Le moment Gérard Larcher
PORTRAIT
A 70 ans, le président du Sénat fait figure de dernier recours. Un rôle majeur qui est sans doute aussi le dernier pour cet archétype de l’ancien monde.
La musette avec les sandwichs beurrés à l’intérieur, les chaussures Mephisto aux pieds – peu esthétiques mais très confortables –, la mini-serviette dans la poche arrière pour s’éponger le front en cas d’efforts répétés, et la tête des bons jours, celle qui se met à rire brusquement toutes les quinze secondes comme si on lui caressait la plante des pieds avec une plume de canard colvert.
Alors, non, Gérard Larcher ne part pas tout guilleret à la chasse, sa passion, il poursuit plutôt une tournée politique sans fin, ce qui, dans son cas, n’est finalement pas très différent.
Il est partout, « Gégé »
Il entame son 78e déplacement depuis le début de l’année. « Je suis heureux ! » Présentement, il est installé dans une voiture de première classe du Paris-Nantes de 12 h 8. Il tapote une grosse pile de dossiers en regardant la France qu’il aime, celle des sous-bois et des bocages, défiler sous un beau soleil. Oui, aucun doute, il est aussi heureux que s’il venait d’avaler tout un champ de morilles. Dans quelques minutes, il sera accueilli par Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, et par tous les caciques de la droite du Grand Ouest, avec les honneurs dus à son rang de président de la Chambre haute.
Un programme politique copieux qui l’empêchera de déjeuner et de dîner convenablement, d’où les sandwichs : visite d’une usine et d’un centre de formation professionnelle, prise de notes frénétique – « Tous les jours, j’apprends quelque chose » –, discours devant un parterre de militants LR qu’il exhorte à ne pas céder « à la sinistrose ambiante » – « Je suis de nature profondément optimiste » –, et surtout ne pas rater le dernier train pour enchaîner le lendemain, dès potron-minet, avec un déplacement dans le Cher, où il se livrera à la même gymnastique. « Tout part du bas, du terrain et des territoires », répète-t-il.
Le jour suivant, ce sera la Saône-et-Loire, puis Le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) avec la présidente du conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse, etc.
Il est partout, « Gégé » – on se permet, ses copains sénateurs l’appellent ainsi. Et il n’a pas l’intention de ralentir sa grande vadrouille pétaradante. Il a aussi un livre d’entretiens à vendre, Contre-pouvoir, à paraître le 16 octobre (éditions de L’Observatoire), au titre aussi éloquent que prometteur. Ah ! si, samedi 14 septembre, il a soufflé… Oui, mais ses 70 bougies. Et dévoré des ris de veau, une autre de ses nombreuses passions.
Le grand rassembleur
La frénésie itinérante de Larcher s’explique par un alignement de planètes sombres dont seule la droite a le secret : dans un paysage dévasté depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 jusqu’à la débâcle des européennes 2019 (8,48 % pour la liste LR conduite par François-Xavier Bellamy), en passant par le crash de François Fillon à la présidentielle de 2017, le président du Sénat fait figure tout à la fois de boussole, de statue du commandeur et de radeau insubmersible.
C’est enfin son moment. Il est devenu incontournable au sein de sa famille politique, à la fois opposant institutionnel à la Macronie et bouée de sauvetage d’une droite perdue en mer.
Alors que le patron des députés LR Christian Jacob bat campagne pour remplacer Laurent Wauquiez à la tête du parti, « Gégé » est parti en mission commando, pour tenter de ravauder les liens avec ceux qui se sont dispersés, en délicatesse avec le parti, repliés dans leurs fiefs régionaux en attendant des jours meilleurs. « Il est le seul à pouvoir parler à ceux qui sont restés et à ceux qui sont partis », résume Bruno Retailleau.
Après les européennes, Gérard Larcher a décroché son téléphone et a mis tous les ténors de la droite qui ne peuvent plus se piffer autour d’une table dans un hôtel parisien. Ils étaient quatorze, il y avait même Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez, qui s’évitaient depuis des mois. C’est dire la puissance de persuasion de « Gégé », qui introduisit la réunion par un « Je ne pouvais pas rester spectateur » et leur a récité son mantra : pour exister de nouveau, il faut repartir « du bas, du terrain et des territoires ».
