Esther Benbassa, sénatrice EELV : « Sortons de l’hypocrisie et légalisons le cannabis! »

6 octobre 2020 | Le Journal du Dimanche

La sénatrice écologiste Esther Benbassa, auteure en 2014 de la première proposition de loi sur le sujet, réaffirme sa volonté de voir légaliser le cannabis, au lendemain des déclarations de la ministre Marlène Schiappa qui s’y est dit, elle, opposée.

La tribune de la sénatrice écologiste Esther Benbassa : « La consommation de cannabis en France est une réalité et les chiffres sont, dans ce domaine, édifiants. Le cannabis est la première substance illicite consommée par les adolescents. Celui-ci n’est par ailleurs pas un produit anodin. Il contient des substances psychotropes qui peuvent être dangereuses pour la santé, notamment celle des plus jeunes dont le cerveau est encore en formation. Et il est de loin la substance illicite la plus consommée en France. En 2017, 44,8% des adultes âgés de 18 à 64 ans déclaraient en avoir déjà consommé au cours de leur vie.

La consommation de cannabis, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, où il est en constante augmentation, est un véritable problème de santé publique. Problème dont nous devons d’urgence nous saisir et que la réponse pénale n’a nullement contribué à résoudre. Ainsi, alors que la France se distingue par une des législations européennes les plus répressives en la matière, les chiffres de la consommation dans notre pays, notamment chez les 15-24 ans, font partie des plus élevés d’Europe.

La seule politique publique a été celle d’une surenchère répressive, qui n’a contribué ni à la diminution du nombre de consommateurs, tout au contraire, ni à celle des trafics

Depuis plus de 50 ans et la loi du 31 décembre 1970, la seule politique publique a été celle d’une surenchère répressive, qui n’a contribué ni à la diminution du nombre de consommateurs, tout au contraire, ni à celle des trafics. En effet, si les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’ont pas réussi à contrôler la consommation, ils ne sont pas parvenus davantage à enrayer le développement de l’économie alternative mafieuse engendrée par la production et la vente illégales. Or l’enjeu économique de ce trafic est colossal. Et l’Etat, dans cette affaire, est bien le grand perdant puisqu’il ne touche rien, par voie d’impôts ou de taxes, ni de la production ni de la vente du cannabis. Sans compter les emplois que générerait cette légalisation. En revanche, la judiciarisation et la répression du trafic constituent une dépense publique très lourde qui s’élève à plus de 1 milliard d’euros par an. L’amende délictueuse de 200 euros mise en place ne règlera pas plus la question. Elle n’est qu’un pis-aller pour désengorger les tribunaux.

Il est utile de rappeler que la prohibition, comme celle de l’alcool aux Etats-Unis dans les années 1920, crée d’abord des trafics en tous genres et induit des violences que la police échoue à contrecarrer. De surcroît, il est certain que la clandestinité a un impact réel sur la qualité du produit consommé et donc sur sa dangerosité. Et l’on n’insistera jamais assez sur ce fait : la jeunesse est aujourd’hui la catégorie la plus exposée à une consommation sauvage qui touche les écoles et les quartiers et met les adolescents en relation directe avec les réseaux criminels.

En 2015, un sondage Ipsos sur la question de la légalisation révèle qu’une grande majorité des Français juge inefficace la législation actuelle relative à la consommation du cannabis. Nos concitoyens reconnaissent là une évidence. L’opinion française bouge. Les résultats de ce sondage démontrent une avancée en direction d’une autorisation de la consommation de cannabis et de sa vente sous le contrôle de l’Etat. Il est temps de poser avec courage et pragmatisme la question de la législation relative au cannabis. L’objectif à se donner n’est évidemment pas d’encourager la consommation, mais plutôt de la faire baisser, tout en endiguant les risques engendrés. Il n’est pas non plus de faire la promotion de l’usage du cannabis, mais de le réglementer. L’opinion serait-elle donc en avance? Et nos politiques, comme souvent, en retard?

Il est temps de proposer, de façon très encadrée par l’Etat, la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plants de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées

Les politiques de prévention n’ont pas su atteindre le public concerné, en l’absence d’un encadrement de la consommation. Les constats de la faillite et de la contre-productivité des politiques de prohibition ainsi que les réponses législatives mises en place dans d’autres pays nous confortent dans notre position. Dès janvier 2014, les Etats de Washington et du Colorado aux Etats-Unis avaient levé la prohibition et opté pour une légalisation contrôlée du cannabis afin d’appréhender la question avec autant de pragmatisme que de rigueur. Il en est de même en Uruguay. D’autres Etats fédéraux américains ont suivi.

A bien considérer toutes ces données, l’autorisation de l’usage contrôlé du cannabis semble la solution la plus à même de répondre aux enjeux à la fois sanitaires et sécuritaires qui nous préoccupent et de permettre d’élaborer une véritable politique de santé publique à destination des adolescents et des jeunes adultes.

Il est temps de mettre fin à l’hypocrisie actuelle et de proposer, de façon très encadrée par l’Etat, la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plants de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées, et dont les caractéristiques et la teneur en principe psychoactif (tétrahydrocannabinol ou THC) seront réglementées.

Précisons que tout commerce ou utilisation de cannabis se situant en dehors du cadre ainsi défini resteront passibles des peines prévues par les dispositions du code pénal relatives au trafic de stupéfiants et par celles du code de la santé publique réprimant l’usage illicite de stupéfiants.

Parallèlement, il est nécessaire de renforcer les actions d’information et de prévention en direction du public et l’accompagnement des personnes addictées.

La frilosité des politiques a retardé également l’autorisation du cannabis thérapeutique

La frilosité des politiques a retardé également l’autorisation du cannabis thérapeutique, qui concerne quelques milliers de patients de tous âges, souffrant de différentes pathologies, allant de cancers aux soins palliatifs. On a opté pour une expérimentation de deux ans qui démarrerait en 2021, pendant que ceux-ci continuent à souffrir, ou à s’approvisionner, lorsqu’ils ont les moyens, sur un marché parallèle. A ce jour, les deux médicaments à base de cannabis (Marinol et Sativex), qui disposent d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU), sont délivrés au compte-gouttes à de rares malades. Il est déjà prescrit au Canada depuis une quinzaine d’années, dans une large partie des Etats-Unis et dans 19 pays de l’Union européenne.

Le conservatisme est au fondement de cette résistance et la peur pour les politiques de perdre des voix aux élections, s’imaginant que l’opinion publique reste rétive aussi bien à la légalisation contrôlée du cannabis et en partie à la prescription du cannabis thérapeutique. Quand passera-t-on aux actes pour une politique enfin réaliste? »

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