[Tribune] Avec les Gilets Jaunes pour l’Acte XIII, j’ai défilé en tant que sénatrice

« Dommage que plus d’élus ne viennent pas nous retrouver » m’ont-ils dit. « On est mutilés, éborgnés, gazés », quand d’autres comme Benalla sont « protégés ».

"Des femmes Gilets jaunes m'ont demandé explicitement de porter mon écharpe tricolore. Finalement, l'antiparlementarisme de certains cède dès que le parlementaire est là."

« Des femmes Gilets jaunes m’ont demandé explicitement de porter mon écharpe tricolore. Finalement, l’antiparlementarisme de certains cède dès que le parlementaire est là. »

Samedi dernier, comme chaque semaine, j’ai rejoint les Gilets jaunes.

En écharpe tricolore

Depuis qu’un dimanche matin, sur le Champ-de-Mars, des femmes Gilets jaunes m’ont demandé explicitement de porter mon écharpe tricolore, je la porte. Finalement, l’antiparlementarisme de certains cède dès que le parlementaire est là, devient une figure familière, qu’on rencontre tous les huit jours, parfois plus. On vous lance simplement: « Dommage que plus d’élus ne viennent pas nous retrouver. »

Certains gilets jaunes me lancent: « Dommage que plus d’élus ne viennent pas nous retrouver. »

Il y en a bien quelques-uns, mais ils ne sont pas nombreux. Et les absents ont toujours tort. On les soupçonne de ne pas prendre les revendications au sérieux. Je réponds toujours que chacun fait selon sa conscience et que la discrétion de certains ne traduit pas forcément un manque de considération. Cela dit, c’est vrai, moi aussi, j’aurais bien aimé que les collègues viennent parfois plus nombreux, déjà pour me sentir moins seule.

Fraternité

Parfois les marches sont festives, parfois moins. Mais la fraternité, elle, est toujours là. On se fait des selfies, on parle des enfants, de la semaine passée au travail, des attentes, des espoirs, beaucoup de Macron. Il m’arrive de leur dire que je ne suis pas d’accord avec tel ou tel slogan, avec telle ou telle idée, ils m’écoutent, ils ne m’en veulent pas, ils font comme si j’étais de la famille.

On retrouve des figures déjà vues lors d’autres manifs, ce qui crée une certaine proximité. Ils me parlent de leur situation, difficile depuis longtemps, ils me racontent aussi, dignement, leur pauvreté. Ils me prennent à témoin. Et discutent parfois avec moi de ce que j’ai pu dire en semaine au Sénat ou sur les plateaux télé. Ils évoquent souvent Benalla parce que certains m’ont suivie pendant les travaux de la commission d’enquête.

Ils me posent des questions, sans arrêt. Comment tenir jusqu’à la fin du mois? Comment convaincre les politiques d’œuvrer pour l’émergence d’une démocratie plus directe?

Ils évoquent à son propos une justice à deux vitesses. Pendant qu’il est protégé, lui, nous on est dans les rues, mutilés, éborgnés, gazés, et quand on porte plainte, il n’y a personne pour nous entendre. « Eux les protégés », reprennent-ils comme une litanie. Les protégés, face à ceux qui triment sans pouvoir espérer mieux. Une manière d’évoquer l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Riches et protégés, d’un côté. Eux, de l’autre.

Ils me posent des questions, sans arrêt. Comment tenir jusqu’à la fin du mois? Comment convaincre les politiques d’œuvrer pour l’émergence d’une démocratie plus directe? Les privilèges des uns et la misère des autres. Certains manifestent de la colère. « Nous ne sommes pas entendus. » Ils réclament le RIC, pour eux, le Grand Débat national n’est pas un vrai débat, les résultats en sont pipés d’avance. Eux font des débats entre eux, sans relâche pendant qu’ils battent le pavé à longueur de samedi. Des badauds se joignent à eux, prennent part à la discussion.

Face aux forces de l’ordre

Ils me protègent aussi: « Va sur le trottoir, on ne sait jamais, un flashball, et c’est fini pour toi. » Les doigts arrachés par une grenade du photographe Gilet jaune ont plombé la marche. Tout le monde en parle avec émotion. « Pourquoi nous traite-t-on comme ça? Nous aussi, nous sommes les enfants de la République! »

« Nous ne sommes pas entendus. » Ils réclament le RIC, pour eux, le Grand Débat national n’est pas un vrai débat, les résultats en sont pipés d’avance.

Nous défilons avec des forces de l’ordre partout, devant, derrière, sur les côtés, visages graves et fermés, quand on peut les voir. Jusqu’à ce qu’ils nous nassent, ici, ou là, tous ensemble, nous empêchant de nous diriger vers les rues adjacentes pour échapper aux gaz lacrymos… On entend des tirs, des sirènes, des pétards, une fumée âcre nous prend aux yeux et à la gorge.