Ses amis ont apprécié de le voir prendre la situation en main. Ils en ont été un peu surpris aussi, car, de son propre aveu, l’ancien maire de Rambouillet (Yvelines) « n’aime pas le conflit », « le constat d’un échec », selon lui. Longtemps, Nicolas Sarkozy l’a qualifié de « couille molle ». Formule peu élégante pour dire qu’on ne pouvait guère compter sur lui pour monter au front. « Il déteste la bagarre publique », l’excuse Christine Boutin, l’ancienne députée des Yvelines. « Il n’aime pas trancher, c’est son point faible », confirme Jean-Frédéric Poisson, qui fut son successeur à la mairie de Rambouillet.
Il pourrait faire sienne la maxime d’Henri Queuille : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. » « Mais, quand il décide d’y aller, il y va ! » Hervé Morin, son ami président de Régions de France, se souvient : « Juste après les européennes, je lui ai envoyé un texto en lui disant : « Maintenant, il faut que tu fasses le patron, tout le monde se fout de ta gueule, on dit que tu n’y vas pas assez franco. » Aujourd’hui, il fait le job, il a franchi une étape. »
La méthode « Gégé »
Pour être honnête, ce n’est pas la première fois que la droite fait appel à lui pour déminer des situations pénibles. En 2012, il avait joué les casques bleus entre Copé et Fillon. En 2017, ses camarades l’avaient envoyé « débrancher » le candidat Fillon empêtré dans son costume Arnys, un de ses rares échecs de médiateur, d’ailleurs, mais, à sa décharge, il en fallait davantage que l’entregent de « Gégé » pour convaincre le vainqueur de la primaire de renoncer.
Si on va le chercher, c’est évidemment en raison de sa position institutionnelle, deuxième personnage de l’Etat, un statut VIP à droite par les temps qui courent. Mais c’est surtout pour son aisance à copiner avec les uns, les autres et le reste du monde.
Du temps de l’affrontement Chirac-Balladur pour la présidentielle de 1995, il était connu pour avoir deux téléphones : un pour chacun des adversaires. Une prudence qui lui a été bien utile. Balladurien déclaré, il a survécu aux purges chiraquiennes au point d’être nommé ministre.
Trouver quelqu’un qui n’aime pas Gérard Larcher, au palais du Luxembourg ou ailleurs, relève du défi. « Le jour où quelqu’un dira “je suis fâché avec Gérard”, il faudra lancer une alerte ! », sourit Hervé Marseille, patron du groupe centriste au Sénat. « Pour se brouiller avec lui, il faut le vouloir pendant longtemps, abonde Jean-Frédéric Poisson. C’est un facilitateur comme on le dit dans le monde de l’entreprise, toujours désireux de trouver un compromis au-dessus des tensions. » « Avec Gérard, les sénateurs savent qu’ils sont entre de bonnes mains. Gégé, il rend des services. Et, dans la vie, tout le monde a un jour besoin d’un service, n’est-ce pas ? » Hervé Marseille, président du groupe centriste au Sénat
Et à gauche ? Un tabac également : « Chacun a un melon à sa mesure. Pas lui. Même s’il est de droite, il est sympa, convivial, toujours disponible, d’une grande ouverture d’esprit. Retailleau me fait peur, Larcher me rassure » (Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris).
« Il est madré, mais respectueux de ses interlocuteurs et des droits de son opposition. La méthode Larcher quoi. » (Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat).La méthode « Gégé », c’est d’abord un physique. Rond. Enveloppant. Adoucissant. « Je crois que j’ai perdu trois kilos pendant les vacances », pouffe-t-il. « Tsss. Impossible, rigole le LR Pierre Charon. Un sénateur qui fait un régime est mal parti pour être réélu. » Un embonpoint qui n’empêche pas une grande souplesse de jambes et une endurance surprenante.
Larcher a aussi cette manière très particulière de plisser les yeux pour regarder attentivement son interlocuteur et puis il gonfle fort les lèvres comme s’il allait vous embrasser. Ça marche à tous les coups.
La méthode « Gégé », Jean-Pierre Raffarin pourrait en parler, et en pleurer, aussi. Elle l’a mis K.-O. en 2008 et en 2014. Quand Larcher se présente à la présidence de l’institution contre l’ancien premier ministre, les observateurs ne le voient pas sur la ligne d’arrivée. Ses copains sénateurs, si. « Raffarin a parlé de la France, Larcher a parlé aux sénateurs », résume l’un d’eux. « Gégé » les avaient reçus un à un.
