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Chère Eva, votre meeting, ici, à Grenoble, revêt un sens hautement symbolique. Celui d’une contre-offensive d’Europe Ecologie – Les Verts face aux dérives du racisme et des discriminations.
Depuis des mois, vous appelez les Français à construire une société responsable de la planète, de l’environnement, du fonctionnement de ses banques, aussi… Responsable de la démocratie en un mot.
Votre voix est brouillée par les discours nationalo-populistes. Ceux, d’une part, du Front de Gauche, avec qui, pourtant, nous avons des points de convergence. Et ceux, d’autre part, de l’extrême droite. Les uns comme les autres promettent tout ce qu’ils ne pourront pas tenir, parce qu’ils savent qu’ils n’accéderont pas au pouvoir.
Derrière le brouhaha irréaliste des extrêmes, entre les deux mastodontes de la présidentielle, votre voix peine à se faire entendre.
À cela s’ajoutent les frayeurs propres aux périodes de crise, qui font passer au second plan les préoccupations écologiques. On pense d’abord à avoir un travail, à se nourrir, à payer son logement. L’écologie ne vient qu’après. Autre handicap, l’écologie, paraît-il, serait devenue un bien partagé par tous.
Mais vous, brave soldat, résistant à tous les coups, d’où qu’ils viennent, vous poursuivez votre chemin, pavé de convictions qui embrassent l’écologie sans s’arrêter à elle, et qui lui associent ce qui ne devrait jamais en être séparé : une écologie sociale.
Vous défendez avec opiniâtreté les belles idées de tant des membres de notre mouvement, progressistes attachés à la lutte contre les inégalités femmes-hommes, aux droits des LGBT, à une autre manière de penser l’immigration, au combat contre tous les racismes, antisémitisme compris, et contre toutes les discriminations.
C’est ici même, à Grenoble, là où Nicolas Sarkozy a prononcé, le 30 juillet 2010, un discours de sinistre mémoire contre les étrangers et les descendants français d’étrangers, c’est ici, à Grenoble, ce 12 avril 2012, que nous venons porter avec vous le flambeau de notre humanisme commun.
C’est ici que nous devons convaincre les oubliés de la France, les sans-voix de notre pays, qu’aucun beau discours ne suffira à répondre, comme par enchantement, à leurs revendications. Mais qu’il y faudra toujours des actes, nos actes, des actes qui devront survivre aux discours électoraux.
Parce que, sans faillir, quel que soit le résultat des urnes, nous continuerons à agir, nous, les écologistes, dans nos communes, à l’Assemblée, au Sénat, au Parlement européen, dans les médias, aussi. Parce que dans la conception égalitaire et solidaire qui nous anime, l’étranger, l’immigré, le Rom, le descendant d’immigré sont nos frères et nos concitoyens.
C’est à Grenoble que Nicolas Sarkozy s’est prononcé pour qu’un mineur délinquant ne puisse pas acquérir automatiquement la nationalité française à sa majorité. C’est ici qu’il a critiqué l’ordonnance de 1945 qu’il ne considère « plus adaptée aux mineurs d’aujourd’hui ».
Et de fait, en septembre dernier, il faisait concocter la fameuse proposition de loi dite « Ciotti », qui, par simple souci de maquillage, entendait placer 166 délinquants mineurs dans les Epide, nécessitant l’injection de plus de deux millions d’euros. Soi-disant pour sauver la France de la délinquance. Il s’y est repris par deux fois et par deux fois nous avons dit non, au Sénat, à une dérive législative qui traite de plus en plus le mineur délinquant comme un adulte. C’est pour cette raison, encore, que nous avons dit non au projet de loi sur l’exécution des peines dont une partie de l’objectif était de revenir une fois de plus sur l’ordonnance de 1945. La sécurité passe par un travail en amont et ce n’est pas en remplissant les prisons que nous réglerons le problème.
C’est à Grenoble que Nicolas Sarkozy a évoqué son intention d’élargir les motifs de la déchéance de la nationalité « à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». Ces propos, bien sûr, pointaient du doigt toujours les mêmes et ils annonçaient son flirt avec Mme Le Pen.
