Projet de Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Monsieur le Président,
Madame le Ministre,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Messieurs les Rapporteurs,
Mes cherEs collègues,
À peine trois ans ont passé depuis la dernière réforme de l’Asile et la dernière refonte du droit des étrangers, toutes deux menées par l’ancienne majorité. Trois années qui n’auront permis ni de faire un bilan précis de l’efficacité des mesures votées, ni d’élaborer une véritable politique migratoire, ambitieuse et rationnelle.
Le texte que nous examinons en procédure accélérée est au moins le 20e depuis la fin des années 1970. Notre législation tourne à vide. Elle ne semble avoir qu’une boussole : le Rassemblement national. Or ce n’est pas en s’alignant sur les thèmes du RN, ex-FN, qu’on réussira à faire reculer ses votes, dixit Jacques Toubon lui-même.
On nous promettait un nouveau monde, le candidat Macron rappelait, en janvier 2017 à Berlin, que l’« on ne peut pas revoir nos valeurs à l’aune des risques du monde. » Fumée que cela. De ce texte comme des autres le demandeur d’asile sortira perdant. Son intitulé se veut rassurant. Il n’a qu’un but : décourager un peu plus ceux qui cherchent refuge chez nous.
Ceux à propos desquels nos ministres Loiseau et Collomb parlent avec cynisme de « submersion », de « shopping de l’asile » et de « benchmarking ». Pour nos dirigeants, les exilés sont juste des encombrants, un flux à gérer, un chiffre à réduire. Chacun sait que la prise en charge équitable des exilés par les pays de l’Union européenne est la seule issue. Mais ce n’est pas parce qu’il est urgent de mettre en œuvre une vraie politique européenne que la France doit tout s’autoriser.
Lisez le rapport 2018 de la Contrôleure des lieux de privation de libertés sur ce qui se passe à Menton : « la prise en charge quotidienne de personnes étrangères s’effectue dans des conditions indignes et irrespectueuses de leurs droits ». Lisez le rapport d’Oxfam de juin 2018 sur la situation des exilés à la frontière franco-italienne. Il est aussi accablant pour la France que pour l’Italie.
Heureusement, notre pays a ses délinquants solidaires, ses associatifs, ses citoyens de bonne volonté qui, contre une opinion publique remontée, portent secours à ces sans-rien que d’aucuns rêveraient de voir juste disparaître sous leur talon. Une majorité de nos compatriotes était contre l’accueil de l’Aquarius dans un de nos ports ? Et alors ? Faut-il les en féliciter ? Ou féliciter le peuple espagnol d’avoir épaulé son gouvernement, plus de 1000 bénévoles s’étant dévoués pour accueillir les rescapés ?
Quel contraste avec notre Commission des Lois qui a trouvé le moyen de supprimer le petit assouplissement que l’Assemblée avait apporté en faveur des aidants au transport, en limitant à la marge notre définition du « délit de solidarité ». Décidément, rien ne doit brider l’œuvre de maltraitance de ce gouvernement.
À l’intention de sa droite, de la droite dure et même de l’extrême droite, l’exécutif fait miroiter un durcissement législatif susceptible de favoriser une augmentation des expulsions de migrants économiques et de déboutés du droit d’asile. Or les législateurs que nous sommes ne peuvent ignorer que le budget voté il y a quelques mois ne prévoit pas de moyens supplémentaires en matière de reconduite à la frontière. Simple affichage.
Je me suis rendue ces derniers mois à Calais, à Ouistreham, à Menton, dans les camps parisiens, dans maints lieux d’enfermement des étrangers, à la rencontre de ceux qui ne sont plus, dans le langage courant, que des « migrants ». Un glissement lexical qui contribue à semer la confusion entre immigration économique et accueil des réfugiés et revient à faire oublier les conventions internationales que nous avons signées.
Les « migrants », ceux de l’Aquarius et de tous les bateaux affrontant une Méditerranée meurtrière, les « migrants » dont on retrouve le corps sans vie dans les Alpes après la fonte des neiges, les « migrants » de Calais et de la porte de la Chapelle, sont des hommes, des femmes et des enfants. Nos semblables.
Je terminerai en citant Danièle Lochak, professeure émérite de droit public, susceptibles d’éclairer, peut-être, le débat qui suivra : « les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930 et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés. » Je précise : bateaux refoulés inclus. Souvenons-nous du Saint-Louis, du Struma, et d’autres. Contrairement à ce qu’on dit, l’histoire a la mauvaise habitude de se répéter. Pour le pire.
Je vous remercie.