« La démocratie n’est pas forcément la tyrannie de la majorité » : Retour sur le colloque «Face à la crise démocratique, quelle révolution constitutionnelle ? » organisé par le groupe CRCE au Sénat

Colloque. La démocratie, une idée toujours en chantier

LIONEL VENTURINI
MARDI, 6 MARS, 2018
L’HUMANITÉ

Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, Aurélien Soucheyre, journaliste, Sébastien Jumel, député (PCF), Frédéric Dabi, politologue à l’Ifop, et Sophie Taillé-Polian, sénatrice (PS), hier, au Sénat, à Paris. Julien Jaulin/Hanslucas

Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, Aurélien Soucheyre, journaliste, Sébastien Jumel, député (PCF), Frédéric Dabi, politologue à l’Ifop, et Sophie Taillé-Polian, sénatrice (PS), hier, au Sénat, à Paris. Julien Jaulin/Hanslucas

« Face à la crise démocratique : quelle révolution constitutionnelle ? » À l’initiative des parlementaires communistes, de nombreux intervenants, juridiques et politiques, ont esquissé hier au Sénat les contours d’une démocratie revivifiée.

Faire d’une question qui éloigne a priori le citoyen, les institutions et leurs équilibres une question centrale. C’est l’ambition que s’est donnée le colloque organisé au Sénat par les groupes parlementaires communistes CRCE (au Sénat) et GDR (à l’Assemblée nationale). Tandis qu’Emmanuel Macron entend mener une réforme qui réduirait d’un tiers la représentation parlementaire et la limitation à trois mandats successifs, entre autres, mesures largement approuvées par l’opinion, selon le sondeur et politologue Frédéric Dabi (Ifop).

Pour Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE, « la défiance des citoyens s’explique aussi par l’accélération voulue des débats ». Quand Mirabeau vantait la lenteur de l’élaboration de la loi comme gage de sa pérennité, « vouloir tuer la discussion, développer l’irrecevabilité des amendements conduit l’électeur à juger l’Élysée et l’Union européenne comme les vrais centres de décision ». « Il y a un recul, note Frédéric Dabi, de la croyance, qui est presque une exception hexagonale, de l’idée que le politique peut peser sur le cours des choses. » Sébastien Jumel, député de Seine-Maritime, ne dit pas autre chose en rappelant qu’il y a des « oubliés de la République qui sont aussi des humiliés de la République, tant en milieu rural qu’à la périphérie des noyaux urbains ». Pourquoi ne pas revitaliser, estime-t-il, la démocratie, en partant de la commune, cet échelon encore beaucoup considéré par l’électeur ? Pour Sophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne, l’on « se sent bien représenté quand on se sent consulté, et non via une sorte de “démocratie intermittente” le temps de l’élection ».

« La démocratie n’est pas forcément la tyrannie de la majorité »

Alors comment faire ? Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau a sa petite idée. C’est pour lui « une erreur de considérer le Parlement comme un contre-pouvoir. Exécutif et législatif ne sont pas séparés, ils sont soudés l’un à l’autre, comme disait Georges Vedel. » Le constitutionnaliste voit plutôt le salut dans d’autres contre-pouvoirs, tels une presse dont la Constitution assure indépendance et pluralisme, l’indépendance de la justice, un statut de lanceur d’alerte civique, d’autres assemblées tirées au sort ou l’obligation pour le Parlement d’étudier les pétitions à partir d’un certain seuil de signatures.

Pour autant, les parlementaires présents ne sont pas prêts à se laisser totalement déposséder. Passer à un député pour 170 000 habitants, « ça n’a aucun équivalent en Europe », souligne André Chassaigne, député PCF. Pour revitaliser le Parlement, la sénatrice Esther Benbassa évoque discrimination positive et parité : « La démocratie n’est pas forcément la tyrannie de la majorité. » Pierre-Yves Collombat (sénateur du Var) s’interroge sur la légitimité des contre-pouvoirs évoqués par Dominique Rousseau et leur mode de désignation, « le pouvoir vient d’en haut, la confiance vient d’en bas, comme disait Sieyès ». « Même un patron du CAC 40 n’agit pas cinq ans sans contrôle », s’amuse le constitutionnaliste Bastien François. « Il faut introduire de la réclamation citoyenne, que le citoyen puisse faire irruption dans le politique. » « On ne peut pas tout attendre de la loi », souligne de son côté le psychanalyste Roland Gori, prédisant par exemple qu’« il n’y aura pas de liberté politique qui ne passe par la liberté dans le travail », citant Jaurès : « Les hommes n’ont pas besoin de charité, ils ont besoin de justice. » Pierre Laurent, soulignant qu’il s’agit de la première initiative publique ouverte sur la révision constitutionnelle, insiste : « Cette affaire ne peut pas être menée par quelques dizaines de personnes. » Pour le responsable communiste, rupture avec la présidentialisation, retour véritable à un régime parlementaire, démocratisation des assemblées représentatives s’imposent.

Alors, sortir carrément d’un système représentatif ? Comme le suggère depuis la salle un intervenant, il peut être un système qui « enferme » la démocratie. Un autre, élu d’une commune de 800 habitants, souligne combien la technicité exigée désormais dans les structures d’agglomérations éloigne de la diversité d’origine et de parcours des élus locaux. Dominique Rousseau acquiesce : « Aujourd’hui, la loi passe devant tout le mode, experts divers, énarques, sauf devant le peuple. »

Lionel Venturini

rubrique politique