Loi contre le harcèlement de rue : « N’entrons pas dans la société de la punition, à tout prix » (TV5Monde, 21 Mars 2018)

Loi contre le harcèlement de rue en France : efficace ou pas…

Illustration issue du rapport du HCEfh sur le harcèlement de rue, citations issues des témoignages recueillis sur le tumblr « Paye ta shnek »

Illustration issue du rapport du HCEfh sur le harcèlement de rue, citations issues des témoignages recueillis sur le tumblr « Paye ta shnek »
​http://payetashnek.tumblr.com

Promue cause nationale par le président Emmanuel Macron, la protection des femmes est au cœur du Conseil des ministres du mercredi 21 mars 2018. La secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa y présente son projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, qui prévoit entre autres de sanctionner tout type de harcèlement de rue. Un texte qui suscite beaucoup de questions.

Nécessité absolue pour certains, gadget symbolique pour d’autres, ce projet de loi, dit « de harcèlement de rue » divise. Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a remis ce lundi 19 mars 2018 sa contribution sur le sujet à la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, dans laquelle, la notion « d’agissement sexiste » est mise en avant pour pénaliser ce qui ne l’était pas encore dans les textes existants.

Ernestine Ronay, co-rapporteure de cette contribution estime que cette notion existe déjà dans le code du travail, et doit rentrer dans le code pénal, sous la forme d’un nouvel article de loi. Selon la définition, « La notion d’agissement sexiste est définie comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant et offensant ». Pour la représentante du HCEfh, ce projet de loi est indispensable pour participer au débat initié par l’affaire Weinstein et le hashtag #MeToo : « La loi dit ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Si ça fait réfléchir, ça aura un aspect positif. La répression en fait partie. » Depuis la parution du rapport, les internautes s’interrogent aussi sur la définition de « l’acceptable ».

La France s’inspire de la Belgique qui a déjà mis en place une loi similaire, dite « loi contre le sexisme », pénalisant le harcèlement de rue, depuis avril 2014, sans réel succès. C’est ce que regrette la sénatrice d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), Esther Benbassa : « On s’inspire d’une loi qui a prouvé son inefficacité. Il y a eu peu de condamnations. On est uniquement dans le symbole, la communication. », déplore-t-elle. La sénatrice craint cependant une dérive : « N’entrons pas dans la société de la punition, à tout prix. »

L’autre argument majeur contre ce projet de loi vient du milieu associatif, qui travaille sur le terrain dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Fatima-Ezzahra Benomar, co-fondatrice du collectif « Les effronté.es » fait part de son appréhension de voir les délits de véritable harcèlement se transformer en agissements sexistes : « Une loi existe déjà. Les mains aux fesses et injures sexistes en public sont déjà passibles de peine de prison. Là il y a un risque de dégradation dans la qualification de ces délits, avec une amende de 90 euros. »

Une loi impossible à appliquer ?

La mise en pratique de cette loi pose question. Comment faire constater le flagrant délit ? Et faire verbaliser le potentiel harceleur à l’instant T ?
Du coté du HCEfh, on admet que cela nécessite une formation particulière des forces de l’ordre et des moyens techniques et humains plus importants qu’aujourd’hui, à travers la création de « la police de sécurité du quotidien ». Néanmoins, prouver l’outrage au moment de sa réalisation demeure quasiment impossible selon Fatima-Ezzahra Benomar. « Ce flagrant délit peut tourner à la triple humiliation pour les femmes : Subir un agissement problématique, en deçà de ce qui est considéré comme agression, essayer de trouver un policier à ce moment, et tenter de lui prouver qu’il faut verbaliser. Ça reste sujet à l’interprétation de chacun. », désapprouve-t-elle.

La militante rappelle également le contexte particulier en France. L’État a déjà été condamné pour discrimination par contrôle au faciès : « Comment prouver ces agissements sexistes ? Ça va se juger à la tête du type. Si c’est un veux monsieur en costume, le policier ne va peut-être pas oser lui mettre une contravention. Si c’est un jeune racisé, avec sa casquette à l’envers, il hésitera moins car il sera crédible a ses yeux. »

Certains craignent déjà même une chasse à l’homme.

Législation ou éducation

Le point d’accord, c’est la nécessité d’éduquer, de sensibiliser la société au respect des femmes, dans tous les domaines.

La limite entre drague et harcèlement est assez clair pour Ernestine Ronay : « Draguer c’est être dans la réciprocité. C’est la seule condition. » Même son de cloche pour la militante des Effronté.es, Fatima-Ezzahra Benamor : « La séduction, c’est aller vers l’autre. On y va subtilement. On cherche le moindre signe que la personne en face est partante. C’est le caractère répétitif qui fait le harcèlement. Au bout de la deuxième fois après un refus, on n’est déjà plus dans la drague. Le harcèlement c’est l’intention de faire payer à une femme le fait d’être dans l’espace public. »

Pour la sénatrice Esther Benbassa, si le projet de loi est symbolique, reste l’effort pédagogique : « Il faut de la prévention. Sans prévention auprès public mais aussi des professionnels que ce soit à l’Education Nationale, dans la magistrature, etc, nous n’aboutirons à rien. Par exemple, pourquoi ne pas nous inspirer des pays nordiques, qui ont inclus dans leurs programmes scolaires une éducation sexuelle qui prend en compte le respect du corps, le consentement ? »

Les campagnes de sensibilisation restent encore très frileuses quand il s’agit d’aborder la question du harcèlement de rue ou dans l’espace public. Pour exemple, la dernière campagne de la RATP, associée à la région Ile de France fait polémique pour avoir représenté les agresseurs en animaux dangereux. Ernestine Ronay estime qu’il faut aller plus loin que cette imagerie : « Les agresseurs ne sont pas des animaux, ils sont bien des humains, comme nous. C’est très important de designer les hommes violents pour ce qu’ils sont. Je n’aime pas non plus que la femme soit représentée seule dans le métro. On n’est jamais seules. Il y a du monde autour qui doit venir en aide. »