TRAVAIL DU SEXE : BILAN CRITIQUE !
Le 13 avril 2016, était adoptée la proposition de loi (PS) « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Cette adoption, conclusion de débats longs et laborieux, faisait de la France le second pays de l’Union européenne à sanctionner les clients des personnes travailleuses du sexe. Deux ans plus tard, onze associations (1) ont rendu public un rapport inédit : « Que pensent les travailleurs et travailleuses du sexe de la loi prostitution ? Enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016 contre le système prostitutionnel ». Ce rapport dépeint une situation extrêmement préoccupante, situation qui était au cœur des revendications lors d’une importante manifestation à Paris le 14 avril dernier. Seronet y était.
Sur la plateforme arrière du camion, les oratrices s’enchaînent, rappelant leurs revendications dont la principale est l’abrogation de la loi du 13 avril 2016. La plupart reviennent sur le constat fait par le rapport réalisé par onze associations, présenté deux jours plus tôt à la presse. On y dénonce, dans une sono crachotante, la moralisation de la société qui a conduit à la situation actuelle, les conséquences néfastes de la pénalisation des clients. Ce n’est pas encore la foule des grands jours, mais les activistes sont là ; certains de leurs soutiens aussi. La sénatrice écologiste Esther Benbassa est venue. Elle dénonce un « projet bourgeois » dont les « prostituées sont les premières victimes ». Comme d’autres, elle a tenté, lors des débats parlementaires, de bloquer un texte qu’elle a toujours jugé mauvais dans ses effets. Elle s’étonne, aujourd’hui encore, qu’à l’époque, une majorité ait pu convaincre que la pénalisation du client allait faire baisser la demande et ainsi contribuer à la fin de la prostitution, comme le prétendent encore les auteurs-es de la proposition de loi socialiste. Ce n’est pas ce qui se passe pourtant, deux ans après le vote de la loi. La sénatrice — dont c’est le dernier mandat — reconnaît que dans le « contexte sécuritaire actuel », elle ne voit pas comment on pourrait revenir aujourd’hui sur ce texte.
« Putes, des lois, des droits qui respectent nos choix ! »
En finir avec cette loi, c’est pourtant bien l’objectif des manifestants-es qui rejoignent la place Pigalle, ce samedi 14 avril. Sur la banderole de l’association Acceptess-T, est rappelé que « la pénalisation des clients renforce l’exclusion et la transphobie ». A côté, des militants-es reprennent en boucle : « Putes, des lois, des droits qui respectent nos choix ! » Une voix, à la fois émue et forte, explique : « On est là depuis 1975 pour être reconnues comme des êtres humains à part entière ». Du côté du Strass (syndicat du travail sexuel), la colère est palpable, les mots durs. « On est là pour manifester contre ces sales hypocrites (…) les putes existent et elles travaillent. Notre activité est légale. On se paie sur notre dos ». Dans la foule, plus conséquente à l’approche du départ, on reconnaît Sergio Coronado, l’ancien député écologiste, très mobilisé contre cette loi lors des débats à l’Assemblée Nationale. La sociologue Janine Mossuz-Lavau, une fidèle de ce rassemblement annuel, est là. A chaque prise de parole, on rappelle toutes les bonnes raisons qu’il y a à s’opposer à cette loi, mais parfois le propos se fait plus large. Les Roses d’acier, association de travailleuses du sexe chinoises, dénoncent une loi qui, « en réalité, n’aide personne » et appellent à l’entraide : « Ne restez pas seule, soyez solidaires, veillons les unes sur les autres. Tout le monde a une vie. Tout le monde est dans la recherche de la liberté ». Un tonnerre d’applaudissements conclut le discours. La sono est lancée. Le cortège démarre enfin, ponctué de slogans, émaillé d’affiches et de panneaux. « My body is my business », proclame l’un. « Stop à cette hypocrisie. Stop à l’Etat proxénète », indique un autre. Plus loin, c’est le téléscopage de deux visages qui frappe. Sur une affiche, on reconnaît Pétain avec la mention : « 1942 : pénalisation de l’homosexualité », à côté, le portrait de l’ancienne ministre Laurence Rossignol (2), avec inscrit à côté : « 2016 : pénalisation du travail du sexe ». On pourra trouver contestable voire outrancier le parallélisme ou estimer que cette pénalisation a les mêmes ressorts et les mêmes sources idéologiques : le moralisme, le contrôle de l’Etat sur les libertés individuelles, etc. Brutale, cette question est assez emblématique de la colère qu’a suscitée l’adoption de cette loi chez une bonne partie des travailleuses et travailleurs du sexe. Et le compte n’est pas soldé, loin s’en faut !
