Le centre de rétention situé à proximité de l’aéroport de Roissy a connu au mois de mai au moins trois actes désespérés d’automutilation, dont une tentative de suicide, de personnes retenues. Parmi elles se trouve une jeune fille de 16 ans.
Irina (1) est une jeune Géorgienne de 16 ans. Le 13 mai, elle a été placée en rétention au centre du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) avec son père, qui était sous le coup d’une interdiction de retour sur le territoire français depuis août 2018. Peu importe que l’adolescente ne soit pas responsable de la situation de son paternel : en France, on ne sépare pas les enfants de leurs parents en situation irrégulière, on préfère placer les familles entières en rétention. Au début de la semaine, rapporte l’association de défense des migrants la Cimade, qui intervient au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, Irina a dû être hospitalisée après avoir avalé des pièces de métal.
Abdel (1) est un Tunisien de 32 ans. Père d’une petite fille française âgée aujourd’hui de 5 ans, il était autorisé à ce titre à séjourner en France, jusqu’à ce qu’une condamnation à une peine de prison en 2016 n’entache ses projets. Peu avant sa levée d’écrou, il se voit délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF). En mars, direction le CRA de Metz, puis celui du Mesnil-Amelot, après qu’il a refusé d’embarquer dans un avion en avril. En mai, il évite une nouvelle fois l’expulsion en déposant une demande d’asile tardive, précise-t-on à la Cimade. Au début de la semaine, Abdel s’est taillé les veines.
Oscar (1) est un ressortissant du Cap-Vert âgé d’une trentaine d’années. A l’automne, il lui a été délivré une OQTF. Placé en rétention au Mesnil-Amelot pendant quatre-vingt-sept jours, soit trois de moins que le délai maximum de quatre-vingt-dix jours, il a tenté le tout pour le tout en avalant un coupe-ongles, le 15 mai, alors qu’il devait être présenté à l’embarquement, rapporte le Parisien. Hospitalisé à Bobigny (Seine-Saint-Denis), il a subi une opération chirurgicale, les lames risquant de provoquer des lésions internes.
Pour Clémence Lormier, qui intervient pour la Cimade au CRA du Mesnil-Amelot, ces trois cas d’automutilation, voire de tentatives de suicide, sont révélateurs du «climat explosif qu’il y a en ce moment au CRA. L’enfermement attaque les gens dans leurs corps». Même analyse de son collègue Nicolas Pernet auprès du Parisien : «La dernière arme dont ils disposent est souvent l’automutilation et même la tentative de suicide. Ce sont des cas tristement classiques.»
Le CRA du Mesnil-Amelot est situé juste à côté de l’aéroport de Roissy. Il accueille des familles et des personnes seules. Les conditions de vie y sont décrites comme rudes et oisives par les associations qui y interviennent. Fin janvier, la sénatrice écologiste de Paris Esther Benbassa y avait fait une visite surprise qui l’avait marquée : «Il faisait froid dans les chambres. L’état de saleté était particulièrement avancé. […] Les gens se plaignaient que la lumière ne fonctionnait pas, qu’il n’y avait pas toujours d’eau dans les toilettes… Ils m’ont aussi parlé de puces de lit et même de gale», avait-elle raconté à Libération.
Les personnes retenues s’y ennuient, n’ayant «aucune occupation, ils tournent en rond toute la journée. On m’a aussi rapporté des expulsions dans des conditions assez violentes. Les gens disent manger très mal, que les portions ne sont pas suffisantes», témoignait encore la parlementaire. Au début de l’année, une vague de grèves de la faim dans plusieurs CRA français n’avait pas épargné celui du Mesnil-Amelot.
L’Unicef s’alarme de la situation, en particulier de celle de l’adolescente géorgienne. «Pour nous, c’est une illustration très claire de ce que provoque l’enfermement, quelle que soit sa durée, sur les enfants, même dans des CRA aménagés pour les familles. C’est la manifestation d’une extrême souffrance ressentie par les jeunes qui sont enfermés. Cela peut engendrer des problèmes d’alimentation, du stress, et des symptômes proches du stress post-traumatique. Surtout au Mesnil-Amelot, où le passage incessant des avions est anxiogène», analyse Anne-Lise Denoeud, chargée de plaidoyer pour l’organisation internationale de défense des enfants.
Malgré leur acte désespéré, la situation d’Irina, Abdel et Oscar ne s’est pas améliorée. Oscar a été expulsé, une semaine après son séjour à l’hôpital. Irina est sortie de l’hôpital et retournée au centre de rétention auprès de son père. Une demande de remise en liberté a été rejetée par la justice. La Cimade va faire appel. L’association n’a cependant pas de nouvelles d’Abdel, qui aurait été placé à l’isolement à son retour en CRA.
Le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à nos questions.
(1) Les prénoms ont été modifiés