Interdiction de filmer les policiers? «On ferait mieux de changer de ministre», selon Langlois

Le sénateur LR Jean-Pierre Grand a déposé un amendement, retoqué depuis, visant à modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une manœuvre qui a notamment pour but d’interdire la diffusion de photos ou vidéos de policiers. Alexandre Langlois, policier et secrétaire général de VIGI est contre. Il nous explique pourquoi.

«Cet amendement proposé par Jean-Pierre Grand est indigne d’une République démocratique, il va à l’encontre des standards mondiaux et européens de la liberté de la presse et de la liberté d’information. Il ne passera jamais mais alarmant et honteux pour la France.»

Le syndicat de journalistes SNJ-CGT a twitté toute son indignation. Le 3 décembre dernier, le sénateur LR (Les Républicains) Jean-Pierre Grand déposait un amendement en commission des lois dans le cadre de la proposition de loi de «lutte contre la haine» sur Internet. Et son contenu sent le souffre.

 

​Dans une volonté, selon lui, de «protéger les policiers», le parlementaire veut sanctionner de 15.000 euros d’amende la diffusion de photos ou de vidéos des forces de l’ordre.

«Lorsqu’elle est réalisée sans l’accord de l’intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, de l’image des fonctionnaires de la police nationale, de militaires ou d’agents des douanes est punie de 15 000 euros d’amende», explique le texte.

Les manifestations hebdomadaires des Gilets jaunes depuis plus d’un an ainsi que l’actuel mouvement social contre la réforme des retraites sont loin d’être étrangers à la volonté de Jean-Pierre Grand comme le souligne son amendement:

«A l’occasion de mouvements sociaux comme celui des gilets jaunes, les forces de l’ordre ont été régulièrement filmées par des manifestants dans le cadre de leur opération de maintien de l’ordre. Ainsi de nombreuses images de policiers ont été diffusées sur les réseaux sociaux, les rendant facilement identifiables et donc potentiellement des cibles avec leur famille (conjoint et enfants).»

De nombreux journalistes professionnels ou citoyens ont crié à la censure. Le cabinet d’avocat Arié Alimi est allé jusqu’à parler de «fin de l’Etat de droit».

Au sein même de la police, le texte a ses détracteurs comme le policier lanceur d’alerte et secrétaire général de VIGI Alexandre Langlois:

«Je pense que c’est bien que l’on soit filmé dans 90% des cas. Cela permet d’éclairer certaines situations et de modérer certains comportements. Nous ne sommes pas policiers et juges à la fois mais bien au service du peuple et il est normal que l’on soit contrôlé. Nous sommes au 21ème siècle et il me semble tout à faire cohérent que l’on soit filmé.»

Le policier craint, qu’en pleine polémique sur les violences policières, un tel amendement jette de l’huile sur le feu:

«Cette loi va raviver les tensions entre pour et contre. Elle va soulever des questions sur les raisons de cette volonté de ne pas être filmé. Cela va donner du grain à moudre à ceux qui disent que la police à des choses à cacher. On va contribuer à continuer de creuser le fossé entre la population et sa police. Ce n’est vraiment pas le moment de balancer un tel texte, qui, en plus, est inutile.»

S’ils sont protégés par le code pénal au regard du respect de leur vie privée, aujourd’hui, rien n’empêche de filmer ou de photographier les policiers comme le rappelle une circulaire diffusée en décembre 2008 par le ministère de l’Intérieur:

«Les policiers ne peuvent donc pas s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission. Il est exclu d’interpeller pour cette raison la personne effectuant l’enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support. Ils ne peuvent par ailleurs s’opposer à l’éventuelle diffusion de cet enregistrement que dans certaines circonstances particulières.»

Comme le souligne CheckNews de Libération, «seuls certains agents des forces de l’ordre (les services d’interventions, comme le GIGN ou la BRI, de lutte antiterroriste ou de contre-espionnage) échappent à cette règle, et pour lesquels il est interdit de « publier leur image si celle-ci permet leur identification »».

«Il y a déjà des unités qui méritent d’être protégées et elles le sont, ce qui est tout à fait compréhensible. Concernant le policier lambda c’est différent. Il a choisi d’être au service du peuple sur la voie publique. C’est à l’administration de faire le tri dans le rang des policiers et que ceux qui ont des comportements inadmissibles et contraire au code pénal soient virés plutôt que de les encourager à rester dans la police. Tout permettrait d’avoir une police propre. Encore une fois, c’est à nos dirigeants de la police national jusqu’au ministre Christophe Castaner de faire le nécessaire pour que les fautes soient sanctionnées lourdement au lieu d’être encouragées à se perpétuer», analyse Alexandre Langlois.

Jean-Pierre Grand a peu de chance d’obtenir satisfaction. Comme le note France info, citant la sénatrice EELV Esther Benbassa, son amendement a été retoqué le 11 décembre car la proposition de loi concerne «les plateformes et non les individus». Il a jusqu’au 17 décembre, date à laquelle elle sera discutée, pour revoir sa copie. En attendant, Alexandre Langlois pense avoir la solution:

«Plutôt que de faire cette loi, ce qui serait bien, c’est de changer de ministre.»