Quel bilan de la loi de 2016 ?
On attend toujours le bilan « officiel » des pouvoirs publics. Il est prévu par la loi, elle-même, mais il tarde. Ce devrait être une question de semaines. A priori, ce sont les services du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes qui en sont chargés. Il y a quelques semaines, sur proposition de militants-es de AIDES, le député (LREM, Eure-et-Loir) Guillaume Kasbarian, a déposé une question écrite à l’attention de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Publiée au « Journal officiel » (6 février), sa question écrite invitait le gouvernement à donner des précisions sur la manière dont il comptait procéder à l’évaluation de la loi au regard des inquiétudes soulevées par des associations accompagnant les travailleuses et travailleurs du sexe. La réponse du gouvernement devait théoriquement être publiée dans les deux mois, mais le délai moyen de réponse est plutôt de 180 jours. Elle est évidemment très attendue tant les effets de la loi sont critiqués comme on peut notamment le voir dans le dernier rapport « VIH/hépatites, la face cachée des discriminations » réalisé par AIDES en 2017 et dans le tout récent rapport réalisé par un collectif associatif.
A ce jour, un seul bilan existe : celui des organisations non gouvernementales et il est sévère. Plusieurs constats sont faits à partir d’une enquête réalisée auprès des personnes travailleuses du sexe. En termes de violences, le rapport des ONG note une « augmentation massive des violences multiformes, un exercice du travail du sexe de plus en plus dangereux, une détérioration des relations avec les forces de police qui ne sont pas perçues comme protectrices voire contribuent à leur insécurité, et une amplification de la stigmatisation du travail du sexe ». Dans le domaine de la santé, le rapport dénonce une « amplification des prises de risques pour la santé avec notamment un recul de l’usage du préservatif et donc une augmentation de l’exposition aux risques de contamination par le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles ». Il déplore aussi des « conséquences néfastes sur la santé globale des personnes ». Bilan critique aussi en termes de conditions de travail, le rapport insiste sur une « détérioration des relations des travailleuses et travailleurs du sexe avec leurs clients qui, du fait du risque d’arrestation, en profitent pour négocier les tarifs à la baisse ou obtenir des rapports non protégés ». Il dénonce aussi une « répression indirecte des travailleuses et travailleurs du sexe par l’utilisation d’arrêtés municipaux et la multiplication des contrôles d’identités ». C’est un paradoxe car la suppression du délit de racolage a toujours été mise en avant par les promoteurs du texte comme le gage de relations apaisées avec la police et les autorités locales. Les personnes faisant du travail sexuel n’étant plus considérées comme des délinquants, mais comme des victimes. Le rapport pointe également, côté social, un « appauvrissement inacceptable des personnes, dont la plupart étaient déjà en situation de précarité ».
Par ici, la sortie !
