Lors du vote de la loi asile-immigration à l’Assemblée le 22 avril, un amendement mentionne le « délit de solidarité » : ce dernier lève notamment l’interdiction de « l’aide à la circulation » sur le territoire des sans-papiers.
Le projet de loi asile-immigration a été adopté dimanche 22 avril en première lecture par l’Assemblée nationale. Outre la réduction du délai de traitement des demandes d’asile et l’allongement de la durée des rétentions administratives, le texte porté par Gérad Collomb a finalement intégré un assouplissement du « délit de solidarité ».
Employé par les politiques dès les années 1990, le terme « délit de solidarité » n’a jamais été écrit en France « noir sur blanc » dans un texte de loi. Il fait pourtant référence à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) datant de 1945. Ce dernier prévoit jusqu’à cinq ans de prison et 30.000 euros d’amende pour « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjours irréguliers, d’un étranger en France ». L’amendement à la loi asile-immigration précise les modalités d’accompagnement des séjours de migrants en situation irrégulière en France. Sa nouveauté réside avant tout dans l’autorisation d’une aide « à la circulation » de sans-papiers sur le territoire. Un acte qui, auparavant, était interdit.
J’ai rencontré ces filles. Elles étaient gelées. Sur les trois, deux étaient blessées. L’une avait la rotule cassée et l’autre, une brûlure au troisième degré.
– Pierre-Alain Mannoni, condamné pour les avoir aidées
À cette nouvelle, Pierre-Alain Mannoni, 47 ans, est soulagé. En septembre dernier, l’enseignant-chercheur à l’université de Nice a été condamné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à deux mois de prison avec sursis pour avoir transporté dans sa voiture trois Érythréennes, alors hébergées dans un squat, un local SNCF désaffecté. C’était tard dans la soirée du 17 octobre 2016. « J’ai rencontré ces filles. Elles étaient gelées. Sur les trois, deux étaient blessées. L’une avait la rotule cassée et l’autre, une brûlure au troisième degré, raconte l’enseignant. Ne pas aider ces personnes aurait été inhumain. »
Arrêté lors d’un péage, Pierre-Alain Mannoni est mis en garde à vue. Les filles sont emmenées à la police des frontières. « Là, on leur a demandé de “nettoyer les chiottes” puis on les a laissées sans soin pour leurs blessures, sans repas, sans couverture », selon l’enseignant qui, depuis, a recueilli les récits des Érythréennes. Ces dernières ont maintenant obtenu le droit d’asile en Allemagne. Fin de l’histoire pour elles. Mais pas pour Pierre-Alain Mannoni, qui s’est pourvu en cassation. « La fraternité est un principe de notre devise, pourquoi ne peut-on pas faire référence à cette notion pour l’accueil des migrants ? »,interroge-t-il.
La question de l’aide à l’entrée sur le territoire
Si le projet de loi asile-immigration est voté en seconde lecture, les « Pierre-Alain Mannoni » de demain pourront covoiturer ou transporter des personnes migrantes tout juste arrivées en France. Ceux qui, en revanche, faciliteraient les entrées illégales sur le territoire continueront à encourir jusqu’à cinq ans de prison et 30.000 euros d’amende. Une interdiction qu’Esther Benbassa, sénatrice de Paris et directrice d’étude à l’École pratique des hautes études (EPHE) rêve de voir lever. « Il faut ajouter à un tel amendement “l’exception de nécessité de l’aide à l’entrée”, estime-t-elle, une personne qui rencontre un migrant en situation de détresse à la frontière doit pouvoir l’aider à entrer en France sans être en infraction. » L’élue écologiste a déposé le 24 janvier dernier une proposition de loi visant à abolir purement et simplement le « délit de solidarité » tel qu’il est stipulé dans l’article L 622-1.
Un avis que ne partage pas Erwan Balanant. Le député Modem de la 8ème circonscription du Finistère a participé à la rédaction de l’amendement. « Je ne vois pas comment nous pourrions aller plus loin sans encourager la mise en place de réseaux de passeurs, explique-t-il, une personne qui va délibérément chercher les migrants de l’autre côté de la frontière pour les ramener en France n’a pas la même intention que celle qui aide par solidarité quelqu’un croisé sur la route. » Une allusion au cas de l’agriculteur et militant de l’association Roya citoyenne Cédric Herrou. Ce dernier a été condamné le 8 août 2017 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à quatre mois de prison avec sursis pour aide à l’immigration clandestine. Le local SNCF désaffecté devant lequel Pierre-Alain Mannoni a rencontré les trois Érythréennes, c’est lui, Cédric, qui l’occupait avec cinquante-sept migrants érythréens dont vingt-neuf mineurs.
Action de solidarité ou opération militante ?
Auparavant, il les avait aidés à passer la frontière franco-italienne. « Quand l’aide à l’entrée s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante, et non une réponse à une situation de détresse. Ce service constitue, à ce titre, une contrepartie », avait estimé l’avocat général, Christophe Raffin, lors du procès de Cédric Herrou en première instance. Il s’appuyait sur la notion de « contrepartie », introduite en 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. Un terme juridiquement flou, utilisé dans les faits pour établir une distinction entre un acte spontané de solidarité et la participation calculée à une opération militante opposée à la loi. Les gestes de solidarité de la part de bénévoles « ne peuvent être mis sur le même plan que ceux visant à faciliter l’entrée irrégulière sur le territoire : l’État a le droit et la responsabilité de contrôler ses frontières et ne peut tolérer le contournement de ces contrôles, contournement bien souvent motivé par une volonté politique, celle de faire échec à l’action de l’État », précise l’exposé sommaire de l’amendement.
Signe de la difficulté d’établir une distinction claire, c’est la sixième fois depuis les années 1990 qu’un texte tente de préciser les limites du « délit de solidarité », de l’article L622-1. En juillet 1996, puis en mai 1998, les lois Toubon et Chevènement ont ajouté la notion d’immunité familiale. En 2003, est ajoutée l’exemption du « danger actuel ou imminent ». En 2007, le texte est durci par Nicolas Sarkozy. En 2012, Manuel Valls lève l’interdiction sur l’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France mais à condition qu’elle ne soit pas motivée par « une contrepartie directe ou indirecte ». Des modifications à l’image d’une question migratoire qui reste, pour chaque gouvernement, insaisissable.