation pour Notre-Dame de Paris ». « Mais j’aimerais qu’il y ait maintenant une mobilisation équivalente pour ces millions de femmes, d’hommes, d’enfants, de familles qui sont à eux tous une cathédrale humaine qu’il faut aussi protéger », a-t-il dit sur BFMTV.

Le premier vice-président de LR Guillaume Peltier a balayé la polémique d’un revers de main. « Si on pouvait dans ces moments importants cesser les vaines querelles. On a besoin de tout le monde », a-t-il souligné au micro d’Europe 1.

Le maire LR de Nice Christian Estrosi a également pris la défense, sur CNews, des grands donateurs. « Je ne veux pas qu’on montre du doigt les grands, comme certains le font, car vous noterez que les grands, ce sont aussi des capitaines d’industrie, des chefs d’entreprise, des créateurs de milliers d’emplois dans notre pays », a-t-il plaidé.