La loi de 2016 prévoit un volet social avec le « parcours de sortie de la prostitution ». Ce dispositif propose aux personnes dont la candidature est retenue une aide financière, une autorisation provisoire de séjour de six mois (renouvelable trois fois) et l’accompagnement par une association agréée pour les questions de logement et de réorientation professionnelle, rappelle le rapport des associations. Sur le papier, tout semble y être. Que se passe-t-il dans les faits ? Pour les personnes enquêtées pour ce rapport — travailleuses et travailleurs du sexe, activistes associatifs — le bilan est critique concernant la mise en application de ce parcours de sortie. « Les conditions d’accès et les modalités pratiques proposées (difficile accès à un hébergement, obstacles à la régularisation du séjour, allocation financière insuffisante pour vivre) ne permettent pas aux personnes de s’inscrire dans ce parcours et donc de protéger celles qui en ont besoin, contrairement à ce que prônait la loi », dénonce le rapport. Une des grandes difficultés du dispositif est que celui-ci n’est accessible qu’à partir du moment où les personnes s’engagent à totalement arrêter le travail du sexe et ce sur plusieurs mois et qu’elles en apportent la preuve. Ce préalable est « irréaliste », note le rapport, notamment d’un point de vue financier. Comment les personnes font-elles pour vivre puisqu’elles ne doivent plus exercer le travail du sexe (elles n’ont donc plus de revenus) avant, qu’au bout de quelques mois, l’aide financière prévue dans le dispositif de sortie se mette en place ? De plus, l’aide financière est dérisoire : 330 euros par mois, ce qui ne permet pas d’arrêter le travail du sexe. Elle est inférieure au RSA (revenu de solidarité active) : 550 euros mensuels. Par ailleurs, notent les associations, la « conditionnalité de l’entrée dans le parcours » qui imposent de « s’engager à arrêter une activité qui n’est pas illégale », pose un problème légal et éthique.
Le rapport pointe aussi le fait que le dispositif piétine. « La mise en place des commissions devant valider les demandes de « parcours de sortie » est très lente depuis avril 2016. Les commissions départementales présidées par les préfets rassemblent des représentants de différents services départementaux qui doivent évaluer les dossiers des personnes demandeuses. Deux ans après le vote de la loi, ces commissions ne se sont pas encore tenues dans de nombreux départements ; sans elles, pas de parcours de sortie. Les associations qui souhaitent soutenir des dossiers doivent faire la demande d’un agrément pour leur permettre de présenter des dossiers auprès des commissions… Selon les associations, cet agrément n’est délivré qu’aux associations dont les statuts indiquent clairement qu’elles sont abolitionnistes, c’est-à-dire qui s’engagent à mettre fin à la prostitution. Ce critère exclut, de fait, de très nombreuses associations. On a donc des départements qui n’ont toujours pas mis en place leur commission sur le parcours de sortie (selon « Libération », seules 16 commissions départementales ont été mises en place), des critères très limitatifs d’agrément des associations pouvant accompagner le parcours de sortie, des exigences vis-à-vis des personnes travailleuses du sexe irréalistes, une aide financière dérisoire et rien n’a été prévu en matière de logement. De plus, concernant la régularisation du titre de séjour, il a bien été prévu une autorisation provisoire de séjour (APS) de six mois, renouvelable trois fois… mais après ?
Du coup, pas de quoi s’étonner que le dispositif ne marche pas. Fin 2017, le parcours de sortie de la prostitution n’avait concerné que 29 personnes depuis le passage de la loi. Plus récemment, lors de la conférence de presse de lancement de leur rapport, les associations évoquaient le chiffre de 43 personnes inscrites dans un parcours et le HCE mentionne celui de 55 personnes. Quoi qu’il en soit, on est très loin de l’objectif fixé par le secrétaire d’Eta à l’égalité entre les femmes et les hommes qui table sur 600 personnes bénéficiaires pour 2018 ! Selon les « données officielles », il y aurait 30 000 personnes travailleuses du sexe en France.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Pour les associations qui ont réalisé le rapport, l’objectif ets de permettre, arguments et faits à l’appui, de « réviser des dispositions législatives qui ne sont pas bonnes », comme l’expliquait François Sivignon, la présidente de Médecins du Monde, le 12 avril dernier. La loi d’avril 2016 n’a « pas de fondement scientifique », a surenchéri Hélène Le Bail, une des co-auteurs de l’étude. Le rapport des associations entend faire la démonstration que le texte, initialement prévu pour résoudre des problèmes, mais surtout abolir la prostitution, ne résout pas les problèmes, en amplifie certains voire en crée. Ce rapport va être adressé à l’ensemble des parlementaires. « Nous devons en faire un levier, réactiver les politiques ». C’est ce à quoi vont s’atteler désormais militantes et militants.
(1) : Médecins du Monde, Grisélidis, Cabiria, Paloma, Association du Bus des femmes, Collectif des femmes de Strasbourg Saint-Denis, Acceptess-t, le Planning familial, AIDES, le Strass et Arcat.
