Immigration : Patrick Kanner accuse Gérard Collomb d’être dans « une course à l’échalote au populisme »
Le projet de loi asile et immigration de Gérard Collomb divise. La gauche dénonce un texte « de droite » qui « tourne le dos à l’humanité ». Les LR dénoncent un texte qui ne va pas assez loin et l’absence « de cohérence globale ». De quoi placer Emmanuel Macron au centre.
Le sujet a divisé la majorité LREM, avant même que le texte arrive. Le voici. Le ministre de l’Intérieur a présenté, ce mercredi, son projet de loi sur l’asile et l’immigration en Conseil des ministres. Le texte vise à réduire à six mois les délais d’instruction des demandes d’asile et à faciliter, en même temps, la reconduite à la frontière pour les déboutés. Pour faciliter les expulsions, la durée maximale de rétention est doublée pour être portée à 90 jours, voire à 135 en cas d’obstruction. Les délais de recours passent d’un mois à 15 jours.
Gérard Collomb défend un texte « totalement équilibré ». « Je n’ai aucune crainte par rapport à la majorité » assure l’ancien socialiste. Il présentera son texte devant « l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale et ensuite du Sénat, afin qu’il y ait un large débat ». Pour lui, le texte ne fait que « s’aligner sur le droit européen ». « On reste encore très en deçà du droit européen et de pays qui ne passent pas pour être particulièrement rétifs par rapport au droit d’asile, comme l’Allemagne, l’Italie, la Suède » insiste le ministre de l’Intérieur.
Au Sénat, le projet de loi ne semble pas diviser le groupe des sénateurs LREM, comme il le fait chez les députés. « Le texte ne soulève pas, pour l’heure, de critique majeure » assure à publicsenat.fr François Patriat, le président du groupe. « On va attendre le débat à l’Assemblée nationale, il y aura sans doute des évolutions par amendement » ajoute le sénateur de Côte-d’Or, qui y voit un équilibre entre « humanité et fermeté ».
« Gérard Collomb montre ses muscles »
La gauche et les associations dénoncent eux vertement le projet de loi du gouvernement. « Il semblerait que le Conseil d’Etat estime que ce texte est inutile, qu’il fallait laisser la loi Cazeneuve prospérer », note le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, interrogé par publicsenat.fr. « C’est en réalité un acte politique, dans la foulée de la proposition de loi Warsmann, sur laquelle nous avons déposé un recours. Ce durcissement des procédures est un affichage. Gérard Collomb montre ses muscles. C’est une démarche que nous allons combattre avec nos amendements » prévient-il. Après le maintien des modifications du Sénat sur la loi Warsmann, le sénateur du Nord dénonce une « collusion dans la dureté entre la droite et LREM, qui tourne le dos à l’humanité dont fait preuve notre pays sur les demandes d’asile ».
Patrick Kanner a des mots durs, pour son ancien camarade du Parti socialiste : « On voit une forme de suivisme par rapport aux tendances populistes. Les Français sont favorables à cela quand on les interroge. C’est le repli sur soi qui l’emporte dans notre pays. On a l’impression que le gouvernement est une caisse de résonance amplificatrice. Gérard Collomb oublie tous ses engagements historiques pour prêter le flanc à une course à l’échalote au populisme. Là, on est vraiment dans une politique de droite ».
Pour la sénatrice écologiste Esther Benbassa, membre du groupe communiste, « ce texte est indigne ». Il va « probablement nourrir les pages noires dans l’avenir de notre histoire » a-t-elle affirmé sur Public Sénat. « Lorsque des personnes feront un recours, il n’y aura pas d’effet suspensif. On pourra expulser ces personnes, et en même temps, elles pourraient faire leur demande d’asile… » ajoute Esther Benbassa, qui pointe aussi « l’augmentation de la durée de rétention. Mais ce sont des gens qu’on va priver de liberté ! »
« En réalité, on raccourcit les délais pour pouvoir protéger moins de demandeurs »
Du côté des associations, Alain Esmery, membre de la direction de la ligue des droits de l’homme, dénonce « un projet de loi très largement déséquilibré. Il va dans un sens de répression du fait migratoire. Il faut rappeler que les gens qui viennent, ne viennent pas car ils ont entendu parler d’une douche gratuite et froide à Calais, mais parce qu’ils fuient des violences tellement terribles qu’ils quittent leur pays où ils ont nés et leur famille ». Regardez (images Quentin Calmet) :
Pascale Taelman, avocate et membre de l’association Elena, un réseau d’avocat pour le droit d’asile, pointe pour sa part le « faux prétexte » de la réduction du délai de traitement des dossiers. « Plus on raccourcit le délai au niveau des demandeurs, plus on les empêche, en réalité, de pouvoir se présenter dans de bonnes conditions devant leur juge. En raccourcissant à 15 jours le délai pour faire le recours de la décision de l’Ofpra devant la Cour nationale du droit d’asile, on risque d’amener des requéreurs à ne pas pouvoir faire leur recours. (…) En réalité, on raccourcit les délais pour pouvoir en protéger moins » soutient Pascale Taelman. Regardez :
« Pas grand-chose sur tout ce qui touche au traitement de l’immigration irrégulière » pour la droite
La droite n’est pas satisfaite non plus du texte. Mais pas pour les mêmes raisons. « On nous annonçait un grand texte sur l’asile et l’immigration. Ce n’est pas ce qu’on a. Le texte vise des mesures techniques de procédure, pour certaines intéressantes. Mais on n’a pas grand-chose sur tout ce qui touche au traitement de l’immigration irrégulière, qui est le problème de fond pour nous » affirme François-Noël Buffet, sénateur LR du Rhône, « il n’y a pas de cohérence globale ». Il raille par avance les amendements qui pourraient reprendre les propositions du rapport Taché sur l’intégration. « On a bien compris que ce sera le moyen d’avoir une majorité à l’Assemblée. On se présente comme méchant et on accepte vos gentils amendements. La technique est archi connue ».
Mais pour le sénateur LR, « le problème majeur en matière d’immigration est la capacité de renvoyer ceux en situation irrégulière. Donc la priorité à donner aux accords de réadmission ». Gérard Collomb revendique pourtant cette fermeté. « Il y a eu + 22 % d’éloignements entre janvier 2017 et janvier 2018. Ça montre une certaine efficacité » soutient le ministre de l’Intérieur.
« Un enfumage de plus » pour le FN
Pour le FN également, sans surprise, le texte ne va pas assez loin. « C’est un enfumage de plus » du « metteur en scène Macron » selon le sénateur FN des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier. Il note que « le budget pour lutter contre l’immigration clandestine baisse de plusieurs millions d’euros. Et 97% des déboutés du droit d’asile restent en France et bénéficient de toutes les aides sociales ». Stéphane Ravier y va au passage de sa remarque complotiste. Pour le sénateur FN, les associations qui montent au créneau, « ça fait partie de cette mise en scène ».
Il faudra attendre de voir les débats au Palais bourbon pour savoir si les désaccords au sein de la majorité s’estompent. Mais ces attaques politiques multiples présentent pour l’heure un avantage pour Emmanuel Macron et le gouvernement. La gauche reproche à l’exécutif un manque d’humanisme et la droite, contrainte de ranger ses critiques sur les réformes économiques, se retrouve à dénoncer un texte qui ne va pas assez loin. L’exécutif peut ainsi se placer au centre et prétendre défendre une position d’équilibre.