Examen du PJL prorogation de l’Etat d’urgence (discussion générale)

Samedi 9 mai, Esther Benbassa intervenait contre la prorogation de l’Etat d’urgence sanitaire.

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes cherEs collègues,

La CMP est donc parvenue à un accord. Le Parlement a joué son rôle : l’Assemblée et le Sénat ont permis d’améliorer la copie initialement présentée par l’exécutif.

Les modalités de mise en quarantaine des articles 2 et 3 ont été encadrées et les droits des personnes placées à l’isolement accrus. On a pu éviter, à l’article 5, la formation de brigades de citoyens susceptibles de verbaliser leurs compatriotes. Il aurait été peu admissible de conférer un tel pouvoir à des personnes non dépositaires de l’autorité publique. Enfin, bien que nous pensions toujours que le dispositif de fichage et de traçage des malades, prévu à l’article 6, pose de sérieux problèmes, nous nous réjouissons de son encadrement et de l’anonymisation de ses données.

Pouvons-nous pour autant nous satisfaire du texte qui va être adopté ? La réponse est bien évidemment non.

Primo, les conditions n’étaient pas réunies pour que le Parlement puisse débattre sereinement d’un sujet aussi sensible que la mise entre parenthèses du droit commun. Sénateurs et députés ont travaillé dans une grande urgence, cette loi ne pouvant être promulguée avant le 11 mai, dès lors que le Président de la République avait annoncé qu’il saisirait le Conseil constitutionnel dans les prochains jours.

Secundo, il n’y a pas lieu de prolonger indéfiniment cet état d’urgence sanitaire. Il ne répond en rien aux besoins engendrés par la pandémie. Et si la situation requiert la mise en œuvre de moyens particuliers, elle n’impose pas cette atteinte disproportionnée à nos libertés individuelles et publiques, et à la protection de nos données personnelles.

Notre législation est suffisamment armée pour faire face à une telle crise. Plus que d’un régime de surveillance généralisée, c’est de moyens que nos politiques publiques ont besoin. Loin de ces réalités, l’exécutif préfère avoir pour ambition l’enfermement et le fichage des malades, alors que l’urgence est à relocaliser nos productions de matériels médicaux, à répondre aux attentes financières si anciennement exprimées par nos hôpitaux et par nos soignants, et surtout à redonner leur sens aux mots « service public ».

Depuis 2015, nos dirigeants montrent une prédilection inquiétante pour les états d’urgences. Ils en font ensuite entrer les dispositions dans le droit commun. Et ils habituent nos concitoyens à vivre dans une société du contrôle.

L’urgence sanitaire n’est pas derrière nous. Et nous comprenons que, dans ces conditions, un esprit de concorde soit attendu. Mais nous devons, comme représentants de la Nation, relayer la colère et le ressentiment qui s’expriment dans nos territoires. Nous sommes donc dans notre rôle lorsque nous défendons les droits et les aspirations de nos concitoyens.

Car l’urgence est aussi sociale, notre exécutif y est imperméable, au point de n’avoir même pas introduit dans le texte la distribution massive et gratuite de masques. L’urgence est enfin démocratique. Le déconfinement à venir n’est nullement un retour à la normale. Et si, le 11 mai, nos concitoyens retrouvent un peu de leur vie d’avant, il est à craindre que nous nous enfoncions dans une forme un peu plus prégnante encore de sécuritarisme : coercitif, répressif, liberticide. Le Parlement doit au plus vite retrouver la plénitude de ses prérogatives et un fonctionnement normal. Comment accorder tant de pouvoir à un exécutif à qui, pour la gestion même de cette crise, 2 Français sur 3 refusent leur confiance ?

Parce que nous espérons des lendemains plus solidaires, plus fraternels, plus écologiques et plus sociaux, nous, membres du groupe CRCE, ne voterons donc pas l’adoption de ce texte.