(2) : Laurence Rossignol était ministre des Familles, de l’Enfance et Droits des femmes lorsque la loi prostitution a été adoptée.
Le rapport, question de méthode !
L’objectif de cette enquête était de documenter l’impact de la loi de 2016. L’enquête s’est intéressée très précisément à l’impact sur les conditions d’exercice et de vie des travailleuses et travailleurs du sexe. Cette enquête qualitative a été conduite par deux chercheurs : Hélène Le Bail (Sciences Po-Ceri, CNRS) et Calogero Giametta (projet européen ERC, Kingtson University et Université Aix-Marseille). Entre juin 2016 et février 2018, 70 entretiens individuels avec des travailleuses et travailleurs du sexe ont été réalisés. Ont été également pris en compte 38 témoignages recueillis lors de focus groups et ateliers ainsi que des entretiens ou avec des associations investies dans ce domaine (soutien, accompagnement…). Cette étude a donc été supervisée par deux chercheurs et réalisée en collaboration avec onze associations (1). Par ailleurs, un enquête quantitative a été réalisée en janvier-février 2018 : 583 personnes travailleuses du sexe y ont répondu. Les résultats ont complété l’étude qualitative.
Loi du 13 avril 2016 : données brutes !
Voici, en quelques chiffres, ce que pensent, constatent, vivent les travailleuses et travailleurs du sexe depuis l’adoption de la loi du 13 avril 2016 (pourcentage des 583 personnes ayant participé à l’enquête quantitative).
● 88 % des travailleuses et travailleurs du sexe sont opposés à la pénalisation des clients ;
● 63 % des travailleuses et travailleurs du sexe ont connu une détérioration de leurs conditions de vie :
– La loi pousse les travailleuses et travailleurs du sexe du sexe à exercer dans les lieux plus isolés ou sur internet et les oblige à travailler plus longtemps pour maintenir leur niveau de vie.
– Les travailleuses et travailleurs du sexe sont plus confrontés aux situations de stress avec un impact négatif sur leur santé physique et psychologique.
● 78 % des travailleuses et travailleurs du sexe sont confrontés à une baisse de leurs revenus :
– La loi engendre un appauvrissement des personnes, surtout pour celles déjà en situation de précarité, en particulier les femmes migrantes travaillant dans la rue.
– La baisse du nombre de clients et la concurrence accrue entre travailleuses et travailleurs du sexe a entrainé une baisse des tarifs.
● 42 % des travailleuses et travailleurs du sexe sont plus exposés aux violences depuis l’adoption de la loi :
– Pour rester cacher la négociation avec le client s’effectue de manière plus succincte réduisant la capacité de sélection.
– Les travailleuses et travailleurs du sexe se retrouvent contraintes d’accepter des clients qu’elles/ils n’auraient pas acceptés autrefois quitte à risquer une plus forte exposition aux violences.
● 38 % des travailleuses et travailleurs du sexe rencontrent plus de difficultés à imposer le port du préservatif :
– La raréfaction des clients a augmenté le pouvoir de ceux-ci à négocier des pratiques sexuelles à risque.
– La diminution du temps de négociation entrave la capacité des travailleuses et travailleurs du sexe à imposer leurs conditions aux clients.
● 70 % des travailleuses et travailleurs du sexe constatent que leurs relations avec la police ne se sont pas améliorées voir se sont détériorées :
– Des arrêtés municipaux et des opérations de contrôles d’identité font que les travailleuses et travailleurs du sexe restent plus souvent pénalisés ou arrêtés que les clients.
– La méfiance envers la police entrave l’accès aux droits notamment pour les personnes victimes de violence.
● 39 % seulement des travailleuses et travailleurs du sexe connaissent l’existence du parcours de sortie de prostitution et, parmi elles, seulement 26 % ont l’intention d’en faire la demande :
– Si une majorité des personnes expriment le souhait de changer d’activité, le dispositif du « parcours de sortie » ne répond pas aux besoins de la plupart des personnes.
– La conditionnalité de l’accès aux parcours de sortie empêche beaucoup de personnes d’y accéder.
