LES STATISTIQUES ETHNIQUES DOIVENT-ELLES ÊTRE AUTORISÉES ?

La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, suggère de rouvrir «de manière apaisée et constructive le débat autour des statistiques ethniques» dans une tribune publiée samedi 13 juin par Le Monde.

Cette contribution, qui intervient dans le contexte de ces dernières semaines, marquées par les différentes manifestations sur le thème de la lutte contre les discriminations, les violences policières et le racisme, met de fait sur la table le débat sur les statistiques ethniques.

Et en France, à la différence de nombreux autres pays, la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 interdit la collecte de «données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques».

Ce principe est en réalité sujet à de nombreuses exceptions et dérogations : par exemple, l’INSEE demande, dans certaines enquêtes, le pays de naissance et la nationalité des parents des personnes interrogées. Même chose lors du recensement de la population. «Le système statistique public français, même s’il s’abstient d’utiliser le terme, produit bel et bien une statistique ethnique dès lors qu’il repère les nationalités d’origine ou les pays de naissance», estime François Héran, sociologue et démographe, dans un rapport appelé «Inégalités et discriminations, pour un usage critique et responsable de l’outil statistique» et écrit en 2010.

Au-delà de ce débat sémantique, reste que défenseurs et pourfendeurs des «statistiques ethniques» ne sont pas d’accord sur les conséquences d’une utilisation à grande échelle d’un tel classement de la population.

LES STATISTIQUES ETHNIQUES CONTRAIRE À L’UNIVERSALISME FRANÇAIS ?

Un rapport d’information écrit par les sénateurs Esther Benbassa (EELV) et Jean-René Lecerf (LR) en 2015 sur la lutte contre les discriminations résume bien le débat. D’un côté, il y a ceux, comme Sibeth Ndiaye, qui pensent que tracer des statistiques ethniques permettraient de quantifier les inégalités, ce qui permettrait de mieux les combattre.

«Nous avons fait de l’universalisme le fondement de nos lois, mais, à ne pas pouvoir mesurer et regarder la réalité telle qu’elle est, nous laissons prospérer les fantasmes», écrit la porte-parole du président de la République dans le quotidien du soir.

Patrick Simon, directeur de recherche à l’INED (Institut national d’études démographiques), cité par le rapport des sénateurs, prend l’exemple suivant : en France «l’écart de salaires entre les Blancs et les Noirs dans l’entreprise n’est pas connu car on refuse de parler de Blancs et de Noirs». «Dans son principe, les statistiques ethniques auraient donc l’avantage de lutter contre l’invisibilité statistique des minorités visibles», posent les sénateurs.

Ceux qui s’y opposent craignent que faire choisir aux citoyens une ethnie fige les identités et soit contraire à l’article 1 de la Constitution française qui indique que la France «assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Un argument utilisé par le Conseil constitutionnel en 2007 pour retoquer l’article 63 de la loi Hortefeux. Celle-ci voulait permettre «la réalisation de traitements de données à caractère personnel faisant apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques des personnes». Anticonstitutionnel ont estimé les Sages.

En d’autres termes, les statistiques ethniques contribueraient, selon eux, à exacerber le communautarisme en France en matérialisant l’existence de groupes ethniques. Bref, elles seraient contraires à l’universalisme français.

DES FAMILLES POLITIQUES QUI SE CONTREDISENT

Le débat est d’autant plus complexe que même à l’intérieur des familles politiques et syndicales, des désaccords se font entendre. Agnès Buzyn, qui comme Sibeth Ndiaye fait partie de LREM, a jugé sur Radio J ce genre de statistiques «plus risquées qu’utiles». «Ça oblige à classer les gens et fondamentalement, je ne peux pas imaginer qu’on classe les gens, un humain est un humain, et en fonction d’un critère pseudo-ethnique puisqu’on sait bien à quel point c’est contestable».

A droite, le député LR du Vaucluse Julien Aubert pense qu’elles permettraient «d’objectiver la réalité», alors que le député européen du Rassemblement national Nicolas Bay les critique. Même combat au sein du premier syndicat de France : «c’est un sujet qui nous traverse à la CFDT, on a des points de vue assez différents. Ça a été l’objet d’un débat au dernier congrès. Il y a une partie qui pense qu’il faut le faire, moi je suis plus mesuré», a noté sur France 3 Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. La question est donc loin d’être réglée.