Visite surprise
A la veille de la loi asile et immigration, Explicite a pu accompagner deux sénatrices dans leur visite-surprise du CRA de Coquelles, en contexte post-Jungle.
11 avr. 2018 –
A Deux pas du No man’s land de Calais
Depuis mars 2016, les parlementaires ont tout loisir de visiter à l’improviste les espaces de privation de liberté (gardes à vue, zones d’attente, CRA…) tout en étant accompagnés par la presse. « Il faut venir sur place, il faut voir comment on accueille les étrangers », plaide l’élue.
Une excursion à fort potentiel à la veille de la loi asile et immigration. Prévu pour mai, le texte d’ores et déjà controversé devrait durcir les conditions de rétention des sans-papiers. Notamment en hissant à 90 jours la durée maximale des séjours — contre 45 aujourd’hui.
On poireaute 30 minutes, on dégaine nos cartes de presse. La délégation de trois sénateurs et de quatre journalistes peut finalement pénétrer dans l’enceinte. Verbe policé, tout sourire, un capitaine de police se charge du tour du propriétaire :« Nous avons 79 places au CRA. 77 sont prises. Pour vous décrire la coloration, sans mauvais jeux de mots, il y a 21 Maghrébins, 36 Albanais, les autres sont de la corne de l’Afrique ». D’avance, il esquive les questions : « Vous verrez, ils ne sont pas maltraités ici… »
« Vous verrez, ils ne sont pas maltraités ici… »
Posé à deux pas du terminus de l’Eurostar et de l’ancienne Jungle, le centre de rétention de Coquelles se dresse en terrain miné. Il jouxte le No man’s land de Calais. Vallonnée et hostile, cette zone est hérissée de 47 kilomètres de murs et de barbelés. Des milliers de migrants s’y aventurent chaque année pour gagner l’Angleterre. Pour les plus malchanceux, le CRA de Coquelles, à moins de 38 kilomètres des côtes anglaises, sera la dernière escale. De là, beaucoup sont rapatriés.
L’édifice qui enferme les sans-papiers vient en kit avec un poste de la police aux frontières (PAF), mais aussi une annexe du tribunal de grande instance. De quoi de juger à toute blinde les étrangers, sans les convoyer jusqu’à Calais.
Teint Blafard, yeux cernés
Descente d’escalier, dédale, enfilade de portes fermées à double tour : l’officier de police nous conduit dans le ventre du CRA, au sous-sol. Dans les couloirs exigus de la « zones de vie », il y a dizaine de sans-papiers qui papotent devant la distributeur de confiseries. Ayoub, visage cerné, teint blafard, est enfermé depuis trente jours. Il a des soucis psychiatriques : « Ils veulent pas me libérer. Je suis traumatisé psychologiquement. Je suis traumatisé. On dort mal, ça fait depuis que je suis là que je demande à voir un psychologue. Même les criminels, ils y ont le droit en prison. »
Ce petit monde s’agglutine dans des espaces riquiqui. Dix mètres carré, deux lits superposés, pas de rideau : « les chambres sont petites mais on ne peut pas non plus pousser les murs », plaisante un surveillant à la bedaine. Petit point vocabulaire : ici on ne dit pas « cellules » et « détenus », mais « chambres » et « retenus », c’est plus joli.
Quant aux fournitures — draps, serviettes — elles ont été réduites à peau de chagrin. Raisons de sûreté, invoque le capitaine : « Il y a peu, un Iranien a encore essayé de se pendre avec son drap en l’accrochant au détecteur de fumée ».
« On ne mange pas à notre faim »
A proprement parler, le CRA n’est pas une prison. Les étrangers y entrent en vue d’être expulsés. Quelques uns ressortent libres, mais abîmés par leur séjour en rétention. « On ne mange pas à notre faim. Il y a pas de nourriture halal, alors on mange que le poisson et il n’y en pas tous les jours », déclame un Tunisien à la casquette fluo. Il a été écroué il y a 45 jours après un contrôle à la gare de Creil. Depuis, il a pris l’habitude de se rabattre sur les laits-fraise du distributeur. « Les conditions sont sommaires, mais l’intimité est sauvegardée, assène l’officier de police. Et il y a une liberté de mouvement. »
Onze Albanais arrivés en camion
Il n’y a que des hommes à Coquelles, et chacun a un tumultueux périple à raconter. « Je suis arrivé d’Albanie caché dans un camion avec 11 autres personnes. Il n’y a rien en Albanie. On va tous en Angleterre pour du travail, il y a une grande diaspora là-bas », explique un Albanais de 26 ans dans le local de l’association France Terre d’Asile. A Londres, il voulait travailler dans le bâtiment. Mais il sera probablement renvoyé à Tirana.