Ne disait-il pas ceci, à Grenoble : « Nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration ». Les immigrés apportent pourtant bien plus par les impôts qu’ils paient – qu’ils ne reçoivent d’aides sociales. Démographiquement, économiquement, culturellement, nous avons besoin de l’immigration. Quant à la déchéance de la nationalité, elle nous rappelle que la France est hélas régulièrement séduite par le même démon. Celui qui la pousse à transformer en citoyens de seconde zone ses enfants prétendument « allogènes ».
C’est encore à Grenoble que Nicolas Sarkozy annonçait l’évacuation des camps de Roms manu militari. S’il existe un problème Rom en France, ce n’est pas, pourtant, de cette manière-là qu’on le réglera. Sauf à nier la citoyenneté européenne des intéressés et leur liberté de circulation.
Les deux années qui ont suivi le discours de Grenoble, M. Sarkozy et son exécuteur des basses œuvres, M. Guéant, n’ont pas ménagé leur peine pour stigmatiser les immigrés, leurs descendants, et bien sûr l’islam. Avec l’alibi de la défense d’une laïcité rigoriste contrevenant à l’esprit de celle, libérale, qu’a consacrée la loi de 1905.
Nous nous sommes battus, au Sénat, avec toute la gauche, pour faire adopter la loi octroyant le droit de vote et d’éligibilité des étrangers non européens aux élections municipales. Pour que ceux-ci recouvrent leur honneur perdu dans un pays qui les a trop méprisés et pour qu’ils donnent eux-mêmes l’exemple à leurs enfants français souvent abstentionnistes.
Nous avons dit non, nous, écologistes, au Sénat, contre une bonne partie de la gauche, à la proposition de loi visant à étendre le principe de laïcité aux établissements de la petite enfance et en particulier à son article trois, le fameux article anti-nounous-voilées, enième disposition contre le voile.
Nous n’avons pas attendu, comme le Parti socialiste et le Front de Gauche, les tueries de Montauban et de Toulouse pour dénoncer les problèmes des quartiers, auxquels il est urgent de trouver des solutions adéquates afin d’éviter, s’il est possible, qu’ils ne continuent à fabriquer des Khaled Kelkal, des Youssouf Fofana et des Mohammed Merah. Dire cela ne revient évidemment pas à disculper des assassins que rien n’excuse, ni davantage à stigmatiser ces quartiers. Dire cela, et agir pour cela, c’est seulement vouloir travailler pour nos quartiers populaires, et avec eux, à plus de justice et d’égalité.
Chère Eva, vous n’avez pas perdu votre temps à discuter de la viande halal, à faire l’amalgame entre immigration et terrorisme, à donner de bonnes notes à telle ou telle civilisation. Non, votre temps, vous l’avez employé à cerner les vrais problèmes avec raison et empathie. Les solutions ne surgissent que lorsqu’on prend conscience de leur gravité, ainsi que des souffrances de ceux qui, au quotidien, subissent le racisme, les humiliations et les discriminations.
Vous avez aussi su faire de l’écologie quelque chose qui parle à tous et de tout. Car l’écologie est un tout, un combat de tous les jours pour la nature et pour l’environnement, notre bien commun, un combat pour les femmes et les hommes, un combat pour les enfants qui seront les adultes de demain. Un combat de tous les jours, aussi, pour tous ces discriminés avec qui nous avons fait un bout de chemin, et aux côtés desquels nous poursuivrons notre route. Les prochaines étapes se dessinent déjà : suppression du carnet de circulation des gens du voyage, lutte contre le contrôle au faciès (la proposition de loi est déposée, il reste à la faire voter)…
Merci, Eva, d’avancer malgré tous les écueils. Merci pour tous ceux qui partagent déjà votre engagement. Si, aujourd’hui, ils ne sont pas aussi nombreux que nous le souhaiterions, demain, j’en suis sûre, vos paroles seront reprises par d’autres, aussi vaillants et déterminés que vous, pour que la liberté, l’égalité, la fraternité et la solidarité ne soient pas de vains mots mais se transforment en réalités radieuses.
Photos Xavier Cantat