« Il a l’art de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre », note son amie (son mari chasse avec lui) Christine Boutin. « Il appelle lui-même pour proposer un tête-à-tête, raconte Rachid Temal, sénateur PS du Val-d’Oise. Il “traite” tout le monde. Il ne parle pas qu’avec les huiles. » Alors, on a essayé de le piéger. « Jérôme Durain ? Vous connaissez ? », lui a-t-on demandé. « Evidemment. Sénateur de Saône-et-Loire. Spécialiste des questions agricoles. Fidèle au PS, vraiment fidèle, et je trouve que c’est bien. »
Larcher ne supporte ni l’improvisation ni d’être pris en défaut, il lit des stères de fiches. Sous son air patelin, il ne paie pas de mine, ce qui est à la fois un point faible – il n’est jamais agréable de passer pour un lourdaud – et, évidemment, son point fort – il est d’autant plus redoutable. « C’est Raminagrobis, pour Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste du Loiret, toujours un œil aux aguets. » A force, sans avoir l’air d’y toucher, « Gégé » est devenu un sacré animal politique. Si personne ne loue sa vision politique ou ses talents d’orateur, personne ne conteste que, en matière de Meccano, son art confine au génie.
Le bienveillant
Non, décidément, Raffarin ne faisait pas le poids, si on peut dire. « Avec Gérard, les sénateurs savent qu’ils sont entre de bonnes mains, résume Hervé Marseille, président du groupe centriste. Gégé, il rend des services. Et, dans la vie, tout le monde a un jour besoin d’un service, n’est-ce pas ? »
Depuis 2017, il est désormais interdit de piocher dans la réserve parlementaire pour aider un élu à financer un rond-point ou une route, mais, pendant dix ans, le président du Sénat s’est habilement servi de cette manne pour se tisser un réseau d’affidés. Avec une règle : répartir les sommes équitablement entre les différents partis. Pas de jaloux. Résultat, de gauche à droite de l’hémicycle, tout le monde l’adore.
Depuis la fin de la réserve, il a trouvé d’autres moyens pour instaurer des « relations de confiance » avec ses collègues. Un deuil, une maladie, il fait toujours le nécessaire pour soulager les uns et les autres, ferme les yeux sur l’absentéisme d’un élu en proie à un problème personnel. « Oui, il peut m’arriver de trouver le meilleur ophtalmo pour un sénateur qui a un souci de santé. Ou pour sa femme. J’étais président de la fédération des hôpitaux publics. »
De coups de main en coups de fil, son réseau grossit mécaniquement, comme une oie du Périgord. Il y a ses amis chasseurs, bien sûr, mais aussi les syndicats, qu’il a bichonnés lors de son passage au ministère du travail, et les maires, à qui il ne refuse pas grand-chose. On le dit franc-maçon comme ses amis François Baroin et Jean-Louis Borloo : il nie tout en louant « l’apport de la maçonnerie à la Ve République ».
Il y en a bien un qui a essayé de l’enquiquiner. Un tenace, un rebelle : un conseiller municipal de l’opposition à Rambouillet, sa ville forteresse dont il a été maire de 1983 à 2004, puis de 2007 à 2014, réélu avec 71 % des voix dès le premier tour en 2001.
« J’avais déterré une affaire d’un trop-plein d’indemnités municipales perçues par Larcher et un de ses adjoints, raconte Jean-Luc Trotignon, également ancien membre d’Anticor, une association qui promeut l’éthique en politique et lutte contre la corruption. Le tribunal administratif l’a condamné à rembourser 9 000 euros. Il y avait une autre affaire, de faux en écriture, mais ça n’a rien donné. » Trotignon n’a pas tout perdu, il a eu le mérite de voir Larcher en pétard. Ce qui n’est pas fréquent. « Au conseil municipal, quand je le contredisais au sujet des indemnités trop perçues, il devenait tout rouge, il gigotait et il y avait quelques éclats de voix. »
Maître en son palais
Au Sénat, il est tout à son aise. « Il est en osmose avec l’institution, c’est le chantre de l’équilibre », constate Bruno Retailleau. Ça ne relève même plus de la stratégie mais de l’art de vivre. Larcher, c’est la France à l’ancienne, des pâtés et du fromage, des bocages et de l’apéro, des élus locaux et des amicales en tout genre, des confréries et des syndicats.