– La mise en place du parcours de sortie et les critères de sélection sont très variable selon les départements créant une inégalité territoriale.
Des débuts prometteurs promet le HCE
Aux antipodes du rapport des organisations non gouvernementales ! Le 13 avril, au lendemain de la conférence de presse organisée par Médecins du Monde, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publie un communiqué de presse — « Deux ans après la promulgation de la loi : Accélérer la lutte contre le proxénétisme et l’accompagnement des personnes prostituées » — dans lequel il se félicite « des débuts prometteurs de l’application de cette loi ». Et le HCE d’expliquer : « Depuis 2016, la honte change progressivement de camp : plus de 2 000 « clients » ont été verbalisés et des stages de responsabilisation ont été organisés dans quatre départements et 55 personnes bénéficient aujourd’hui d’un parcours de sortie de la prostitution ». Du côté des associations, on évalue à moins le nombre de personnes qui ont pu disposer effectivement de ce dispositif. Dans son communiqué, le HCE appelle « à accélérer la mise en œuvre » de la loi en augmentant les « moyens financiers et humains alloués aux associations spécialisées qui accompagnent les victimes », par « la généralisation des commissions départementales sur tout le territoire », par « le renforcement de la lutte contre le proxénétisme », par la « formation de l’ensemble des professionnels-les » et par le « lancement d’un plan national à destination des jeunes de prévention des risques prostitutionnels et d’éducation à une sexualité égalitaire ». L’analyse faite par le HCE ne constitue évidemment pas un bilan officiel — celui, prévu par la loi, se fait toujours attendre — c’est une forme d’encouragement pour un texte qui reste très controversé. Rappelons que le HCE est présidé par l’ancienne députée (PS) Danielle Bousquet, une des parlementaires à l’initiative de la proposition de loi votée en 2013
Une tribune « médicale » très à charge !
Des médecins, dont les docteurs-es Muriel Salmona, Patrick Pelloux, Emmanuelle Piet (1), publient le 12 avril dernier dans le « Journal du dimanche » une violente charge contre les associations qui critiquent la loi d’avril 2016. Pour eux : « Affirmer que la loi de 2016 aggrave la situation des personnes prostituées ne fait aucun sens ». Ils avancent que le « premier danger pour la santé des personnes prostituées », c’est « la prostitution elle-même ». Aux associations qui mettent en avant les effets néfastes de la loi, dont les violences, eux répliquent que « les violences ne se sont pas subitement abattues sur les personnes prostituées depuis le 13 avril 2016 ». Et d’expliquer : « A l’heure où certains voudraient nous faire croire que la situation des personnes prostituées est aggravée par la pénalisation des clients, en tant que médecins, nous rappelons que la prostitution en elle-même a toujours constitué un danger pour la santé des personnes prostituées ». Dans leur tribune, les médecins parlent d’une « espérance de vie des personnes prostituées très écourtée », d’un « taux de mortalité très supérieur à ce qu’il est dans la population générale, dû notamment à des féminicides, mais aussi à l’usage de drogues, à des accidents, à des maladies chroniques non traitées ». Ils parlent « de stress post-traumatique » dont « 68 à 80 % des femmes en situation de prostitution (…) seraient atteintes ». Par ailleurs, ils avancent qu’il n’y a « pas de lien entre pénalisation des clients et prévalence du VIH ». « Etablir artificiellement un lien de cause à effet entre interdiction d’achat d’actes sexuels et taux de prévalence du VIH est profondément malhonnête », affirment-ils. Ils expliquent que la littérature scientifique ne « ne constate aucune différence notable entre les pays qui pénalisent les clients et ceux qui permettent l’achat et la vente d’actes sexuels ». « La situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ne peut se résumer aux maladies sexuellement transmissibles », ajoutent-ils, citant notamment un rapport de 2012 de l’Inspection générale des affaires sociales. Puis, la tribune prend un ton particulièrement accusateur : « Nous ne pouvons que regretter que des associations dites de santé (sic !) s’associent à des lobbys promouvant l’abrogation des lois contre le proxénétisme plutôt que de s’intéresser aux nouveaux outils créés pour répondre globalement à l’enjeu, et améliorer ainsi concrètement la situation des personnes prostituées ». Dans leur tribune, les auteurs-es expliquent qu’en « tant que médecins », ils se basent sur « des faits ». Et d’en ajouter une couche : « Affirmer que cette nouvelle loi, qui diminue le recours à la prostitution et renforce les droits et l’accompagnement des personnes prostituées, aggrave leur situation ne fait aucun sens. Notre engagement en tant que médecins n’est pas d’aménager la violence mais de contribuer à la faire disparaître. Avec empathie et respect des personnes, seules décisionnaires ».
