Manifestations contre le racisme: à gauche de l’échiquier politique, le thème est sensible

L’articulation entre lutte sociale et lutte raciale reste compliquée à aborder au sein d’une gauche divisée sur le sujet.

«Houla, houlala…» Un temps de silence suis l’expression de gêne. Ce parlementaire socialiste ne parle pas volontiers, ni surtout publiquement, de l’articulation entre lutte raciale et lutte sociale. Le sujet est compliqué à aborder à gauche, et surtout, il divise. Certains seraient-ils plus égaux que d’autres face au libéralisme oppresseur? La crainte de cet élu, qui analyse et commente pourtant aisément d’autres sujets de société, aussi brûlants soient-ils, c’est «la fin de l’universalisme républicain». «Il faut le réinterroger à l’aune des discriminations qui sont incontestables, mais faut-il entrer dans cette logique anglo-saxonne d’assignation en fonction de ses origines, de sa couleur de peau?»

«C’est un sujet occulté. Le débat n’a jamais vraiment été ouvert à gauche», regrette la sénatrice EELV Esther Benbassa. Pourtant, la question taraude ces temps-ci nombre de cadres, du PCF au PS en passant par les écologistes, alors que les manifestations contre le racisme et les violences policières se répandent. Elles ont été initiées entre autres – et depuis longtemps – par le comité Adama Traoré, et sont relancées par l’affaire George Floyd aux États-Unis.

Promesses déçues

La police en France est-elle systématiquement raciste comme on peut l’entendre au sein de ces manifestations? Dimanche, l’ex-ministre de la Justice Christiane Taubira a souligné la gravité de certains actes et le fait qu’ensuite, les «procédures durent des années et aboutissent très souvent à des non-lieux». Mais pour elle, «des personnes meurent d’avoir rencontré des policiers, pas d’avoir rencontré la police».

Après la Marche des Beurs en 1983, la gauche n’a pas tenu ses promesses. La déception a été immense, les traces laissées considérables.

Clémentine Autain, députée LFI de la Seine-Saint-Denis

Numéro deux du PS, originaire de La Réunion et ex-députée des Français d’Amérique du Nord, Corinne Narassiguin suggère une grande prudence dans les comparaisons entre les États-Unis et la France au regard de leur histoire respective. «On peut observer attentivement la question du racisme aux États-Unis et en tirer des leçons pour notre pays. Mais ces leçons, a-t-elle écrit dans Politis, ne seront valables que si on procède à des comparaisons circonstanciées et bien contextualisées. Sinon, on risque de tomber dans les généralisations hâtives et les caricatures qui nourrissent les deux faces de l’identaritarisme: le communautarisme victimaire au nom de l’antiracisme, contre le nationalisme aigri aux relents racistes». Pour autant, Corinne Narassiguin pointe «l’échec de la République – et singulièrement de la gauche – à mettre en place des politiques efficaces de lutte contre les discriminations».

Un point clef pour la députée de Seine-Saint-Denis du groupe des Insoumis, Clémentine Autain qui était présente mardi à la manifestation porte de Clichy, devant le tribunal de grande instance de Paris avec plusieurs autres parlementaires. «Après la Marche des Beurs en 1983, la gauche n’a pas tenu ses promesses. La déception a été immense, les traces laissées considérables. Or en ce moment, souligne-t-elle, nous sommes à leur côté, nous retissons du lien. En 2005, j’étais à la manifestation pour Ziad et Bouna à Paris et il y avait trois personnes. J’avais l’impression d’être en subversion à gauche! Il fallait voir le monde et l’ambiance de fierté, mardi…» Esther Benbassa y était aussi. Elle est plus inquiète. «J’ai été étonnée du nombre malgré de faibles moyens. La situation peut vite exploser.»