Macron et l’islam, un petit air de déjà-vu

13 octobre 2020 | Libération

Les annonces du président de la République ne sont ni novatrices ni susceptibles de parer à la diffusion de l’islamisme. Pour l’heure, il est urgent de combiner à la fois le cultuel, l‘éducatif et le social.

Tribune. Les déclarations du président de la République, le 2 octobre, aux Mureaux, dans les Yvelines, pour «un islam pleinement compatible avec les valeurs de la République» ne sont pas sans évoquer un précédent historique : la volonté de Napoléon, il y a plus de deux siècles, de rendre le judaïsme compatible avec l’Empire.

Pour ce faire, il réunit à Paris, le 26 juillet 1806, une assemblée de notables venus de tous les départements où existaient des communautés juives. Il s’agit de savoir si les lois juives s’accordent avec les dispositions du droit commun et d’évaluer le degré d’attachement des juifs à l’Empire. A cette époque, ceux-ci sont pourtant déjà des citoyens français. L’Empereur entend «régénérer» la religion juive. Cette mise à l’épreuve de la loyauté des juifs est tout sauf innocente, et le climat dans lequel elle intervient n’est pas des plus bienveillants.

Tout ne se compare pas, certes, et à l’époque, il n’est bien sûr question ni de judaïsme «radical» ni de terrorisme. Reste qu’à partir de 1808, commence la réorganisation du culte juif. Les communautés juives, elles-mêmes, exigent une réglementation pour parer à leurs difficultés, et elles présentent des projets. Les ministres du culte juif sont rémunérés à partir de 1831 par le Trésor public comme ceux des autres cultes. Catholiques et protestants avaient déjà été réorganisés en vertu du Concordat de 1801.

L’effet d’écho avec les volontés exprimées par Emmanuel Macron s’arrête là. Depuis la loi de 1905, l’État n’est plus autorisé à réglementer les religions. L’islam de France n’a lui-même jamais connu de phase «concordataire».

Un «islam des Lumières» ?

Quel islam idéal souhaite-t-on en fait ? Nul ne sait ce que ceux qui évoquent un «islam des Lumières» ont vraiment en tête. Le précédent en partie mythifié d’un islam tolérant aux autres cultes, ouvert culturellement, intégrant notamment tout un héritage philosophique et scientifique grec, comme on l’imagine à Bagdad ou en Andalousie médiévale ? On voit mal ce que cela signifierait dans le contexte français contemporain. L’invocation récurrente des Lumières françaises, elles-mêmes, est plus embarrassante qu’autre chose. Cet héritage-ci est loin d’être univoque. Il est même ambigu, qu’il s’agisse du rapport au racisme, à l’esclavage, ou à la religion. La veine anticléricale y est puissante et assez peu propice au compromis.

Comme tout (néo)libéral qui se respecte, le président Macron est resté un moment peu enclin à brandir le communautarisme musulman comme un épouvantail ou à en faire un sujet politique comme certains de ses prédécesseurs. Le terrorisme ne concerne pas tous les musulmans de France, il s’en faut de beaucoup, non plus que l’islamisme radical. Ils n’en sont pas moins stigmatisés comme s’ils constituaient une entité, et ce depuis des années, l’approche d’échéances électorales cruciales les ramenant systématiquement au devant de la scène.

Notre président a finalement cédé à la tentation pour récolter des voix à droite et dans une moindre proportion à l’extrême droite. Selon un sondage publié le 8 octobre, pour la moitié des Français, le texte anti-«séparatisme» en préparation vise avant tout à capter ou conserver une partie de l’électorat de droite. Ils n’ont pas tort.

Les remèdes aux maux qu’on impute aux musulmans ne viendront pas d’une loi contre le «séparatisme». Le terme est peu lisible, et il semblerait d’ailleurs qu’on finisse par y renoncer. Cela ne signifie pas que l’islam ne devrait pas se réformer de l’intérieur pour manifester clairement la convergence de ses ambitions avec celles de la République. Reste que cette dernière n’est guère audacieuse, et s’en tient à quelques «constats», plutôt négatifs, rarement interrogés : voile, quartiers, insécurité, violence, etc. La République attend beaucoup des musulmans mais partage fort parcimonieusement ses bienfaits. Et si certaines des propositions du Président reprises par le ministre de l’Intérieur vont dans le bon sens, encore faudrait-il qu’elles puissent être mises à exécution.

Former les imams en terre concordataire

La formation des ministres du culte, qui avait déjà préoccupé Napoléon s’agissant des rabbins, est ainsi un vrai serpent de mer. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur sous Hollande, s’y était intéressé comme d’autres, sans toutefois trouver une solution efficace permettant de ne pas avoir à importer les imams de l’étranger, et de les former en France. Peut-être faudrait-il simplement fonder une faculté de théologie musulmane en terre concordataire, par exemple au sein de l’université de Strasbourg, parallèlement aux facultés de théologie catholique et protestante déjà existantes.

On pourrait aussi envisager de jumeler les formations déjà en place, telle celle de la Mosquée de Paris, avec un cursus universitaire d’études islamiques tel que celui qui vient d’être mis en place récemment à l’Ecole pratique des hautes études. L’université à elle seule n’a pas vocation à préparer des théologiens. Reste que les formations privées qui existent ont besoin d’elle pour former des imams «républicains» en phase avec les valeurs et les principes de la société dans laquelle vivent nos concitoyens musulmans.

Rappelons enfin que le Conseil français du culte musulman (CFCM) n’abrite pas en son sein des théologiens, et qu’il n’est en tout état de cause pas en mesure de labelliser des formations pour les imams, de les certifier ou d’élaborer une charte à laquelle les cadres religieux devraient adhérer sous peine de révocation.

On ne peut qu’acquiescer au principe d’un meilleur encadrement des associations et de leur passage au statut régi par la loi de 1905. Pour ce qui est de l’enseignement de l’arabe à l’école, rappelons qu’il existe une agrégation d’arabe (depuis plus d’un siècle) et un Capes (depuis 1975). Les nombres de postes ouverts au concours pour 2020 étaient de quatre pour la première et de six pour le second…

Les annonces du président Macron et du ministre de l’Intérieur ne sont dans l’ensemble guère novatrices, ni susceptibles de parer à la diffusion de l’islamisme. Pour le croire, il faut ne pas connaître la force de frappe sociale de ce dernier. Il se développe sur le terreau de la pauvreté, des frustrations sociales, des discriminations, d’un ascenseur social bloqué, de la stigmatisation en continu, et ce ne sont pas des coups de menton et quelques mesurettes ici et là qui l’endigueront. Dans ces annonces, le social manque cruellement. Or c’est un projet global qu’il faudrait, combinant le cultuel, l’éducatif et le social. Il est vain de tout ramener à un contrôle et à des interdictions.

Esther Benbassa sénatrice écologiste de Paris (EELV)

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