Le Sénat rejette l’inscription du « crime d’écocide » dans le droit pénal

Les sénateurs socialistes ont échoué à faire adopter un texte visant à réprimer les crimes contre l’environnement « d’une particulière gravité ».

En Malaisie, des hectares de jungle sont détruites pour être converties en plantations de durians, fruits odorants très prisés en Chine notamment. Des juristes cherchent à faire reconnaître la déforestation comme un « crime d’écocide ».
En Malaisie, des hectares de jungle sont détruites pour être converties en plantations de durians, fruits odorants très prisés en Chine notamment. Des juristes cherchent à faire reconnaître la déforestation comme un « crime d’écocide ». MOHD RASFAN / AFP

Copie à revoir… Le Sénat – à majorité de droite – a rejeté, jeudi 2 mai, en première lecture, une proposition de loi du groupe socialiste visant à introduire l’incrimination d’« écocide » dans le code pénal français afin de « punir les crimes environnementaux d’une particulière gravité ».

En prévision de cette soirée où ils étaient maîtres de l’ordre du jour, Jérôme Durain, Nicole Bonnefoy, Marc Daunis, Patrick Kanner et plusieurs de leurs collègues avaient déposé, le 19 mars, un texte définissant l’écocide comme le fait de « porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre ».

Le document prévoyait des sanctions dissuasives : une peine de réclusion criminelle de vingt ans, 7,5 millions d’euros d’amende ainsi que l’imprescriptibilité, comme elle est déjà prévue par le code de procédure pénale pour les génocides et les crimes contre l’humanité. Mais il s’est vu notamment reprocher son manque de clarté sur le caractère intentionnel ou non des infractions visées.

« La France ne peut s’ériger en gendarme du monde »

« Protéger notre planète est une question de survie que personne ne conteste, a déclaré au Monde la rapporteure du texte, Marie Mercier (LR, Saône-et-Loire), juste avant les débats, mais la France ne peut s’ériger en gendarme du monde. En revanche, elle pourrait être leader dans la conclusion d’un traité international définissant un socle de sanctions qui se déclinerait dans le droit interne de chaque Etat ».

Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, a, de son côté, rappelé que la France « a déjà un arsenal robuste et, [qu’]au niveau international, le président de la République œuvre en faveur du pacte mondial pour l’environnement ».

La veille de la séance, Jérôme Durain n’a pas caché que le succès de la pétition « L’Affaire du siècle », qui a recueilli le nombre record de 2,1 millions de signatures en faveur de la lutte contre le changement climatique, comme l’approche des élections européennes du 26 mai n’étaient pas étrangères à l’initiative de son groupe. « L’écologie est un marqueur politique à même de fédérer, a déclaré le sénateur de Saône-et-Loire. Notre démarche n’est pas totalement désintéressée mais elle est sincère, et elle témoigne de notre maturité politique. Si tout le monde s’attend, on ne fera jamais rien. La criminalité environnementale n’est pas une criminalité de pays pauvres ».

Unique sénatrice EELV, apparentée au groupe communiste, républicain, citoyen, écologiste, Esther Benbassa a souligné la portée « essentiellement symbolique » du texte. « Les infractions qu’il vise relèvent plutôt du droit pénal international », a-t-elle noté. Mais la Cour pénale internationale – créée par le Statut de Rome de 1998 – ne juge aujourd’hui que les quatre « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de l’humanité » : génocide, crime contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression.

« Amateurisme »

Le groupe socialiste s’est appuyé sur les travaux de différents spécialistes de l’écocide, notamment l’ouvrage Des écocides à l’écocrime, Le droit pénal au secours de l’environnement (Bruylant), publié en 2015 sous la direction du professeur de droit de l’environnement Laurent Neyret. Il soulignait entre autres le manque d’accessibilité et de lisibilité, le quantum des peines généralement peu dissuasif par rapport aux profits réalisables par les auteurs d’infractions environnementales et la frilosité des juges. Aujourd’hui directeur de cabinet du président du Conseil constitutionnel, M. Neyret n’a pu être auditionné par le Sénat au sujet de la proposition de loi du 2 mai.

La juriste internationale Valérie Cabanes, présidente d’honneur de l’ONG Notre Affaire à tous et auteure d’Un nouveau droit pour la Terre (Seuil, 2016), l’a été. Et elle regrette une forme d’« amateurisme » dans la démarche du groupe socialiste qui n’a pris en compte aucun des amendements qu’elle lui a proposés. « Cette proposition de loi était si mal ficelée qu’elle donnait à la droite toute latitude pour la rejeter sans avoir à en débattre sur le fond », juge-t-elle. Pour autant, elle estime que cet épisode « fait avancer la notion d’écocide », terme popularisé au début des années 1970 après l’utilisation au Vietnam par l’armée américaine de l’agent orange, le défoliant chimique qui a ravagé les forêts vietnamiennes et la santé des populations locales.

En 2018, une mission conjointe de l’Inspection générale de la justice et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a été lancée afin d’améliorer l’application du droit de l’environnement en France. Parmi les pistes étudiées, un renforcement de la formation des magistrats et une spécialisation des juridictions dans la protection de l’environnement et de la biodiversité. Les conclusions devraient être dévoilées en septembre.

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