Esther Benbassa « Il faut en finir avec l’intimidation des citoyens solidaires » (« L’Humanité », 30 janvier 2018)

« Par le biais d’une proposition de loi présentée aujourd’hui, Esther Benbassa, sénatrice du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) et des élus allant des radicaux de gauche à l’UDI, entend abroger le « délit de solidarité ».

Le « délit de solidarité » n’existe pas en tant que tel. C’est l’article L.622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) de 1945 qui vise à sanctionner « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ».

Que cherchez-vous à modifier avec votre proposition de loi ?

 

Esther Benbassa Bien sûr, le délit de solidarité est une expression mais il existe sous cette forme. Rappelons que l’expression a été popularisée en 1995 par le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés  – NDLR), qui désignait, de manière péjorative, la répression de ceux qui par conviction, humanité ou simple générosité viennent en aide aux exilés. Avec le groupe communiste, des sénateurs radicaux de gauche à l’UDI, nous aimerions changer la rédaction de cet article afin que seule l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier apportée dans un but lucratif soit sanctionnée. C’est-à-dire maintenir la poursuite des filiales de passeurs, de réseaux de traite humaine et toute personne qui profite de la détresse des exilés pour en tirer un profit financier. L’objectif est de déposer ce texte au printemps, moment où arrivera dans le débat public la loi asile et immigration. Ce texte sera comme une réponse.

En 2012, cet article a été légèrement modifié sous la houlette de Manuel Valls pour faire la distinction entre les réseaux de trafic et les citoyens. Mais elle laisse par exemple de côté l’aide à la circulation au sein du territoire français…

Esther Benbassa Oui, il aurait fallu que ce soit beaucoup plus clair. C’était, comme à l’habitude, un effet de communication car la modification n’a rien changé, sinon il n’y aurait pas eu les procès de Cédric Herrou, Pierre-Alain Mannoni ou Martine Landry, pour ne parler que d’eux. Il existe un tas d’anonymes qui ont tout simplement pris un individu dans leur voiture, parce qu’ils le voyaient sur le bord de la route. Pour élaborer ce texte, nous avons rencontré des citoyens solidaires à Paris, à Calais, à Ouistreham, à Briançon, à Grande-Synthe ou encore à Menton, où l’aide et la solidarité sont massives. Ce sont des individus simples. Utilisons même un mot non éculé : ce sont des justes, non des délinquants.

Où se niche l’aberration de cet article, selon vous ?

Esther Benbassa La notion d’aide ne peut porter que sur des domaines précis, essentiellement humanitaires. Elle doit être sans contrepartie directe ou indirecte. Seulement, nous avons constaté des dérives émanant de poursuites contre une personne hébergeant un individu qui aurait fourni une contrepartie, parce qu’il effectuait des tâches ménagères. Ce texte peut être utilisé de différentes manières. C’est pourquoi, selon nous, la rédaction de cette loi n’est pas satisfaisante. Les exemptions prévues laissent une marge d’appréciation excessive au juge, et les condamnations se multiplient ces derniers mois. Ce texte punit ceux qui aident à l’entrée et au séjour des personnes irrégulières d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende et, contrairement aux affirmations des ministres successifs qui ont prétendu l’abroger, il est loin de servir à poursuivre les passeurs des réseaux criminels. Ces dispositions sont principalement utilisées pour intimider les personnes solidaires qui ont choisi d’aider les réfugiés en leur rendant service au quotidien.

Plusieurs tentatives du même ordre ont été effectuées. Pensez-vous que l’actualité autour de la « crise de l’accueil » et des procès successifs, qui ont interpellé l’opinion publique, peut changer la donne cette fois-ci ?

Esther Benbassa 43 % des Français sont contre l’accueil des réfugiés, nous dit-on. Donc, cela fait bien une majorité pour ! Je crois que parfois l’opinion publique peut peser et guider les votes. Mais si nous n’arrivons pas à faire passer ce texte, au moins nous pourrons donner un peu de courage à ces citoyens qui se battent au quotidien.

Esther Benbassa

Sénatrice EELV du groupe CRCE

Pourquoi l’abrogation

« La solidarité ne devrait plus jamais être un délit », est-il écrit en préambule de la proposition de loi, en écho à un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui demande l’abrogation du « délit de solidarité ». Le texte, qui insiste sur la notion d’aide à un réfugié dans un but lucratif, revendique aussi sa « conformité avec la directive européenne du 28 novembre 2002 “définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers”». Celle-ci précise en effet que, « sauf pour l’aide humanitaire, (elle) interdit d’aider une personne étrangère à l’Union à entrer, séjourner ou transiter sur le territoire d’un État membre ». »

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