Par Nathalie Goulet
Chère @EstherBenbassa mon papier parle de toi de @mpdelagontrie et de @STaillePolian https://t.co/gkONesKgtA
— Nathalie Goulet (@senateur61) December 6, 2018
C’est clair depuis trois semaines maintenant : personne, et le gouvernement encore moins que quiconque, ne détient la clef du problème posé par les gilets jaunes.
Je ne parle pas ici des casseurs professionnels, agitateurs de droite ou de gauche, provocateurs ou personnes violentes, cherchant dans la casse et le vandalisme un exutoire.
Beaucoup a été dit et disséqué, analysé et commenté, je vais néanmoins vous livrer mon sentiment d’élu rural.
Hier il s’est déroulé au Sénat une séance bien étrange. Sous l’impulsion de notre très créative collègue Esther Benbassa, quelques collègues comme Marie-Pierre de la Gontrie et Sophie Taillé-Pollian ont reçu une délégation de gilets jaunes qu’Esther Benbassa avait croisée lors d’une manifestation.
Et qu’est-il arrivé ? Les services du Sénat leur ont fait ôter leurs gilets jaunes pour entrer au Palais.
Pourquoi ? Quelle règle de sécurités pouvaient-ils violer ? Quel risque ce gilet jaune pouvait-il représenter ?
Depuis quelques années déjà, les visiteuses au Sénat, sauf les invitées de pays amis en voyages officiels, sont priées de retirer, au nom de la laïcité, le voile qui couvrirait leurs cheveux. On peut comprendre ou pas cette interdiction, mais elle est conforme à la loi sur le port de signes distinctifs dans l’espace public.
Mais retirer un gilet jaune, marque d’une identité, c’est assez curieux comme réaction alors que ces personnes étaient reçues par des élus de gauche, socialistes et écologistes, dans une salle de commission, qu’elles avaient passé les contrôles et n’étaient de toute évidence armées que de leurs seules revendications.
C’est cette réaction de l’Institution qui a provoqué ce billet.
Reçu en pleine figure il y a quelques semaines, le mouvement spontané couvait depuis des années dans nos territoires et me fait penser de façon tellement similaire à ce cri lancé par un journaliste illuminé dans le film Network (1976) qui conviait les téléspectateurs à ouvrir leur fenêtre et à hurler leur colère : « I’m as mad as hell! »
« Les choses doivent changer ! »
Oui, les choses doivent changer ! C’est bien de cela dont il s’agit, colère, découragement, ras-le-bol des inégalités territoriales, fiscales et sociales.
La France a toujours eu des difficultés avec la réussite sociale et l’argent, certes, mais en période de crise, les inégalités sont plus craintes, plus arrogantes, le sentiment de déclassement plus vif, plus douloureux.
C’st bien le cas de nos territoires ruraux, des territoires oubliés de la République, des banlieues également délaissées par des décennies de politiques de la ville oublieuses des besoins des territoires.
Combien de temps avons-nous subi, avec plus ou moins de complaisance, les états généraux de ceci ou de cela, les Assises de ceci ou de cela, les Grenelle de ceci et de cela ?
Ah les palabres et les grand-messes n’ont pas manqué, mais au final, quel résultat ?
Ce mouvement inédit et ses racines que l’on cherche à identifier, est aussi amplifié par les nouveaux moyens de communication et par les chaînes de télévision en continu.
La vacuité de notre système leur donne une place de choix.
« Nous avons mal expliqué, mal défendu, pas assez défendu, accepté des compromis »
Chaque politicien devrait se sentir responsable de cette situation, nous avons sans doute manqué de courage à tel ou tel moment, nous avons mal expliqué, mal défendu, pas assez défendu, accepté des compromis.
Comment en sortir ? Le renoncement à la hausse des carburants ne sera pas suffisant et j’ai déjà exprimé ici mon rejet absolu de l’organisation d’une conférence nationale des territoires, dont l’issue est déjà connue et qui ne flattera que les quelques gloires éphémères des podiums, comme les gloires éphémères des plateaux et des chaînes Youtube.
Il faut ouvrir les cahiers de doléances et entendre les territoires, cette crise est aussi celle de l’égoïsme et du centralisme.
Des décisions prises de Paris pour le plus petit village normand, les organisations territoriales revues au forceps au mépris des aspirations locales. Le « je sais tout « parisien des élites, réelles ou supposées, contre les territoires arriérés qui n’auraient rien compris à la modernité.
