Plus de 400 personnes ont répondu présent à l’appel lancé par Respect Mag et Terra Nova hier. Une soirée-événement s’est tenue à la Bellevilloise à Paris pour célébrer la France métissée et interpeler les candidats sur un « sujet orphelin » de la campagne présidentielle.
« Quand un individu ou une nation ne tient pas compte de cette interdépendance, une folie tragique se manifeste ». C’est avec une citation de Martin Luther King que le comédien Jean-Michel Martial ouvre le bal. Alors que l’affaire Merah reste encore dans les esprits de chacun, cette soirée consacrée au vivre-ensemble a fait salle comble.
A moins d’un mois de la présidentielle, Terra Nova et Respect Mag ont souhaité frapper un grand coup. Et rappeler les 16 propositions présentées aux candidats, en janvier dernier, afin de faire «bouger la République».
La diversité, « sujet orphelin » selon Olivier Ferrand, président du think tank Terra Nova, se devait d’être remise au goût du jour. Au programme : séance de dédicaces avec, entre autres, Karim Miské, Louis-Georges Tin, Mabrouck Rachedi, Fatou Biramah, Berthet One, François Durpaire, Victorin Lurel, Souria Adèle et Françoise Vergès. Mais aussi une table ronde et de nombreux intermèdes artistiques : des extraits du film « Trick Baby » de Marie Vanaret, une lecture par Léonora Miano d’un extrait de son dernier ouvrage « Ecrits pour la parole », des slams de Blade et D’ de Kabal, et la musique de Bams et d’Axiom… Le tout dans une Bellevilloise habillée par plusieurs oeuvres du talentueux Alexis Peskine !
Une initiative citoyenne en faveur de toutes les composantes de notre société, avec un accent fort mis sur la culture. La culture « deuxième absent de la campagne présidentielle », selon Marc Cheb Sun, directeur de la rédaction de Respect Mag. « La France qui prône toujours la diversité culturelle à l’extérieur de ses frontières devrait déjà la réaliser chez elle. Elle apporte d’autres messages et soulève des interrogations. Il suffit de lire Léonora Miano ou de se pencher sur le travail du plasticien Alexis Peskine pour se rendre compte de la créativité et de l’apport des « minorités »».
Le réveil de la société civile
Carole da Silva, Laurence Méhaignerie, Victorin Lurel, Marc Vizy, Noémie Houard, Mehdi Thomas Allal, Kent Hudson, Malik Cervier, Esther Benbassa, Jean-Claude Tchicaya, Maria Giuseppina Bruna, François Durpaire… Des contributeurs et intervenants pour qui le changement doit venir d’en bas. « Vu que ce n’est pas dans l’esprit du temps, il faut batailler pour que ces questions identitaires émergent. Si dans les années 70, on n’avait pas lutté contre la pénalisation de l’homosexualité, on y serait encore », observe Ludovic Zahed, fondateur de HM2F (Homosexuels musulmans de France).
La société civile, oubliée de la campagne ? Pour Françoise Vergès, politologue, « il est nécessaire de rappeler que le changement ne se fera pas sans nous ». Aux citoyens de faire entendre leur voix, quitte à en décontenancer plus d’un. « Les élus sont les premiers surpris lorsqu’ils constatent face à eux l’existence d’une société civile qui s’organise, présente des idées. Force reste au peuple ! », s’exclame Louis-Georges Tin, président du CRAN et auteur de la proposition sur la création d’un ministère d’Etat consacré à la diversité et à l’égalité.
Le peuple, lui, était bien au rendez-vous. Et dans toute sa différence. Geneviève et Marie-Berthe, citoyennes, constatent que la France métissée est absente du discours national au profit des « divisions entre « de souche » et « pas de souche ». Selon elles, les minorités sont un « produit de l’Histoire sur lequel il faut davantage d’éducation ».
D’ailleurs, durant la table ronde consacrée à la transmission culturelle animée par Anastasie Tudieshe, l’historien Pascal Blanchard le rappelle : « En France, il ya 23 musées du sabot et zéro sur l’histoire coloniale ». La salle rit jaune. Maboula Soumahoro, civilisationniste, co-organisatrice de la première édition du Black History Month hexagonal, en février 2012, souligne que l’organisation d’un tel événement est une «façon détournée d’approcher la question noire française». «Il est encore difficile d’entrer droit dans le sujet et de dire « on va parler des Noirs de France en France » précise-t-elle. Quelques minutes plus tard, c’est dans un texte adressé à ce même public que D’ de Kabal slame sa France:
« Le NOUS est pluriel et multiple, aucun slogan ne peut chanter son entière complexité.
Il n’a jamais été question de dire « Regardez ce qu’on nous a fait »,
Mais de dire plutôt : « Ecoutez donc qui nous sommes ».
Puis, le ton s’apaise et le moment devient solennel lorsque Léonora Miano prend la parole. « Il leur a fallu jouer les sauvages pour arriver en haut de l’affiche », lit-elle à propos des femmes noires.
Au final, une soirée que les nombreux spectateurs comme Yolande aimeraient voir « banalisée et accessible. Notamment pour les jeunes qui ne votent pas beaucoup ». Un constat partagé par Samira Djouadi, déléguée générale de la Fondation TF1, partenaire de l’événement.
16 propositions concrètes et… « gonflées »
Au cœur des thèmes des propositions formulées en janvier dernier : emploi, logement, culture, éducation et institutions. Des mesures qui visent à reconnaître la France telle qu’elle est aujourd’hui, la valoriser et l’inclure dans le récit national. « Ces propositions sont nécessaires mais je les trouve gonflées. Je me suis dit « Va y avoir du sport », ça m’a plu, affirme le rappeur Axiom, parrain de la soirée. D’autant que la discrimination positive existe déjà vis-à-vis des femmes ou des handicapés alors sortons de l’hypocrisie».
Parmi les propositions allant dans le sens de l’action positive : systématiser les bonus incitatifs à la diversité dans la culture. Une idée dans laquelle se reconnaît Marie Vanaret, réalisatrice. Son film sur le métissage, interprété par des danseurs hip hop, peine à séduire les diffuseurs. « Mon film est l’exemple parfait d’une revendication par rapport à la culture. J’ai obtenu des financements du fonds Images de la diversité du CNC et de l’ambassade des Etats-Unis mais cela ne suffit pas. Grâce à ces bonus, les producteurs et distributeurs arrêteraient d’avoir peur ».
Première victoire : trois formations politiques ont d’ores et déjà répondu à l’appel (le Parti Socialiste, les Verts et le Modem). L’une des propositions reprises par François Hollande vise à réduire le chômage dans les zones urbaines sensibles. Son auteur, Yacine Djaziri, admet avoir trouvé « une belle caisse de résonance » chez Terra Nova et Respect Mag. Ces derniers attendent maintenant les réactions des autres partis politiques. « Nous n’avons pas de copyright sur elles », ironise Rokhaya Diallo, à l’initiative d’une recommandation sur la restauration du lien de confiance entre citoyens et policiers. « La seule question qui reste est la volonté politique ».
Photos : Darnel Lindor/Respect Mag
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