Intervention d’Esther Benbassa lors de la Discussion Générale sur le projet de loi et le projet de loi organique Polynésie française

PJL et PJLO Polynésie française

Discussion générale

Mercredi 13 février 2019

Esther Benbassa, Sénatrice EELV 

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes cherEs collègues,

Le vendredi 1er février, Emmanuel Macron recevait les élus des Outre-mer dans le cadre du Grand Débat National. Tous étaient conviés, excepté les représentants des territoires du Pacifique, notamment de Polynésie française. Comment expliquer cet impair du Chef de l’Etat ? Les Polynésiens ne partagent-ils pas les revendications des Gilets Jaunes et de très nombreux Français en termes de pouvoir d’achat, de lutte contre le dérèglement climatique et d’aspiration à plus de démocratie ?

Bien au contraire. La Polynésie française, avec ses 24% de chômeurs et ses services publics défaillants n’échappe malheureusement pas à la pauvreté massive, spécifique aux territoires ultramarins. Et sur les questions de démocratie, le passé colonial de la France a exacerbé l’importance de ces enjeux au sein de ce territoire.

Malgré ce manque de considération de la part du Président Macron à l’endroit des Polynésiens, force est de constater que tant le PJLO que le PJL dont nous allons débattre vont dans le bon sens.

L’assemblée de Polynésie française a fait l’objet de consultations – certes à titres indicatifs – et a rendu un avis favorable pour les deux textes présentés par l’exécutif.

Sur le fond, les objectifs poursuivis sont de donner davantage d’autonomie aux collectivités locales polynésiennes, d’y introduire plus de démocratie et d’y stimuler la création d’emplois en permettant une approche plus adaptée aux besoins de ces îles.

L’exécutif semble avoir compris un élément essentiel : un territoire aussi spécifique que la Polynésie française ne peut être administré depuis Paris. Ainsi est-il proposé de donner davantage de compétences aux communes et de développer l’intercommunalité, notamment dans les domaines économiques, énergétiques, infrastructurels et éducatifs. Par ce biais, il devrait ainsi être possible de réaliser des économies afin d’investir davantage dans les services publics qui fonctionneront, espérons-le, avec plus d’efficacité. Cette mesure devrait également redynamiser le tissu économique local. Sur le plan démocratique, la réforme prévoit notamment la création de syndicats mixtes en Polynésie, acteurs essentiels du dialogue social et local. Ces éléments sont évidemment à saluer.

Finalement, un des écueils de cette réforme vient de la gestion de la question environnementale  en Polynésie. En son article 1, le PJLO propose la « reconnaissance de la contribution de ce territoire au développement de la capacité de dissuasion nucléaire française ». Comme le signale le Conseil d’Etat dans son rapport, cette reconnaissance est un vœu pieu, dépourvu de toute portée normative. Cela est bien évidemment insuffisant. Après avoir stimulé et accaparé l’économie polynésienne dans les années 60, la fermeture du Centre d’expérimentation nucléaire du Pacifique a entraîné une déstabilisation durable du marché de l’emploi local. Sur le plan environnemental, les atolls de la collectivité polynésienne ont été profondément touchés par les pollutions liées aux  métaux lourds, aux hydrocarbures et aux radioéléments à longue durée de vie propagés par les essais nucléaires.

Il n’est aucunement proposé dans le projet de loi organique de s’investir davantage pour restaurer les atolls. De même, aucune nouvelle indemnisation n’est prévue pour les victimes ayant été exposées aux rayonnements nucléaires.

Nous sommes bien loin des promesses de François Hollande qui affirmait à Papeete en février 2016 la nécessité de restaurer la biodiversité polynésienne.

Madame la Ministre, nous devons être plus ambitieux. Si nous voulons faire de la France la seconde zone économique marine mondiale, la Polynésie française n’est pas dépourvue d’atouts. Pour pallier économiquement et énergétiquement la fin du nucléaire polynésien, n’est-il pas temps d’investir davantage dans les énergies vertes ? Avec leurs nouvelles compétences, les communautés de communes et les syndicats mixtes polynésiens pourront impulser de telles innovations. Le rôle de l’Etat sera alors d’apporter un concours financier à ces projets.

L’Etat français a une dette morale et financière envers la Polynésie française, il est grand temps qu’il se montre à la hauteur des espérances de ses habitants.

Je vous remercie.