Notre pays exprime chaque jour un peu plus ses colères. Du monde étudiant à celui des cheminots, de Carrefour à Mobipel, le peuple mobilisé a des visages de femmes et d’hommes, reflets de toutes les diversités. Notre époque #MeToo nous rappelle combien les figures populaires ne sont pas que masculines, combien les femmes au XXIe siècle ne sauraient être marginalisées et maltraitées. Dans l’espace politique, qui se doit de donner écho à la réalité populaire, nous constatons que la place des femmes reste subalterne. Leurs combats à travers l’histoire, de la Révolution française à Mai 1968, sont oubliés, comme effacés. Ce décalage constitue une faille démocratique majeure.

La loi sur la parité a permis l’accès massif de femmes à la vie politique. Et pourtant, nous sommes encore loin, très loin de l’égalité. Un plafond de verre persiste pour les femmes dans cet univers traditionnellement masculin.

Plusieurs jeunes femmes en politique qui avaient réussi à être visibles, à compter, dans un monde qui ne leur rend pas la tâche facile ont récemment jeté l’éponge. Nathalie Kosciusko-Morizet, Najat Vallaud-Belkacem et Cécile Duflot ont choisi de quitter la politique institutionnelle. Comment ne pas voir un symptôme, un signal d’alerte  ? Chacune a évidemment ses propres raisons et, à l’heure où le non-cumul des mandats dans le temps s’impose comme une idée juste, de nature à vitaliser la politique, les mandats d’élus et de direction de partis qui se suivent et durent une vie entière ne sont sans doute plus d’époque. Mais, devant ces départs féminins en chaîne, de Sandrine Rousseau à Fleur Pellerin, comment ne pas voir la difficulté, la fatigue, la dureté d’être une femme dans un univers façonné par et pour les hommes  ?

Au XXe siècle, les femmes ont conquis le droit de vote, la possibilité de siéger dans les assemblées et de s’exprimer dans l’espace public. Des suffragettes au mouvement #MeToo, des vagues successives portent l’exigence d’égalité, en politique comme dans l’ensemble de la société. Mais voilà  : on ne se débarrasse pas comme ça de mécanismes sexistes si profondément ancrés. Les résistances sont tenaces. Le monde politique a ses codes, ses formes, ses rythmes, ses habitudes qui empêchent, en ce début de XXIe siècle, un exercice à égalité des responsabilités politiques. Notre société s’accorde aujourd’hui autour de l’idée qu’il faudrait une mixité réelle dans la vie publique. C’est un progrès, une conquête. Mais l’idée se heurte au mur du réel, celui des freins matériels et symboliques à l’ascension des femmes en politique comme à leur épanouissement dans ce cadre. Le Président, le Premier ministre, les chefs des grands partis (songeons qu’aucune femme n’a pu être candidate au poste de secrétaire national du PS et de l’UMP  !), le président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat, celui de l’association des maires de France… Bref, foin de parité, le masculin s’impose partout, surtout au sommet, là où se jouent les grandes décisions. Les hommes politiques occupent la place, y compris médiatiquement. Il n’y a qu’à regarder les invités de la semaine dans le journal le dimanche pour voir que dans les grandes émissions politiques, les femmes sont l’exception qui confirme la règle masculine.

Les entraves viennent de loin. Commençons par la temporalité. Le rythme de la vie poli­tique, très chronophage, s’est installé loin de toute prise en compte de la part dite privée de nos vies. Et pour cause  : le modèle fut longtemps simple (et il continue en partie de fonctionner). Les hommes politiques délaissaient aux femmes le soin de s’occuper mentalement et concrètement de tout ce qui relève de la vie domestique et parentale pour s’adonner à toutes les joies et contraintes de la vie politique. Dès lors que les femmes entrent en scène publique – politique mais plus globalement professionnelle – la répartition aurait dû s’en trouver repensée mais la société n’a pas anticipé les réponses à ce nouveau défi. Le rythme politique semble être resté immuable, dans ses horaires, comme dans ses codes. Le présentéisme est toujours une clé déterminante pour gravir les échelons, et les femmes sont socialement lésées dans cet exercice qui n’est pas toujours d’impérieuse nécessité mais qui reste décisif pour être reconnue et progresser. La réduction du temps de travail et le partage des tâches de la maison ne se sont pas imposés comme des objectifs décisifs pour parvenir à l’égalité. D’ailleurs, ce n’est même pas un sujet poli­tique de premier plan.