Tout l’inverse du nouveau monde, en quelque sorte. Le président déroule un CV qui colle comme un gant à cette institution à part, une sorte de club à l’anglaise anti-bling-bling où on prend le temps de se parler.
« Je ne sais pas si Macron arrive à me cerner. Il n’a pas compris qu’au fond, moi, je suis un homme totalement exempt de toute méchanceté. Ce qui n’interdit pas d’être malin. » Gérard Larcher
Issu d’une famille normande et catholique (il se convertira plus tard au protestantisme en se mariant à une amie d’enfance devenue chirurgienne-dentiste), père propriétaire d’une usine de textile, Larcher devient vétérinaire et consacre sa thèse aux chiens de grande vénerie. « J’ai aussi une passion pour les chevaux de trait et pour la zootechnie, la technique de l’élevage et de la sélection. »
Un de ses plus beaux souvenirs : « Les Jeux olympiques de Montréal en 1976 ! J’étais vétérinaire de l’équipe de sports équestres médaillée d’or. Je me souviens, on allait bouffer dans un bistrot qui s’appelait La cabane à sucre. Il faut que je vous donne l’article où on parle de moi ! Il y a une photo, avec mon tracteur, où je fume le cigare et je ressemble à Philippe Noiret. »
Son autre dada : la politique. Dès le lycée, il émarge chez les gaullistes tendance « sociale », adhère au RPR à sa création, en 1976. En 1983, il emporte la mairie de Rambouillet, début d’une ascension quasi sans accroc jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat. Un parcours à l’ancienne, où l’on enchaîne les mandats comme les bons élèves les diplômes (maire, conseiller régional en 1985, sénateur en 1986, ministre délégué au travail sous le gouvernement Chirac) et où l’on quadrille le territoire pendant des décennies.
« Je ne connais pas d’homme politique qui ne connaisse la France aussi bien que Gérard Larcher », assure Bruno Retailleau. Il ausculte les régions depuis des lustres. Sa première élection remonte à loin. « J’ai été élu le deuxième plus beau bébé de la plage à Saint-Pair-sur-Mer (Manche). »
Lors du prochain renouvellement du Sénat par tiers, en septembre 2020, même si la droite s’érode, personne ne doute qu’il va être réélu et qu’il retrouvera son fauteuil. Les sénateurs en sont convaincus : tant que « Gégé » est là, rien de grave ne peut leur arriver. La Chambre haute se sait mal aimée des Français et, en ces temps de dégagisme et de chasse aux privilèges, l’institution peut faire figure de gadget en voie de disparition. Lorsque, en janvier 2015, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a remis en cause l’existence du Sénat, Larcher a sorti les crocs.
« Je l’ai reçu dans mon bureau et je lui ai dit : « Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire » et je l’ai raccompagné à sa voiture. » Depuis, tout le monde serre les rangs derrière lui. Malin, il a entrepris une réforme interne : contrôle des frais de mandat, baisse des indemnités, jugée cosmétique par beaucoup, mais de nature à calmer pour un temps les critiques les plus virulentes.
Ennemi numéro un de la macronie
Avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, il a rapidement compris qu’il avait affaire à un adversaire du genre coriace. Mais les circonstances – en l’occurrence une certaine affaire Benalla – l’ont catapulté ennemi institutionnel numéro un de la Macronie triomphante. Comme à son habitude, il n’a surtout pas cherché à souffler sur les nuages noirs qui se condensaient au-dessus de l’exécutif. Il s’est contenté de laisser travailler la commission d’enquête sénatoriale présidée par Philippe Bas.
Le socialiste Jean-Pierre Sueur, corapporteur, raconte : « Ça se passe au moment des conclusions de notre commission. Nous préconisons de saisir la justice, car nous estimons qu’il y a eu des faux témoignages. A ce moment-là, il y a eu des pressions pour que le bureau du Sénat et Gérard Larcher nous dédisent et prennent une délibération éthérée, soporifique. Des pressions exercées par certains ministres, des SMS envoyés pendant les questions d’actualité… Mais Larcher est resté solidaire de la commission d’enquête. »
« Pendant l’affaire, le président m’avait téléphoné. J’ai estimé que c’était un appel peu utile. Il n’a pas totalement compris l’indépendance des chambres », précise le président du Sénat qui rigole de sa punchline tout en bombant le torse parce que, dorénavant, on ne la lui fait plus à « Gégé ».