« Mes » Gilets jaunes

J’ai mes copains Gilets jaunes, ils m’envoient par Whatsapp des messages pour me guider lorsque j’arrive un peu en retard ou que je les rejoins au milieu du défilé. Ils me disent par où passer pour éviter de prendre des risques. Nous nous écrivons aussi de temps en temps en semaine pour avoir des nouvelles. Ce sont les Gilets jaunes que j’avais reçus début décembre au Sénat. L’une d’elles, je l’ai fait inviter à un forum de Libération sur les femmes en politique, organisé par Clémentine Autain, vendredi. Elle a joué le jeu et écrit un beau texte.

Pendant ces longues marches, je me fais à chaque fois de nouvelles relations. Je discute écologie avec les plus jeunes. Ils rêvent d’un autre monde. Et m’expliquent sans arrêt des choses. Ils ont envie de s’exprimer. Et moi de les écouter. Ils voient venir les casseurs, ils me les montrent. Ils m’avertissent: « Voilà, ça y est, ils vont se mettre à casser », et ça ne tarde jamais. Comment se fait-il que les forces de l’ordre ne les empêchent pas à temps de commettre leurs méfaits? Les laisserait-on faire pour discréditer le mouvement?

La majorité avance tranquillement. Il y a une grande inventivité dans les slogans et les accoutrements. On essaie de donner de la couleur et du sens à ces marches répétitives. On se déguise. On se met en scène. Il y a de la musique, parfois une petite fanfare. Beaucoup de femmes qui me parlent de leur vie, de leur « chienne de vie » comme elles l’appellent parfois. D’autres de leur arthrose.

Les cadres des partis de gauche auraient dû descendre plus nombreux et plus tôt dans les rues avec eux pour faire contrepoids à cette infiltration d’extrême droite. Beaucoup me le répètent. Oui, nous avons loupé le coche, trop tard.

Un Gilet jaune avec des genoux en compote s’est fait conduire en voiture par un ami pour ne pas rater cette marche. Un petit moment, il a pu le faire, après, je l’ai perdu de vue. Il me racontait comment son médecin lui indiquait l’endroit où il pouvait acheter à bas prix l’acide hyaluronique qu’on lui infiltrait dans les genoux pour qu’il tienne encore un peu avant l’opération.

Il y a parfois des excités, bien sûr, qui en veulent au monde entier. Mais les autres me disent: « Ne les écoute pas, ils ne sont pas de la famille. » On entend ici et là, souvent venus des trottoirs, dans les marges, mais parfois aussi au cœur du cortège, des slogans nationalistes, voire d’extrême droite. Mais ces voix se dissolvent dans la bonhomie de la plupart des Gilets jaunes. Les cadres des partis de gauche ou dits de gauche auraient dû descendre plus nombreux et plus tôt dans les rues avec eux pour faire contrepoids à cette infiltration d’extrême droite. Beaucoup me le répètent pendant ces longues marches dans le froid. Oui, nous avons loupé le coche, trop tard, maintenant, pour gagner leur confiance.

Le passage devant le Sénat s’est passé sans violences, du moins n’en ai-je pas personnellement constaté au moment où je m’y trouvais. J’ai discuté devant pendant un bon moment avec deux street medics qui m’ont offert un masque… et m’ont demandé de ne pas lâcher Benalla, comme si je pouvais, seule, faire quelque chose.

Une quenelle

À l’arrivée dans le VIIe arrondissement, l’atmosphère a commencé à chauffer sérieusement. Des affrontements ont éclaté. L’air devenait irrespirable. Sur mon chemin, j’ai rencontré Jérôme Rodrigues et Priscilla Ludosky. Ils me lancent un « Tu es encore là, toi? »

Le cortège s’effiloche un peu. Je suis à la traîne. Trois jeunes sans gilets commencent à m’interpeller par mon prénom et me font la quenelle. Ils n’ont pas l’air tendre, c’est le moins qu’on puisse dire, ni très fins. Des Gilets jaunes m’entourent, expriment clairement leur désapprobation. À partir de ce moment, l’un d’entre eux devient mon garde du corps improvisé.

J’approche deux policiers, je leur signale les agressions verbales et gestuelles des trois antisémites de service. Ils me répondent: « Nous, on ne peut rien faire, on est juste là pour fermer la route aux voitures. » Rien à signaler, donc.

J’ai repris le chemin avec « mes » Gilets jaunes. Nous nous sommes arrêtés pour manger un sandwich dans une boulangerie, où on nous a servis avec le sourire. La boulangère n’a pas baissé son rideau. Elle dit à qui veut l’entendre: « Je n’ai pas peur des Gilets jaunes, moi, mais des casseurs. »

Moi aussi.

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