« Monsieur G. a été placé dans une cellule dans laquelle l’eau est coupée, le WC ne fonctionne pas, la fenêtre est cassée. Nous sommes en décembre. Il y a du sang partout au sol: celui du précédent occupant, qui s’est auto-mutilé », témoigne un soignant.
Tribune. Le 8 décembre 2017, j’effectue une visite à l’improviste à la Maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, accompagnée de quelques journalistes. Ce genre de visites fait partie de mon travail de parlementaire, d’autant que je suis membre de la Commission des Lois au Sénat.
Des visites éprouvantes
Après avoir écouté les explications du directeur de la prison, M. Schots, je demande comme d’habitude à voir les lieux. C’est alors que le directeur est interpellé par un détenu du quartier disciplinaire, devant moi, au sujet des violences du personnel pénitentiaire à l’encontre des personnes incarcérées. Les problèmes évoqués par ce détenu seront par la suite confirmés par une employée qui nous raccompagne à la gare car le directeur, excédé par le témoignage du détenu, nous a abandonnés en rase campagne.
Lors de ces visites que je fais régulièrement, j’essaye d’écouter les doléances des détenus. Non seulement les conditions d’accueil dans ces lieux sont souvent difficiles à décrire, mais les violences morales et physiques dont ils sont le théâtre sont elles aussi importantes. Leurs raisons sont nombreuses: difficulté à recruter des surveillants expérimentés, rémunérations médiocres n’attirant pas des personnes qualifiées, absence d’occupations dignes de ce nom rendant les personnes incarcérées nerveuses, conditions de vie au quotidien, promiscuité…
C’est dans cette même maison d’arrêt pour les peines de courte durée que l’on m’a signalé 3 suicides sur une année. À Fleury-Mérogis, que j’ai visité récemment, leur nombre pour 2018 a été de 13.
Le rôle du directeur ou de la directrice de l’établissement n’est pas non plus à négliger. C’est dans cette même maison d’arrêt pour les peines de courte durée que l’on m’a signalé 3 suicides sur une année. À Fleury-Mérogis, que j’ai visité récemment, leur nombre pour 2018 a été de 13. Ces suicides sont le signe du mal-être qui y règne.
Le témoignage d’une soignante
Le détenu de Villefranche qui a osé me parler des problèmes de violences dans sa prison a été, selon le témoignage d’un soignant (le 28 juin 2019), par la suite victime de représailles:
“Ce jour-là, nous sommes appelés pour une tentative de suicide par pendaison au quartier disciplinaire. Nous prenons alors en charge Monsieur G., un jeune homme suivi par notre équipe. Nous sommes au surlendemain d’une visite parlementaire surprise à la maison d’arrêt (…).
Une fois au service médical, le patient exprime un mal-être important. Il nous raconte que, devant la sénatrice et les journalistes en visite, devant toute la direction ou presque, il a “osé [l’]ouvrir” pour dénoncer les conditions de détention et les violences subies par les détenus. Des articles parus dans le journal Le Progrès [9 décembre 2018] ont repris ses propos et, depuis, il dit être sous pression: si certains surveillants approuvent son geste, d’autres pas du tout. Il nous dit ne plus en pouvoir et demande à être mis en sécurité. Son discours est désespéré, les marques sur son cou me font peur: tout atteste de son besoin de prise en charge immédiate.
La situation est difficile ce jour-là, nous avons beaucoup d’urgences à gérer. (…) Il n’y a aucune possibilité de l’envoyer à l’hôpital. À défaut, nous demandons une sortie du quartier disciplinaire pour un retour en détention normale. Après des soins, une consultation et un entretien avec un infirmier psy, Monsieur G. quitte le service. Nous convenons avec lui qu’un ou une infirmière passera le voir au moment de la distribution des médicaments.
Comment rentrer chez soi en sachant ce qui est en train de se passer? Cette situation a été le début d’un questionnement, pour moi, sur la situation dans les prisons. La détention doit-elle être une sanction dont on garde les traumatismes dans son esprit et son corps? – confie la soignante.