D’ailleurs, depuis l’affaire, le palais du Luxembourg ne compte plus du tout pour du beurre. Du coup, à Matignon ou à l’Elysée, on ne sait pas trop comment le prendre, le « Gégé ». On l’épie, on a peur du prochain mauvais coup.
A Matignon, on dit ceci : « Larcher, il est sympathique, il est toujours dans le consensus et, en même temps, il nous empêche complètement d’avancer. » Au Château, on l’a d’abord un peu sous-estimé. Pas étonnant, car Larcher « aime faire le bœuf », comme il dit. « Je ne sais pas si Macron arrive à me cerner, confie Larcher. Il n’a pas compris qu’au fond, moi, je suis un homme totalement exempt de toute méchanceté. C’est pas mon truc, ce qui n’interdit pas d’être malin. Nous avons des rapports républicains courtois, mais on n’a pas trouvé tout à fait les canaux d’une relation plus construite. »
Depuis 2018, ils ont entamé un bras de fer, feutré mais viril, sur la révision constitutionnelle qui ne peut être adoptée sans le vote conforme du Sénat. Le « contre-pouvoir » Larcher a déjà obtenu une moindre baisse du nombre des sénateurs, une réduction de la dose de proportionnelle prévue dans leur élection et l’abandon du renouvellement intégral du Sénat en 2021. Mais il n’entend pas en rester là.
« Le président avait dit qu’il était pour renforcer le Parlement et son pouvoir de contrôle, insiste-t-il. Et on se retrouve avec un truc qui ampute la démocratie parlementaire… » « Quand il est en colère contre Emmanuel Macron, il parle très fort, et en allemand, raconte le socialiste Patrick Kanner, encore tout secoué. Il gigote et il crie : “Unmöglich !!!!” (“Impossible !!!!”) »
Une ambition déjà assouvie
Gérard Larcher se souvient que, la « veille de son investiture, Macron a un geste sympathique, chaleureux et républicain. Il vient me voir au Sénat et me demande comment je trouve l’état du pays. Je lui dis : “Faites gaffe”. Plus tard, il m’annonce qu’il va faire la Conférence nationale des territoires, qu’on ne prendra pas de décision sans s’être concertés avec des associations d’élus. Et puis… Il ne vient pas au congrès des maires. Il pense qu’un cocktail et un long discours à l’Elysée vont suffire… C’est bien de créer les conditions d’un monde totalement différent, mais on ne peut pas contourner tous les corps intermédiaires. Et ça se termine par la révolte des ronds-points. » Aujourd’hui, à quelques encablures des élections municipales, les relations sont fraîches. « On a déjeuné ensemble au printemps mais, depuis, on n’a pas repris le temps de bavarder », conclut Larcher.
En fait, le « nouveau monde », Larcher, le représentant ultime de l’ancien, a décidé que c’était le bon moment de le débiter en tranches. Mais très courtoisement, comme toujours. Pour Hervé Marseille, « l’ancien monde a prouvé au nouveau qu’il était indispensable. Macron est obligé de mettre de la Soupline dans la machine à laver ». Et quoi de mieux qu’un bon berlingot à l’effigie de son copain « Gégé » ?
C’est le moment Larcher, à n’en plus douter. Le moment de rêver plus grand ? L’intéressé n’arrête plus de hocher la tête. Non, non, non. « Les deux dernières années ne m’ont pas tourné la tête. Moi, je suis lesté-quillé. Je ne suis pas aussi énigmatique que certains veulent bien le croire. J’ai eu un seul vrai désir, assouvi : être président du Sénat. Et un rêve : me réincarner en agriculteur. » Il n’est plus temps d’avoir des regrets, à part celui, peut-être, de se dire que tout cela se passe dix ans trop tard pour espérer franchir la marche ultime.
Aujourd’hui, il sait qu’il n’est jamais meilleur que quand il suit son petit bonhomme de chemins vicinaux. Qu’il est passé, le temps de rêver au pouvoir suprême. A 70 ans, on sait enfin savourer, privilège de l’âge. Même si… Quand, dans le Nantes-Paris, en bout de soirée, on lui a raconté notre rencontre avec Bruno Retailleau, à qui on avait demandé si Gérard Larcher ferait un bon président de la République, le patron des sénateurs a quand même levé un sourcil en faisant sa moue gourmande. « Et il vous a dit quoi ? »