Curieusement, les auteurs-es de la tribune omettent d’indiquer que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que « les femmes travailleuses du sexe ont 13,5 fois plus de risques de vivre avec le VIH que les femmes de la population générale en âge de procréer ». Ils ne citent pas non plus des travaux scientifiques français qui indiquent que la prévalence du VIH se révèle plus élevée chez les travailleuses et travailleurs du sexe usagers de drogues. N’est pas non plus cité l’Onusida qui expliquait dans une note d’orientation en 2009 : « les données épidémiologiques concernant les taux d’infection à VIH parmi les professionnels-les du sexe et leurs clients sont un reflet de l’échec de la réponse à leurs besoins en matière de droits humains et de santé publique ».
Ils ne tiennent pas davantage compte d’autres sources et d’autres données. On les trouve dans un récent post de Thierry Schaffauser sur son blog « Ma lumière rouge« . Militant au Strass (Syndicat du travail sexuel), travailleur du sexe, il revient sur l’idée souvent énoncée , comme dans cette tribune médicale, que « le travail du sexe constituerait une atteinte à la santé physique que psychique » et que « l’espérance de vie des travailleurs et travailleuses du sexe ne dépasserait pas 40 ans. « Le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) affirme dans son rapport de 2010 que : « L’activité prostitutionnelle ne représente pas, en elle-même, un facteur de risque de transmission du VIH/sida, ni pour les personnes qui l’exercent, ni pour leurs clients ». Cette position est proche de celle de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui estime, quant à elle, au sujet des risques de santé qu’ils « se manifestent avec une acuité très variable selon les modes et les conditions d’exercice, et selon le profil des personnes qui se prostituent ». C’est donc une multiplicité de facteurs qui prévaut et non l’exercice du travail sexuel comme cause unique ou principale. De son côté, la Haute autorité de santé (HAS) a publié un rapport en 2016 compilant une cinquantaine d’études sur le sujet. Hormis une surexposition aux violences (notamment pour le travail sexuel de rue), et une surconsommation de tabac (comparable aux chômeurs et travailleurs pauvres), il n’est pas possible scientifiquement d’affirmer que les travailleurs et travailleuses du sexe souffrent davantage de troubles physiques ou psychiques que la population générale. Au contraire, le rapport met en lumière le manque de données permettant de faire le lien entre exercice du travail sexuel et la survenue de troubles mentaux ». Comme on le voit, le sujet n’est décidément pas simple et les données bien plus complexes et nuancées que la tribune médicale — de surcroît méprisante pour les opposants-es à la loi de 2016— , publiée par le « Journal du Dimanche », ne le prétend.
(1) : Les signataires sont la Dre Emmanuelle Piet (présidente du Collectif Féministe contre le viol), le Dr Patrick Pelloux (urgentiste au Samu de Paris), la Dre Muriel Salmona (psychiatre, présidente de Mémoire traumatique et victimologie) la Dre Ségolène Neuville (spécialiste des maladies infectieuses, ancienne députée PS), la Dre Marie-Hélène Franjou (présidente de l’Amicale du Nid), la Dre Ghada Hatem-Gantzner (gynécologue), la Dre Annie-Laurence Godefroy (médecin généraliste), la Dre Judith Trinquart (médecin légiste), la Dre Marianne Baras (médecin légiste), le Dr Frédéric Boursier (médecin légiste), la Dre Sarah Abramowicz (chirurgienne) et la Dre Sandrine Viguie (Centre de Planification familiale et PMI).