A-t-on seulement une idée, dans le Ministère de Monsieur Mounir Mahjoubi, du choc que va représenter la fin du téléphone fixe dans les communes rurales, et l’annonce déjà en marche du tout numérique ? Que font les personnes qui n’ont pas accès à l’internet ? Que font celles qui ne savent pas ou s’estiment trop âgées pour apprendre à maîtriser cet objet qui nous est familier, mais pas à eux ?
Bien entendu, la démarche sera expliquée, mais l’angoisse de l’isolement encore plus grand plane sur les zones rurales frappées par l’effet des politiques publiques.
Voilà le fameux effet Mathieu : « Car à celui qui a, tu donneras et il aura tout en abondance, et à celui qui n’a pas, tu enlèveras même ce qu’il a. »
Et donc les territoires déshérités sont de plus en plus déshérités.
« Lutte contre la fraude et l’évasion fiscale »
Le désarroi des maires, l’annonce de démissions multiples et les chiffres très élevés de ceux qui ne se représenteront pas, sont autant de signaux.
La solution, rétablir la proximité et l’humain au cœur de nos dispositifs, et pour financer ces politiques de proximité, une seule solution. Non pas la dépense publique, mais la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.
Le tolérance zéro pour la fraude fiscale et des procédures accélérées. Il n’est pas acceptable pour l’exemplarité que des procédures se débouclent parfois plus de dix ans après les faits avérés.
La lutte contre l’évasion des groupes internationaux avec réactivité, sans attendre un accord européen au rabais comme c’est le cas avec les GAFAM.
La fraude sociale enfin, 1,8 millions de faux numéros INSEE du fait du logiciel SANDIA – 14 milliards de fraude de ce « Sésame paye-moi ». Dénoncée depuis des années, cette fraude perdure dans l’indifférence et la pesanteur technocratique.
Comme l’explique très bien Charles Prats, magistrat spécialisé, « le système français de protection sociale est gangrené par la fraude aux faux documents.
Fraude aux prestations sociales
En 2010, nous avons en effet découvert une fraude massive à l’immatriculation dans notre système social : des fraudeurs obtiennent très facilement des numéros d’identification au répertoire (le NIR, c’est-à-dire le numéro de sécurité sociale) sur la base de faux documents.
Si vous êtes nés en France, que vous soyez français ou étranger, votre « numéro de Sécu » est attribué par l’INSEE selon votre sexe, année de naissance, mois de naissance, département et commune de naissance, et l’ordre d’inscription sur le registre d’état civil. En revanche, si vous êtes nés à l’étranger, que vous soyez français ou de nationalité étrangère, ce numéro de sécu doit être attribué « manuellement » par l’INSEE.
La fraude est alors assez simple : il suffit de solliciter l’attribution d’un numéro de sécurité sociale sur la base de faux actes de naissance ou de faux titres d’identité par exemple. Voire même d’obtenir plusieurs NIR avec de multiples identités, sachant que le NIR « certifié » par les organismes de sécurité sociale est la clé d’entrée dans le système social français, le « Sésame paye-moi » les prestations, certes pas toujours suffisant mais évidemment nécessaire.
10,4% des numéros de sécu attribués sur la base de cette procédure l’avaient été sur le fondement de faux, soit 1,8 millions de NIR frauduleux ! Sur la base de la dépense moyenne de sécurité sociale pour presque 66 millions d’individus, cela représenterait chaque année un enjeu potentiel de près de 14 milliards d’euros de dépenses sociales (RSA, allocations, assurance maladie, etc.) au profit des fraudeurs si ceux-ci passent tous effectivement au guichet.
Lutter contre la fraude, rendre des comptes à la population, prendre des mesures symboliques comme rétablir l’ISF – voilà des pistes de réflexion, mais cette réflexion ne doit pas entraver l’action.
L’incapacité des partis traditionnels a amené Emmanuel Macron au pouvoir. Jamais élu auparavant, et caricaturé comme le Président urbain des riches, il n’a gagné cette élection de 2017 que par suite du mouvement républicain hostile au FN.
L’Europe est depuis frappée par une vague de populisme qui a amené des partis extrêmes au pouvoir. Pourquoi la France serait-elle épargnée ?
Il ne faut pas se parer de certitudes, encore moins d’illusions, le mensonge du nuage de Tchernobyl qui aurait miraculeusement épargné la France ne prendra plus.
Le vrai danger est celui là…
Tous ceux qui contribuent à surfer sur la vague des gilets jaunes pour contrer et affaiblir le gouvernement pavent chaque jour davantage la voie d’accès au gouvernement d’un dirigeant issu des rangs les plus populistes.
Est ce vraiment cela que nous recherchons ?
J’en doute !
Nathalie Goulet est Sénateur de l’Orne (Normandie), membre du groupe Union Centriste.