Esther Benbassa : « En finir avec les tests osseux pour les mineurs étrangers isolés »

Tribune | 14 décembre 2020 | Le JDD

Dans une tribune que publie le JDD, Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, dénonce un des problèmes liés à l’accueil des migrants en France : les tests osseux pour les mineurs étrangers isolés.

La sénatrice Esther Benbassa.
La sénatrice Esther Benbassa. (Sipa)

Voici la tribune d’Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, sur les tests osseux pour les mineurs étrangers isolés : « Les problèmes que pose l’accueil des migrants en France ne sont pas nouveaux. Le délogement très violent des tentes de migrants sans abri installés à la place de la République en guise de protestation n’en a été qu’une illustration de plus. Et quand on examine le budget ‘asile, immigration, intégration’ pour 2021, on constate que la mission ‘lutte contre l’immigration irrégulière’ est en nette progression. L’objectif est toujours de dissuader les migrants de rejoindre notre pays. Or on devrait savoir que lorsqu’une personne décide d’émigrer, ce ne sont pas les obstacles mis en travers de sa route qui l’empêchent de le faire.

À l’approche de la Journée internationale des migrants du 18 décembre, un élément relevant de cette ‘lutte’ mérite assurément d’être à nouveau relevé : le recours, dans notre pays, aux examens radiologiques osseux pour déterminer si un migrant est mineur ou majeur. Il ne s’agit là, ni plus ni moins, que d’une violation des droits constitutionnels de l’enfant, notamment le respect de sa dignité, de sa santé et de son intérêt supérieur. 

Les tests osseux sont particulièrement imprécis

Chaque année, plusieurs milliers de mineurs isolés étrangers (MIE) arrivent sur notre territoire. Ce phénomène va croissant, puisqu’ils étaient 14 908 en 2017, contre seulement 8 054 en 2016, soit une augmentation de 85%. En raison d’un parcours migratoire précaire et traumatisant, nombre d’entre eux sont dans l’incapacité de prouver leur minorité par des papiers d’identité. Or ces dernières années ont été marquées par une volonté réaffirmée du ministère de l’Intérieur de réduire les flux migratoires. Les autorités françaises font donc régulièrement procéder à des examens radiologiques osseux sur les étrangers dont elles contestent la minorité.

En cas de test non-concluant, nombre de migrants, tenus dès lors pour ‘majeurs’, se voient ainsi exclus du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance pour mineurs isolés. Ils font par la suite bien souvent l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) ou se retrouvent à la rue. 

Ces tests consistent en une radiographie du poignet et de la main gauches. C’est le moyen le plus souvent utilisé par les tribunaux. Cette radiographie est ensuite comparée à des planches d’images de squelettes de la main et du poignet gauches modélisés dans les années 1930-1940 aux États-Unis, auprès d’un millier de jeunes adolescents américains des deux sexes, caucasiens, issus des milieux aisés de l’époque – l’Atlas dit de Greulich et Pyle, du nom de ses deux inventeurs, conçu à l’origine pour suivre l’évolution d’enfants atteints de troubles endocriniens. C’est cette méthode qui est utilisée dans les tribunaux en France pour connaître l’âge osseux des migrants qui se déclarent mineurs. Les études ont démontré l’inadéquation de ces images lorsqu’elles sont appliquées à une population subsaharienne.

On porte atteinte au principe constitutionnel de l’intérêt supérieur du mineur isolé

Les tests osseux sont par ailleurs particulièrement imprécis. Passé 16 ans, la croissance osseuse des jeunes varie selon les individus, certains étant plus précoces que d’autres. Ainsi, selon l’Académie de médecine, au-delà de 16 ans, les examens radiologiques osseux possèdent-ils une marge d’erreur de 1 ou 2 ans. Or, selon la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), 88% des jeunes migrants soumis à des tests osseux auraient justement entre 15 et 18 ans et seraient ainsi susceptibles de pâtir de cette marge d’erreur, en étant injustement accusés de ‘fausse minorité’.

Qui plus est, en ayant recours à une pratique médicale imprécise, on porte atteinte au principe constitutionnel de l’intérêt supérieur du mineur isolé, découlant de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France. En juin 2005, le Comité consultatif national d’éthique soulignait par ailleurs que ‘l’absence d’enjeu thérapeutique des examens radiologiques osseux pose problème’. En effet, un tel examen n’est pas anodin puisqu’il expose la personne à des irradiations. Il est donc particulièrement contestable de soumettre volontairement des personnes migrantes – qui plus est présumées mineures – à ce danger, pour des raisons qui n’ont absolument rien de médical. 

La loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant, était ainsi venue encadrer le recours aux tests osseux sur des mineurs présumés, prévu à l’article 388 du Code civil. Il est en effet inscrit dans le droit positif français que les examens radiologiques osseux sont utilisés uniquement lorsque le migrant concerné ne possède pas de documents d’identité valables, que l’âge allégué par celui-ci n’est pas vraisemblable, et ce après décision de l’autorité judiciaire et avec le consentement de l’intéressé. 

Dans la pratique, les contournements de l’article 388 du Code civil sont nombreux, si bien que le recours aux tests osseux est quasi systématique pour déterminer l’âge des jeunes migrants. Ces mineurs étrangers sont censés donner leur consentement. Lorsqu’ils le refusent, ils sont d’emblée accusés d’avoir menti sur leur âge. 

Il est grand temps que la France cesse de continuer à bafouer l’intérêt supérieur de l’enfant

En raison de leur imprécision médicale, mais aussi des problèmes juridiques et éthiques qu’ils soulèvent, les tests osseux sont interdits dans l’estimation de l’âge d’un individu dans certains États, notamment en Grande-Bretagne et en Australie. Dans ces pays, on préfère avoir recours à une méthode dite ‘holistique’ : l’âge est déterminé en passant par d’autres voies, comme des évaluations au niveau cognitif, comportemental et émotionnel, ou celle de l’histoire sociale et communautaire de la personne, de sa scolarité, de sa route migratoire, de sa capacité à vivre en autonomie, de sa santé et de son histoire médicale… Cette méthode est cependant coûteuse, dans la mesure où elle mobilise toute une équipe de spécialistes : médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux… C’est probablement pour cette raison que la France, cherchant à maîtriser sa dépense publique, n’y a pas recours. 

Par ailleurs, la pratique consistant en France à prouver à tout prix la majorité d’un étranger a une portée financière, puisque la prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, en cas de minorité, représente un coût financier pour les départements. 

Il est grand temps que la France s’engage dans une politique d’accueil décente et cesse, en cette période de pandémie grave, de continuer à bafouer l’intérêt supérieur de l’enfant et la dignité des personnes migrantes. Les tests osseux suscitent de nombreuses et virulentes critiques depuis des années au sein de nombreux organismes, associations et ONG. Les députés avaient essayé de les interdire par amendement dès 2015. 

Lundi 14 décembre, j’ai donc déposé au Sénat, avec le Groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (GEST), une proposition de loi visant à l’interdiction du recours aux tests osseux dans le but de déterminer l’âge d’une personne migrante. Encore une tentative. Enfin la bonne? »

Lien de l’article : https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-esther-benbassa-en-finir-avec-les-tests-osseux-pour-les-mineurs-etrangers-isoles-4012234