Collomb et Kalifat : l’indignité nationale
En écartant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen de la « marche blanche » prévue ce soir, le président du CRIF Françis Kalifat a ouvert une brèche dans l’unité nationale. Brèche dans laquelle le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb s’est pris les pieds.
« La position du CRIF est claire et connue : ni Front national, ni France insoumise, ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon. Que les choses soient claires : tous les deux sont pour nous des vecteurs de haine dans notre pays, la haine que nous connaissons de l’extrême droite, d’un côté, la haine d’Israël de l’autre côté, et qui est aussi la haine des juifs en réalité, de l’autre côté à l’exrême gauche. » Ces mots d’une extrême gravité, qui entendent écarter Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon de la marche blanche prévue ce soir en hommage à Mireille Knoll, sont ceux de Françis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, le CRIF.
Alors qu’il régnait dans le pays un climat de consensus républicain, par le fait même de Jean-Luc Mélenchon qui a été largement salué hier à l’Assemblée nationale après son discours en hommage au gendarme Arnaud Beltrame, « héros de la condition humaine » le CRIF, s’arrogeant le monopole de la lutte contre l’antisémitisme, s’est rangé du côté des haineux. Visiblement indigné par cette attitude antirépublicaine, le fils de Mireille Knoll a lui-même réagit ce matin sur BFM : « Tout le monde peut venir à la marche blanche (…). Le CRIF fait de la politique, moi j’ouvre mon cœur », a-t-il lancé au micro de Jean-Jacques Bourdin.
Si la position du président du CRIF ne sera sans doute pas partagée par l’ensemble de ses membres – de qui le CRIF est-il d’ailleurs représentatif ? –, il n’en est pas à son premier coup d’essai. Dans une longue tribune publiée dans Libération en février 2010, la sénatrice écologiste Esther Benbassa avait déjà remarqué que « lorsque le CRIF organise son dîner annuel et qu’il lance des fatwas contre les uns et les autres, quand les politiciens de tout bord, y compris le Président et le Premier ministre, y accourent, personne n’ose parler de communautarisme ».
Combattre l’antisémitisme sans communautarisme
Et parce que précisément il n’est pas question de communautarisme – la marche blanche qui aura lieu ce soir n’est pas celle d’une organisation communautaire mais celle de milliers d’hommes et de femmes, humanistes, profondément attachés aux valeurs républicaines –, les propos de Kalifat interroge sur les intentions du CRIF. Une organisation, qui se fait désormais le porte-voix d’un Etat en pleine extrême-droitisation. Ainsi que le rappelle le journaliste Dominique Vidal : « Le CRIF se mue progressivement en seconde ambassade d’Israël, considérant la défense de « l’État juif » comme sa priorité au même titre que la lutte contre l’antisémitisme ».
Ce matin, à propos du président du CRIF, le journaliste a d’ailleurs tenu à rappeler quelques éléments dans un article publié dans Regards : « Francis Kalifat devrait se livrer à un examen de conscience avant de distribuer des brevets de civisme antiraciste aux uns et aux autres. » Le journaliste rappelle en effet que « dans la biographie de Francis Kalifat publiée, lors de son élection par Le Figaro, il était précisé que, jeune, ce Monsieur avait été responsable d’un mouvement d’extrême droite juif, le Betar. »
Faut-il rappeler que ce groupe, fondé par Zeev Jabotinsky, bénéficiait du soutien affiché et actif de Mussolini, qui avait mis à sa disposition une école de cadres à Civitavecchia et un émetteur radio à Bari ? Le Duce ne tarissait d’ailleurs pas d’éloges au sujet du leader révisionniste. « Pour que le sionisme réussisse, il vous faut un État juif, avec un drapeau juif et une langue juive. La personne qui comprend vraiment cela, c’est votre fasciste, Jabotinsky », confia-t-il en 1935 à David Prato, futur grand rabbin de Rome. »
Les propos indignes de Gérard Collomb
Comment comprendre alors, dans ce contexte particulièrement nauséabond, ces mots de Gérard Collomb, qui après avoir rappelé sur France Inter ce matin que « Jean-Luc Mélenchon [appartenait] à la famille républicaine » a finalement dérivé sur le terrain religieux de la « rédemption » et du « pêché » ? Le propos est indigne. Et révoltant. Il tend ainsi à légitimer à la fois la « fatwa » du président du CRIF à l’égard de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen mais aussi à accréditer l’idée que le leader de la France insoumise aurait eu par le passé, des attitudes ambiguës. Jusqu’à l’accuser, lui et sa famille politique, d’antisémitisme ? Les bornes ont été dépassées. Jean-Luc Mélenchon n’a rien d’une antisémite. Tout d’un républicain, humaniste.
Ailleurs, sur twitter notamment, ils sont plusieurs à avoir dénoncé l’attitude du président du CRIF : de Raphaël Gluksmann à Jean Birnbaum en passant par Raphaël Enthoven. Le combat contre l’antisémitisme n’est pas celui d’une organisation. Encore moins celui d’une communauté. Et il n’est pas non plus le combat d’un ministère ou d’un ministre. Il est celui de tous. Le reste n’est que crime et infamie.
Il n’y a pas de monopole dans la lutte contre l’antisémitisme. Il y a en revanche des citoyens engagés et rassemblés, par-delà les étiquettes, dans la lutte contre le racisme et la xénophobie. Et la haine de l’autre aussi. « Il y a parfois des moments rares, suspendus, où un homme ou une femme politiques se hissent au niveau d’un peuple et sont capables de parler en son nom », a lancé hier l’ancien député écologiste Sergio Coronado, pour saluer l’intervention de Jean-Luc Mélenchon qui rendait hommage à Arnaud Beltrame. Jean-Luc Mélenchon a parlé en mon nom. Pas Gérard Collomb.