Les entraves pour les femmes en politique ­relèvent également des représentations. Masculin et féminin, voici deux catégories aux histoires et attributs distincts et hiérarchisés. Les femmes peinent à être reconnues et à se sentir légitimes dans un univers qui leur a été si longtemps interdit. Elles doutent, travaillent deux fois plus, hésitent à s’exposer. L’ambition leur est souvent reprochée quand elle paraît naturelle pour les hommes. Les commentaires sur leur tenue, leur posture sont souvent sexistes, blessants, usants. Se pose inlassablement la question de leur style. Faut-il épouser les normes masculines ou rester féminine dans un monde qui valorise le masculin  ? Comment inventer un nouveau genre  ? Pas simple. Les problèmes de gestuelle ou de voix sont récurrents pour les femmes. La façon d’exprimer la politique s’est façonnée à partir de corps d’hommes, de postures viriles, de micros calés sur des voix masculines. La parole légitime en politique a un ton et un visage quasi exclusivement masculin.

Autre réalité, dans les réunions et dans le ­débat public, les femmes prennent infiniment moins la parole que les hommes. Parce qu’elles y sont minoritaires mais aussi parce qu’elles sont moins écoutées et que leur éducation leur a enseigné que leur avis comptait moins. Le fond sonore monte bien souvent dès lors qu’une femme prend la parole dans une réunion, une assemblée. Dans les cadres informels où se joue aussi la vie politique, les hommes ont pris l’habitude d’être des interlocuteurs mutuels. La stratégie, même entre deux portes ou autour d’un café, reste principalement une affaire d’hommes. Quand une femme participe, elle lutte pour faire valoir sa légitimité, peinant parfois à trouver un regard et une attention au point d’avoir l’impression d’être invisible. Comme si les hommes ne savaient pas quoi faire de ces femmes qui pénètrent leur espace. La force de l’habitude, celle d’un entre-soi cultivé pendant tant de siècles. Les hommes s’appellent, les femmes apparaissent souvent contingentes. Sauf au moment de la photo où de nouveaux réflexes ­imposent de se dire – et encore, pas toujours – qu’il faut des femmes.

Nous caricaturons  ? Même pas. De nombreuses femmes craquent, même si souvent elles se plaignent à bas bruit. Car il est de bon ton de ne pas râler. Pour tenir. En silence, estiment la majorité des femmes en politique, car il est bien vu de savoir mettre ses éventuelles remarques de nature féministe sous le boisseau, tant elles agacent. Certaines se disent qu’il vaut mieux minauder ou faire preuve de patience, c’est plus payant. Le caractère viril de la politique a aussi ses formes violentes dans lesquelles les femmes ne se sentent pas toujours à l’aise pour évoluer dans l’arène. ­Elles espèrent qu’en prenant de biais, ça ira. Le résultat est pour l’instant peu probant… En rabattre sans cesse abîme l’estime de soi et suppose beaucoup d’énergie. Combien, ­au-delà des figures visibles, décident finalement d’abandonner ?

Notre conviction est que pour tenir et gagner notre juste place collective, nous devons parler, nous parler. La sororité est, ici comme ailleurs, un ressort pour que l’égalité progresse. Ensemble, et avec les hommes qui y sont prêts – et il y en a ! – il nous faut inventer des façons nouvelles de faire de la politique. Il n’est par ailleurs plus possible pour des hommes qui se disent féministes d’accepter de perpétuer cette situation. La vie publique, minée par l’entre-soi masculin, a besoin de ce nouveau souffle pour se régénérer. C’est urgent.

Par Clémentine Autain, députée, groupe La France insoumise (LFI), Emmanuelle Becker, conseillère de Paris, groupe communiste, Esther Benbassa, sénatrice, Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV)Elsa Faucillon, députée, groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), Ingrid Hayes,Ensemble, Sarah Legrain, secrétaire nationale du Parti de gauche (PG) aux relations unitaires, Myriam Martin, conseillère régionale, Ensemble Insoumis, Corinne Morel-Darleux,conseillère régionale, LFI, Mathilde Panot, députée groupe LFI, Barbara Romagnan, Génération.s, Sandra Regol, porte-parole et secrétaire nationale adjointe EE-LV, Danielle Simonnet, conseillère de Paris, LFI, Laura Slimani, conseillère municipale à Rouen, Génération.s, Bénédicte Taurine députée, groupe France insoumise, et Marie Toussaint, déléguée à l’Europe, EE-LV.