PPL visant à l’interdiction du recours aux examens radiologiques osseux ayant pour objectif de contester la minorité d’un étranger

14 décembre 2020 | Proposition de loi

Veuillez trouver ci-dessous le texte de la proposition de loi :

PROPOSITION DE LOI

visant à l’interdiction du recours aux examens radiologiques osseux ayant pour objectif de contester la minorité d’un étranger

PRÉSENTÉE

Par Mme Esther BENBASSA, MM. Guy BENARROCHE, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Guillaume GONTARD et Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE, M. Daniel SALMON et Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN

Exposé des motifs :

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, plusieurs milliers de mineurs isolés étrangers (MIE) arrivent sur notre territoire. Ce phénomène va en augmentant, puisqu’ils étaient 14 908 en 2017, contre seulement 8 054 en 2016, soit une augmentation de 85%.

Une fois en France, ces jeunes doivent normalement relever de l’Aide sociale à l’enfance. Pourtant, dans de nombreux cas, et en raison d’un parcours migratoire précaire et traumatisant, nombre d’entre eux sont dans l’incapacité de prouver leur minorité par des papiers d’identité.

Or, ces dernières années ont été marquées par une volonté du Ministère de l’Intérieur de réduire les flux migratoires. Les autorités françaises vont donc régulièrement procéder à des examens radiologiques osseux sur les étrangers dont ils contestent la minorité.

En cas de test osseux non-concluant, certains migrants se voient ainsi exclus du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance pour mineurs isolés, accusés d’une prétendue majorité. Ils font par la suite bien souvent l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français).

Cette pratique peut donc conduire à l’abandon indu de mineurs isolés et esseulés, mais également à leur expulsion probable du sol français, sur la base de tests osseux dont la fiabilité est remise en cause pour des raisons médicales, éthiques et juridiques.

Médicales tout d’abord car les tests osseux sont particulièrement imprécis. Passé 16 ans, la croissance osseuse des jeunes diffère selon les individus, certains étant plus précoces que d’autres.  Ainsi, selon l’Académie de médecine, au-delà de 16 ans, les examens radiologiques osseux possèdent une marge d’erreur de 1 ou 2 ans. Cet état de fait est plus que problématique, dans la mesure où les autorités françaises font appel à cette méthode précisément pour distinguer les mineurs proches de l’âge de la majorité des jeunes ayant récemment dépassé les 18 ans. De surcroît, selon la Cour nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), 88% des jeunes migrants soumis à des tests osseux auraient justement entre 15 et 18 ans et seraient ainsi susceptibles de pâtir de cette marge d’erreur, en étant injustement accusés de fausse minorité.

Ensuite, éthiques car en ayant recours à une pratique médicale imprécise, on porte atteinte au principe constitutionnel de l’intérêt supérieur du mineur isolé, découlant de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France. En juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique soulevait que « l’absence d’enjeu thérapeutique des examens radiologiques osseux pose problème ». En effet, le test osseux n’est pas anodin puisqu’il expose la personne qui en fait l’objet à des irradiations. Il est donc particulièrement contestable de soumettre volontairement des personnes migrantes – qui plus est présumées mineures – à ces dangers, pour des raisons qui n’ont absolument rien de médicales. Selon le Comité d’éthique du CHU de Rennes, dans un avis de 2010, « une décision éthique doit toujours privilégier l’intérêt de la personne la plus fragile, en l’occurrence le jeune, l’enfant ». La recherche de la minorité ou de la majorité d’un migrant ne constituant pas un objectif thérapeutique, ces tests osseux ne peuvent éthiquement prétendre respecter l’intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, juridiques car la Loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant, était venue encadrer le recours aux tests osseux sur des mineurs présumés, prévu à l’article 388 du Code civil.  Il est en effet inscrit dans le droit positif français que les examens radiologiques osseux sont utilisés uniquement lorsque le migrant concerné ne possède pas de documents d’identité valables, que l’âge allégué par celui-ci n’est pas vraisemblable, et ce après décision de l’autorité judiciaire et avec le consentement de l’intéressé. Or, dans la pratique, les contournements de l’article 388 du Code civil sont nombreux, si bien que le recours aux tests osseux est quasi systématique pour déterminer l’âge des jeunes migrants. L’accord de ceux-ci est par ailleurs trop souvent subsidiaire. Et les résultats de ces tests osseux, malgré leur approximation, priment la plupart du temps sur toute autre donnée visant à déterminer l’âge du migrant.

En raison de leur imprécision médicale, mais aussi des problèmes juridiques et éthiques qu’ils soulèvent, les tests osseux sont interdits dans l’estimation de l’âge d’un individu dans certains Etats, notamment en Grande-Bretagne et en Australie. Dans ces pays, on préfère avoir recours à une méthode dite « holistique », c’est-à-dire que l’âge est déterminé via plusieurs éléments : des évaluations au niveau cognitif, comportemental et émotionnel, une évaluation de l’histoire sociale et communautaire de la personne, de sa scolarité, de sa route migratoire, de sa capacité à vivre en autonomie, l’évaluation de sa santé et de son histoire médicale… Selon les experts anglo-saxons, de tels examens sont de nature à offrir les informations les plus utiles pour estimer l’âge d’un jeune étranger, mais aussi afin de déterminer l’encadrement et l’accompagnement dont il devrait bénéficier.