Emmitouflé dans une doudoune noire, torse nu, Mohamed, erre depuis 36 jours dans les entrailles du CRA. Le Marocain raconte qu’il s’est fait pincer à Calais dans un bus en partance pour l’Angleterre. Et bien qu’il n’ait rien pour prouver son âge, il n’en démord pas : « Je suis mineur, j’ai 16 ans, je suis né le 5 mars 2002 ». La cour d’appel de Douai en a décidé autrement. Une décision curieuse de la juridiction, que Mohamed extirpe de sa taie d’oreiller, spécifie ceci : « Né le 01/01/2000 à Tanger (Maroc) » Par un acte de magie administrative, le voilà âgé de 18 ans, exactement.
Aziz, lui, se plaint de ne pas recevoir les médicament dont il a besoin : « J’ai eu un accident de moto il y a longtemps, j’ai des douleurs tous les jours, et les infirmières ne me donnent que du Doliprane ». Déformé par la collision, il souffre d’une incapacité permanente ponctuelle (IPP) à 75%. Le vingtenaire déplie sous nos yeux un document, cacheté d’un médecin de Ksar Saïd, qui liste ses diminutions. On y lit des choses comme « laxité antéro-inférieure », « accroupissement impossible », « boitement gauche », « cicatrice de 27 centimètres sur la jambe ». Cette dernière strie tout son muscle.
A tout juste 18 ans, son voisin Ahmed témoigne d’une autre bizarrerie. Originaire de Casablanca, il avait effectué une demande d’asile à Lille. Rendez-vous était pris 10 avril. Avant qu’il ne tombe dans l’escarcelle de la PAF avant-hier : « C’est illégal, ma demande de demande d’asile n’a même pas eu le temps d’être traitée », s’égosille-t-il. Son dossier devrait bientôt passer devant le juge des libertés et des détentions (JLD), affecté au CRA. Chacun y passe à la chaîne, dans les 48 heures après leur arrivée.
Des rétentions à rallonge
L’étage au-dessus, dans le sas d’entrée, quatre arrivants attendent justement leur passage devant le JLD. Les registres de rétention, de gros classeurs où toute leur vie administrative est résumée, s’empilent en pagaille sur le comptoir d’à côté. L’un d’eux est grand ouvert à la fiche n°678. Celle d’un Albanais de 49 ans, en cellule depuis le 22 mars : « Objets écartés : un briquet, des médicaments remis à l’infirmerie. Conserve à sa demande 3 billets de 50 euros, 2 billets de 20 euros« . Juste à droite, on voit, dans la bagagerie, les sacs dégouliner des étagères. Et encore, « les migrants voyagent léger, c’est de l’immigration de passage », plaisante un policier.
Outre les Albanais, interceptés avant leur traversée pour la Grande-Bretagne, ou les Maghrébins, dont le visa a expiré, il y a ceux qui fuient l’Erythrée ou le Soudan. Eux, « on a toutes les peines du monde à les faire reconnaître par leurs consulats, explique l’officier de police devant le comptoir. La cause première d’échec d’une procédure de reconnaissance et de la longueur des rétentions, est cette difficulté à communiquer avec les autorités consulaires ».
Reste qu’en moyenne, selon le policier, les retenus ne passeraient que 8 jours et demi au CRA, avant libération ou rapatriement. Un turnover extrêmement fort, qui nourrit les critiques contre le projet de loi de la Macronie. « Cette chiffre prouve qu’il est totalement inutile de faire passer les délais de rétention de 45 à 90 jours », explique, remontée, la sénatrice Esther Benbassa au sortir du CRA. De la visite, elle garde un arrière-goût amer : « Il y a une grande promiscuité, pas de rideaux aux fenêtres, et l’association sur place n’est pas investie. » Sa collègue, la sénatrice PCF Michelle Gréaume, conclut sur un constat similaire : « C’est quasiment de la détention. »