L’histoire ne retiendra du Président ni sa jeunesse ni ses fausses promesses, mais sa politique migratoire indigne.
Si les associations et les intellectuels souffrent de « confusion » lorsqu’ils expriment leur colère et leur indignation face à la nouvelle loi immigration, M. Macron, lui, joue la carte de l’humanisme en public et celle de la répression en coulisses. Le Ministre de l’Intérieur n’est que la face visible du Macron des coulisses.
Peau de banane
Du haut de son trône, celui qui se présente comme un disciple de Ricoeur n’a pas dû profiter beaucoup de la sagesse de son maître. Il faut bien avouer que Ricoeur et le management de la société et les prises de position de M. Macron sur ces précaires des précaires que sont les réfugiés ne font pas bon ménage.
Notre Président a dû laisser sa conscience au seuil des banques et des entreprises. Quant à la « complexité » de sa pensée, elle est plutôt légère. Ce qu’il nous vend, ce sont les restes du vieux monde qu’il essaye de faire passer pour du neuf.
Dans une situation politique désespérante, les Français, sans illusions sur l’avenir du pays, se raccrochent encore un peu et sans doute encore pour quelque temps à leur Président-Père-Noël. On peut pourtant imaginer qu’ils le jetteront aux orties dès qu’il commencera à glisser sur les peaux de banane qu’il se sera lui-même mises sous les pieds. La loi asile et immigration pourrait bien en être une.
Même quelques bons petits soldats LREM commencent à craquer. Viendra aussi le tour des socialistes qui ont quitté leur parti pour un strapontin: ce qui reste encore de gauche en eux risque de se rebeller. Ils grossiront peut-être les rangs de ceux qui sont atteints de « confusion ».
« Faux bons sentiments »
Revendiquons haut et fort nos « faux bons sentiments », ainsi que le Président les a qualifiés, et barrons la route à la politique du découragement appliquée à ces hommes, femmes, mineurs qui sont poursuivis par le zèle (dicté d’en haut) de policiers déchirant leurs couvertures, jetant leurs affaires, les aspergeant de gaz pour les faire fuir.
Jusqu’à quand laisserons-nous ces migrants parcourir les chemins de traverse, les montagnes, s’entasser dans les centres de rétention, dormir dans les rues, et ce après avoir vécu le calvaire pour arriver jusqu’en France?
Le contenu de la loi asile-immigration relève de cette politique du découragement déjà mise en œuvre depuis un moment. Leur rendre la vie impossible… voilà l’objectif! S’agit-il d’ailleurs là d’une « politique » ou seulement d’acharnement? Après cela, M. Macron nous parlera d’intégration… Avec cette loi, il dit en effet vouloir mieux intégrer. Mais intégrer qui? Ceux qu’il va renvoyer dans les États par lesquels ils se sont introduits en Europe (les « dublinés »)? Ceux qu’il va rendre de force à leurs pays d’origine? De quelle intégration parle-t-il donc? Ses fantassins passent à longueur de journée dans les médias pour nous convaincre des bienfaits à venir de cette loi. Qui peut les croire?
Cynisme
Et pour rester dans l’esprit de la sinistre circulaire Collomb de décembre, une fois que des agents mobiles auront trié dans les centres d’hébergement d’urgence bons et mauvais demandeurs asile, que fera-t-on de pire? Le mot même de « tri » fait froid dans le dos quand on connaît ne serait-ce qu’un peu l’histoire. Le tri, oui, le tri comme en ces temps sombres… Souvenez-vous. Les associations ne se taisent pas, elles ont saisi le Conseil d’État pour obtenir la suspension en urgence de la circulaire du 12 décembre, et elles ont eu raison.
Paris, Calais, Menton, vallée de la Roya, Briançon, Ouistreham, Grande Synthe… Allez voir ce qui s’y passe. C’est inouï de cruauté. M. Macron veut-il instrumentaliser la question des réfugiés comme ses prédécesseurs socialistes pour faire du populisme? On sait que cela ne leur a pas servi à grand-chose: ils ont perdu leur place quand même et beaucoup de leur crédit.
Manuel Valls aussi avait le regard tourné vers la droite et même l’extrême droite et s’imaginait pouvoir les satisfaire en la matière. Mais qui peut les satisfaire? Elles en veulent toujours plus. La question des migrants remplit juste les cases vides de leur programme politique.
Macron veut être « premier de cordée » là aussi, faire encore plus, faire encore pire que Pasqua, que Sarkozy… Il a beau exposer sa figure lisse et riante de jeune président à l’étranger, il ne pourra pas longtemps, lui non plus, cacher son cynisme.
Une autre France est possible
Certes, la France n’a pas toujours su recevoir ses réfugiés comme il se doit, dans le respect de leur détresse, mais elle n’a pas non plus été toujours noire. Il y a eu aussi celles et ceux qui ont aidé, caché, nourri clandestinement.
Rappelons-nous de même les intellectuels Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, diamétralement opposés dans leur manière de voir le monde, le premier de gauche, le second de droite, le philosophe André Glucksmann, le médecin Bernard Kouchner, Michel Foucault, Yves Montand, le cardinal François Marty, le rabbin Josy Eisenberg, l’écrivain allemand Heinrich Böll se mobilisant en faveur des boat people fuyant le communisme au Vietnam et au Cambodge. 120 000 Vietnamiens et Cambodgiens seront accueillis entre 1975 et le début des années 1980 en France.
Aujourd’hui, les associations, les églises chrétiennes, et avec un peu de retard au démarrage les intellectuels ont décidé de dire non à la politique mise en œuvre et à la nouvelle loi asile-immigration que certains préparent sans état d’âme aucun. Heureusement, les Français, dont on n’a pas cessé de laver le cerveau, n’ont pas cédé totalement à la propagande anti-migrants. Des solidaires protègent, transportent, logent ceux qu’ils ramassent au bord des routes, dans les montagnes, dans les vallées. Et ce au risque de leur confort et de leur tranquillité. Certains sont condamnés par les tribunaux.
Ne pas laisser faire
On ne peut pas se taire ni fermer les yeux sur ce qu’on fait subir en France aujourd’hui aux migrants. En voyant par moi-même ce qui se passait à certains endroits, j’ai compris ces Justes modernes et je sais qu’ils bravent, à raison, l’Etat et les policiers (qui obéissent aux ordres, pour certains probablement malgré eux) et surtout tentent de ne pas faire perdre son honneur à la France.
Je suis une immigrée qui aime la France, mais ni comme intellectuelle ni comme politicienne, je ne saurais accepter la politique migratoire d’un Macron pour qui j’ai voté, au second tour de la présidentielle, en désespoir de cause.
Il ne mérite pas les clés de la maison France que nous lui avons confiées. L’histoire ne le retiendra probablement ni pour sa jeunesse ni pour ses fausses promesses, mais pour sa politique indigne à l’égard des migrants.
Nous ne pouvons pas le laisser faire. Et soyons fiers d’avoir de « faux bons sentiments », tout de même des sentiments, et donc un cœur, ce qui vaudra toujours mieux que cette gouvernance technique et cette communication sans affects, faisant fi des droits les plus élémentaires des réfugiés, fixés par des conventions internationales.
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