Cette méthode holistique est cependant coûteuse, dans la mesure où elle mobilise toute une équipe de spécialistes : médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux… C’est probablement pour cette raison que la France, cherchant à maîtriser sa dépense publique, n’a pas recours à de tels dispositifs, dans la mesure où ils demanderaient un accroissement des moyens humains et financiers alloués à cette tâche.

Si les auteurs de cette proposition de loi comprennent ce souhait de rationalisation de l’usage des deniers de l’Etat, ils estiment cependant que le recours aux tests osseux n’est pas satisfaisant.

Il est grand temps que la France, Patrie des Droits de l’Homme, s’engage plus en avant dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aussi dans une considération effective de la dignité des personnes migrantes.

En ce sens, cette proposition de loi vise à l’interdiction du recours aux tests osseux dans le but de déterminer l’âge d’une personne migrante.

L’article 1 prévoit donc que le recours aux examens radiologiques osseux ne pourra plus être utilisé pour concourir ou justifier une décision concernant la fixation de l’âge d’un individu. Cette nouvelle rédaction de l’article 388 du Code civil vise également à donner plein effet au principe de présomption de minorité, ainsi qu’à mettre en place une évaluation holistique permettant de déterminer l’âge d’une personne, les composantes et modalités d’un tel dispositif étant fixées par décret du Ministre de l’Intérieur.

Conscients que les dispositions prévues au sein du premier article viendraient accroître la charge financière de l’Etat, les auteurs de la présente proposition de loi proposent à l’article 2 d’apporter un gage financier à l’ensemble de ces mesures.

Article 1

Les alinéas 2 à 4 de l’article 388 du Code civil sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge ne peuvent ni justifier, ni concourir à une décision relative à l’évaluation de la minorité ou de la majorité d’un individu.

« Lorsqu’il existe suffisamment de motifs pour supposer qu’une personne dont l’âge est inconnu est mineure, elle est présumée mineure jusqu’à ce qu’un examen holistique de sa situation soit mené.

« Un décret du Ministre de l’Intérieur vient fixer les composantes ayant trait à l’examen holistique de l’individu, ainsi que les modalités de celui-ci. »

Article 2 La charge pour l’Etat est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du Code général

PROPOSITION DE LOI

visant à l’interdiction du recours aux examens radiologiques osseux ayant pour objectif de contester la minorité d’un étranger

PRÉSENTÉE

Par Mme Esther BENBASSA, MM. Guy BENARROCHE, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Guillaume GONTARD et Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE, M. Daniel SALMON et Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN

Exposé des motifs :

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, plusieurs milliers de mineurs isolés étrangers (MIE) arrivent sur notre territoire. Ce phénomène va en augmentant, puisqu’ils étaient 14 908 en 2017, contre seulement 8 054 en 2016, soit une augmentation de 85%.

Une fois en France, ces jeunes doivent normalement relever de l’Aide sociale à l’enfance. Pourtant, dans de nombreux cas, et en raison d’un parcours migratoire précaire et traumatisant, nombre d’entre eux sont dans l’incapacité de prouver leur minorité par des papiers d’identité.

Or, ces dernières années ont été marquées par une volonté du Ministère de l’Intérieur de réduire les flux migratoires. Les autorités françaises vont donc régulièrement procéder à des examens radiologiques osseux sur les étrangers dont ils contestent la minorité.

En cas de test osseux non-concluant, certains migrants se voient ainsi exclus du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance pour mineurs isolés, accusés d’une prétendue majorité. Ils font par la suite bien souvent l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français).

Cette pratique peut donc conduire à l’abandon indu de mineurs isolés et esseulés, mais également à leur expulsion probable du sol français, sur la base de tests osseux dont la fiabilité est remise en cause pour des raisons médicales, éthiques et juridiques.

Médicales tout d’abord car les tests osseux sont particulièrement imprécis. Passé 16 ans, la croissance osseuse des jeunes diffère selon les individus, certains étant plus précoces que d’autres.  Ainsi, selon l’Académie de médecine, au-delà de 16 ans, les examens radiologiques osseux possèdent une marge d’erreur de 1 ou 2 ans. Cet état de fait est plus que problématique, dans la mesure où les autorités françaises font appel à cette méthode précisément pour distinguer les mineurs proches de l’âge de la majorité des jeunes ayant récemment dépassé les 18 ans. De surcroît, selon la Cour nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), 88% des jeunes migrants soumis à des tests osseux auraient justement entre 15 et 18 ans et seraient ainsi susceptibles de pâtir de cette marge d’erreur, en étant injustement accusés de fausse minorité.