Quand, à 13h30, nous arrivons en détention, à l’étage, quelqu’un hurle et frappe à la porte d’une cellule. Aucun surveillant n’est présent sur la coursive. Je fais appeler un agent. Lorsqu’il ouvre la porte, je découvre Monsieur G. vêtu d’un pyjama déchirable, pieds nus. Il a été placé dans une cellule dans laquelle l’eau est coupée, le WC ne fonctionne pas, la fenêtre est cassée. Nous sommes au mois de décembre. Il y a du sang partout au sol: celui du précédent occupant, qui s’est auto-mutilé.
Monsieur G. a faim, froid, il est en colère. Il dit qu’on lui fait payer le fait d’avoir parlé, il pleure et nous demande de l’aide. Il est prêt à tout pour sortir de là, menace de commettre une agression s’il le faut. Je m’engage à solliciter l’aide de ma direction dans la journée pour faire cesser au plus vite cette situation. Le détenu s’apaise. Un agent nous dit qu’il va faire le nécessaire afin qu’il puisse avoir une couverture supplémentaire.
Face au constat d’une situation de maltraitance grave faisant suite à un passage à l’acte suicidaire, nous proposons, avec l’équipe médicale, un placement en cellule de protection d’urgence afin de faire sortir monsieur G. de la cellule où il est confiné et de veiller à ce qu’il soit suivi. Ce placement est refusé par l’administration pénitentiaire. “S’il est pipelette, c’est qu’il n’est pas suicidaire”: voilà les termes employés.
(…) Le lendemain matin, lors d’une réunion pluridisciplinaire avec l’administration pénitentiaire, en présence du chef d’établissement, j’évoque cette situation. On me rétorque que monsieur G. aurait dû prendre la mesure de ses actes et n’a pas à se plaindre des conséquences. Je suis seul face à un auditoire qui ne semble pas mesurer la gravité de la situation.
À la sortie de cette réunion, je fais venir Monsieur G. à l’unité sanitaire. Il arrive en claquant des dents, il a les lèvres violettes, il est en hypothermie, il pleure et n’arrive pas à parler tellement il a froid et faim. Je suis en colère et sous le choc. Ma première réaction est de répondre à ses besoins essentiels: je lui donne du linge, à manger, lui propose de se laver, de se réchauffer.
Les droits humains devraient également y être scrupuleusement respectés pour que la haine envers la société ne s’y développe pas davantage.
Nous avons ensuite une longue conversation qui m’a marquée. Comment aider quelqu’un qui vient de vivre l’insupportable? Comment rentrer chez soi en sachant ce qui est en train de se passer? Cette situation a été le début d’un questionnement, pour moi, sur la situation dans les prisons. La détention doit-elle être une sanction dont on garde les traumatismes dans son esprit et son corps?
Par la suite, j’ai eu des réunions avec la hiérarchie de mon hôpital. Tout le monde a salué notre prise en charge, mais rien de plus. L’amélioration des conditions de détention n’incombe pas à l’hôpital. “C’est à l’administration pénitentiaire de faire le nécessaire.” Bien que réaliste, cette réponse n’est pas satisfaisante. C’est pourquoi je témoigne aujourd’hui, pour monsieur G., pour tous les autres, pour que cela ne puisse pas se reproduire.”
Ce témoignage s’ajoute aux articles écrits à la suite de mon passage.
Repenser la prison, la seule urgence
Le vrai sujet n’est pas de construire encore plus de prisons, mais de faire de ces prisons des passerelles vers la réinsertion. On en est bien loin. Les droits humains devraient également y être scrupuleusement respectés pour que la haine envers la société ne s’y développe pas davantage. Il est urgent de repenser la prison en révisant les méthodes musclées et la sanction purement répressive, sans oublier d’améliorer les conditions de détention.
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