Intervention d’Esther Benbassa lors de la Discussion Générale sur la proposition de loi délai de saisine du Juge des Libertés des personnes en Centre de rétention administrative à Mayotte

PPL délai de saisine du JLD des personnes en Centre de rétention administrative à Mayotte

Discussion générale

Jeudi 14 février 2019

Esther Benbassa, Sénatrice EELV 


Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes cherEs collègues,

Une erreur de coordination intervenue lors de l’examen de la loi « Asile et Immigration » a harmonisé sur l’ensemble du territoire  le délai de saisine de deux jours du Juge des Libertés et de la Détention pour les personnes placées en Centre de rétention administrative. Pour une fois, l’impair allait dans le bon sens, puisqu’il mettait fin au délai spécifique inique de 5 jours, qui était jusque-là en en cours à Mayotte.

L’objet de la proposition de loi que nous débattons aujourd’hui vise justement à réinstaurer cette rupture d’uniformité du droit sur le sol français, en réintroduisant ce délai de 5 jours à Mayotte.

Mes chers collègues, ce texte n’a qu’un seul objectif : celui d’éloigner de leur juge les personnes enfermées  et de les priver d’un contrôle judiciaire et ainsi violer l’article 66 de la Constitution que je souhaite rappeler ici : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. ».

Le motif de la pression migratoire est l’argument principal utilisé pour justifier cette différence de traitement et de droit dans le département de Mayotte. Certes elle est très importante, nous le reconnaissons. Toutefois, c’est au nom de l’ordre public que le rôle du JLD est entravé. Ce recours ne devrait pourtant pas être une option pour les Mahorais, mais bien une obligation constitutionnelle et un droit effectif.

De mes dernières visites en CRA en région Ile-de-France, notamment à Mesnil-Amelot, je retiens le constat de conditions matérielles indignes, de la présence de mutineries, de mutilations, d’une gestion administrative très autoritaire qui laisse les retenus en l’occurrence sous-alimentés et sans un suivi médical digne de ce nom.

Dès lors et du fait de la pression migratoire qui est celle de Mayotte, je n’ose imaginer les conditions de rétention dans lesquelles se trouvent les étrangers qui franchissent le sol mahorais. Ce département atteint à lui seul 43% des placements en rétention en France. Parmi eux, plus de 4 000 enfants sont enfermés chaque année et expulsés dans des conditions qui ne permettent même pas aux agents de vérifier leur véritable pays d’origine et leur réelle identité. Le placement systématique des personnes arrivantes dans les Centres de rétention et la soustraction à leurs droits légitimes constituent une préoccupation partagée tant par Adeline Hazan, que par la CNCDH.

Nous le savons, le maillage rudimentaire des services publics et la pauvreté des infrastructures dans ce département constituent un frein à l’accueil des personnes étrangères. Bien plus grave encore, les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits : Adeline Hazan a rapporté que la possibilité d’effectuer une demande d’asile ne leur était même pas notifié par les agents mahorais.

Comment donc justifier ce rallongement alors que les conditions de détention à Mayotte sont inhumaines et dégradantes ? Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte, avec des personnes se retrouvant étrangères dans leur pays natal, pour ne pas avoir à recréer une spécificité supplémentaire dans cette Ile.

Nous demandons donc à ce que la politique migratoire en Outre-mer soit respectueuse des droits de l’Homme et ne déroge pas aux règles élémentaires qui devraient bénéficier à tout être humain : des garanties procédurales contre les mesures privatives de liberté, afin de limiter les éventuels  agissements arbitraires d’une administration qui se croit parfois surpuissante pour décider du sort et de l’avenir des personnes migrantes.

Rappelons également que les alternatives à la rétention existent et qu’elles sont prévues par le CESEDA et la Directive « Retour » du 16 décembre 2008.

Mes chers collègues, ne laissons pas Mayotte seule et isolée face à la gestion d’un flux migratoire si important, l’Etat doit renforcer les moyens et mobiliser du personnel de justice dans ce territoire au lieu d’instaurer un droit à géométrie variable. Ce choix n’est pas digne de notre République et je m’y oppose avec force.

Je vous remercie.