Ensuite, éthiques car en ayant recours à une pratique médicale imprécise, on porte atteinte au principe constitutionnel de l’intérêt supérieur du mineur isolé, découlant de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France. En juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique soulevait que « l’absence d’enjeu thérapeutique des examens radiologiques osseux pose problème ». En effet, le test osseux n’est pas anodin puisqu’il expose la personne qui en fait l’objet à des irradiations. Il est donc particulièrement contestable de soumettre volontairement des personnes migrantes – qui plus est présumées mineures – à ces dangers, pour des raisons qui n’ont absolument rien de médicales. Selon le Comité d’éthique du CHU de Rennes, dans un avis de 2010, « une décision éthique doit toujours privilégier l’intérêt de la personne la plus fragile, en l’occurrence le jeune, l’enfant ». La recherche de la minorité ou de la majorité d’un migrant ne constituant pas un objectif thérapeutique, ces tests osseux ne peuvent éthiquement prétendre respecter l’intérêt supérieur de l’enfant.

Enfin, juridiques car la Loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant, était venue encadrer le recours aux tests osseux sur des mineurs présumés, prévu à l’article 388 du Code civil.  Il est en effet inscrit dans le droit positif français que les examens radiologiques osseux sont utilisés uniquement lorsque le migrant concerné ne possède pas de documents d’identité valables, que l’âge allégué par celui-ci n’est pas vraisemblable, et ce après décision de l’autorité judiciaire et avec le consentement de l’intéressé. Or, dans la pratique, les contournements de l’article 388 du Code civil sont nombreux, si bien que le recours aux tests osseux est quasi systématique pour déterminer l’âge des jeunes migrants. L’accord de ceux-ci est par ailleurs trop souvent subsidiaire. Et les résultats de ces tests osseux, malgré leur approximation, priment la plupart du temps sur toute autre donnée visant à déterminer l’âge du migrant.

En raison de leur imprécision médicale, mais aussi des problèmes juridiques et éthiques qu’ils soulèvent, les tests osseux sont interdits dans l’estimation de l’âge d’un individu dans certains Etats, notamment en Grande-Bretagne et en Australie. Dans ces pays, on préfère avoir recours à une méthode dite « holistique », c’est-à-dire que l’âge est déterminé via plusieurs éléments : des évaluations au niveau cognitif, comportemental et émotionnel, une évaluation de l’histoire sociale et communautaire de la personne, de sa scolarité, de sa route migratoire, de sa capacité à vivre en autonomie, l’évaluation de sa santé et de son histoire médicale… Selon les experts anglo-saxons, de tels examens sont de nature à offrir les informations les plus utiles pour estimer l’âge d’un jeune étranger, mais aussi afin de déterminer l’encadrement et l’accompagnement dont il devrait bénéficier.

Cette méthode holistique est cependant coûteuse, dans la mesure où elle mobilise toute une équipe de spécialistes : médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux… C’est probablement pour cette raison que la France, cherchant à maîtriser sa dépense publique, n’a pas recours à de tels dispositifs, dans la mesure où ils demanderaient un accroissement des moyens humains et financiers alloués à cette tâche.

Si les auteurs de cette proposition de loi comprennent ce souhait de rationalisation de l’usage des deniers de l’Etat, ils estiment cependant que le recours aux tests osseux n’est pas satisfaisant.

Il est grand temps que la France, Patrie des Droits de l’Homme, s’engage plus en avant dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aussi dans une considération effective de la dignité des personnes migrantes.

En ce sens, cette proposition de loi vise à l’interdiction du recours aux tests osseux dans le but de déterminer l’âge d’une personne migrante.

L’article 1 prévoit donc que le recours aux examens radiologiques osseux ne pourra plus être utilisé pour concourir ou justifier une décision concernant la fixation de l’âge d’un individu. Cette nouvelle rédaction de l’article 388 du Code civil vise également à donner plein effet au principe de présomption de minorité, ainsi qu’à mettre en place une évaluation holistique permettant de déterminer l’âge d’une personne, les composantes et modalités d’un tel dispositif étant fixées par décret du Ministre de l’Intérieur.

Conscients que les dispositions prévues au sein du premier article viendraient accroître la charge financière de l’Etat, les auteurs de la présente proposition de loi proposent à l’article 2 d’apporter un gage financier à l’ensemble de ces mesures.

Article 1

Les alinéas 2 à 4 de l’article 388 du Code civil sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge ne peuvent ni justifier, ni concourir à une décision relative à l’évaluation de la minorité ou de la majorité d’un individu.

« Lorsqu’il existe suffisamment de motifs pour supposer qu’une personne dont l’âge est inconnu est mineure, elle est présumée mineure jusqu’à ce qu’un examen holistique de sa situation soit mené.

« Un décret du Ministre de l’Intérieur vient fixer les composantes ayant trait à l’examen holistique de l’individu, ainsi que les modalités de celui-ci. »

Article 2 La charge pour l’Etat est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du Code général des impôts.

Lien vers le dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-227.html