Boycotter Macron? Le dilemme des opposants (L’Express, 02 juillet 2018)

L’événement se tiendra sans la France insoumise, mais avec les communistes et les centristes. Chacun sa stratégie.

C’était un secret de polichinelle. Alexis Corbière a vendu la mèche ce lundi matin, 2 juillet, sur BFM-TV. Les députés de la France insoumise (LFI) n’écouteront pas Emmanuel Macron à Versailles le 9 juillet prochain. Comme en 2017, ils boycottent le discours que le président de la République entend adresser chaque année aux députés et sénateurs réunis en Congrès. Une possibilité offerte au chef de l’Etat depuis la réforme de la Constitution de 2008.

« Un exercice qui consiste à dire que le monarque présidentiel vient, s’exprime, et ne souffre pas d’entendre la réponse, je ne suis pas d’accord, assène le député de Seine-Saint-Denis. En n’y allant pas, je veux protester pour dire que je ne suis pas d’accord avec ces institutions qui font du député un pot de fleurs pour la communication présidentielle. »

La tentation de la chaise vide

Comme l’an dernier, la convocation empoisonne l’opposition, forcée d’adopter une stratégie. Se rendre à Versailles ou jouer la politique de la chaise vide ? Y aller, c’est l’occasion, pour chaque groupe parlementaire, de prendre la parole dans l’hémicycle à la suite du président de la République. Mais seulement en son absence, comme le prévoit la Constitution. Entre les sept groupes que compte l’Assemblée nationale, les sept du Sénat, et les miettes laissées aux parlementaires non inscrits, jusqu’à 15 discours peuvent s’enchaîner. Difficile de sortir du lot dans cette litanie indigeste. Reste l’option de faire plus de bruit… depuis l’extérieur.

Le 3 juillet 2017, LFI, le PCF et quelques francs-tireurs, comme le futur-ex-socialiste Régis Juanico et l’écologiste Esther Benbassa, avaient boycotté. Les centristes Philippe Vigier et Jean-Christophe Lagarde également, indignés de voir un président de la République s’exprimer devant le Parlement la veille du discours de politique générale de son Premier ministre.

 

Jean-Christophe Lagarde, président de l'UDI, se rendra cette année à Versailles
Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, se rendra cette année à Versailles afp.com/Ludovic MARIN

« Mon désaccord portait sur une lecture des institutions, se justifie Jean-Christophe Lagarde. Soit le Premier ministre compte, et on ne parasite pas son discours de politique générale. Soit il ne compte pas et on le supprime ! » Cette année, les deux centristes ne bouderont pas Versailles. « Le contexte est différent, explique Philippe Vigier. Il n’y a pas de discours de politique générale prévu le lendemain. Emmanuel Macron vient nous parler des institutions et du calendrier des réformes. Il y a une inquiétude qui monte sur la réforme des retraites et les pensions de réversion. L’Europe est en panne, il doit nous redonner sa vision. »

« Pourvu qu’il ait des choses à dire ! »

Les deux centristes pointaient aussi, l’an dernier, le coût « inutile » du Congrès, aux alentours de 200 000 euros. « Au lendemain de l’élection présidentielle, qu’est-ce qu’Emmanuel Macron pouvait dire devant le Congrès qu’il n’ait pas déjà exprimé pendant la campagne ?, fait valoir Jean-Christophe Lagarde. Cette année, cela me dérange moins. Pourvu qu’il ait des choses à dire ! »

Les communistes aussi abandonnent l’idée du boycott. Mais cherchent quand même à se faire remarquer. Le 9 juillet à 13h30, sénateurs et députés PCF lanceront un « nouveau serment du Jeu de paume », devant la salle du même nom, à Versailles, avant d’entrer dans l’hémicycle. « Nous appelons celles et ceux qui le souhaitent à nous rejoindre pour prêter le serment de défendre une République démocratique et appeler à un référendum », lance solennellement le député des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville.

Le député PCF Pierre Dharréville en juillet 2017 à l'Assemblée
Le député PCF Pierre Dharréville en juillet 2017 à l’Assemblée afp.com/JACQUES DEMARTHON

Malgré son départ du PS, Régis Juanico siège toujours avec ses ex-camarades socialistes à l’Assemblée. Contrairement aux communistes, il persiste dans le boycott. « Un Congrès doit être exceptionnel. On ne le convoque pas par convenance personnelle pour en faire un rituel », juge-t-il. Régis Juanico rappelle que, l’an dernier, Emmanuel Macron avait enjoint au Parlement de « mettre un terme à la prolifération législative ». En vain. Entre le 18 juin 2017 et le 30 juin 2018, l’Assemblée nationale a battu un record de séances publiques . « Je suis pour un Parlement respecté, cingle ce proche de Benoît Hamon. Ce n’est pas le respecter que de le convoquer pour prendre des engagements qui ne sont pas tenus. »

« Dévastateur pour les institutions »

Les députés et sénateurs socialistes, eux, se rendront bien au Congrès. Ils cherchent malgré tout un moyen de marquer le coup. D’après un député du groupe, ils devraient se réunir sur une place de Versailles, ceints de leur écharpe tricolore, pour dire tout le mal que leur inspire la réforme des institutions.

Ces interventions extérieures seront-elles plus remarquées? « Quand vous refusez de parler de fond, vous êtes plus entendu que si vous acceptez de jouer le jeu, regrette Jean-Christophe Lagarde. C’est dévastateur pour les institutions. »

Des députés de plusieurs groupes défendront des amendements à la réforme constitutionnelle pour changer la règle du jeu. En espérant obliger, à l’avenir, le président de la République à rester dans l’hémicycle pour écouter les réponses de l’opposition.