Jeudi 28 mai, Esther Benbassa intervenait sur la PPL en faveur des mineurs vulnérables, dont les mineurs étrangers.
Intervention sur la PPL en faveur des #mineurs #vulnérables, dont les mineurs #étrangers. Ceux-ci, avant d’être des étrangers, sont des enfants, qu’il faut éduquer, intégrer et surtout protéger. Changeons de paradigme : l’enfant doit primer sur le migrant. @senateursCRCE @EELV pic.twitter.com/yQUVrl6QdI
— Esther Benbassa ? (@EstherBenbassa) May 28, 2020
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame la Rapporteure,
Mes cherEs collègues,
Je souhaiterai débuter cette intervention en remerciant les travailleurs de l’aide sociale à l’enfance. Comme nos médecins, infirmiers et tant d’autres professions, elles et ils se sont mobilisés pendant la crise sanitaire que traverse notre pays. Ils font actuellement face à la pandémie avec courage et solidarité, et nous leur devons beaucoup.
Mes cherEs collègues, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui nous interpelle avec gravité.
En France, 2 enfants meurent chaque semaine. Un viol sur mineur a lieu toutes les heures. Environ 73 000 enfants sont victimes de violences chaque année. Et il est à craindre que toutes ces atteintes faites aux jeunes en difficulté aient été exacerbées par le confinement.
Alors que la protection de l’enfance devrait être un pilier fondamental de l’égalité des chances, afin que chaque mineur de ce pays puisse s’épanouir et se construire en citoyen modèle, notre système reste largement perfectible.
Pour cette raison, le texte proposé par notre collègue Josiane Costes et les membres du groupe RDSE est bienvenu. Pointant du doigt les disfonctionnements de l’ASE, le manque d’investissement de l’Etat et les lenteurs procédurales contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, Madame Costes nous présente une proposition de loi intéressante, venant apporter certaines réponses aux problèmes majeurs soulevés par le Conseil National de la Protection de l’Enfance.
Jusqu’à présent, le législateur s’est donné pour mission de préserver un équilibre entre le maintien des droits liés à la parentalité et l’intérêt supérieur de l’enfant. En a découlé deux échecs majeurs : tout d’abord l’obstacle à l’adoption, qui empêche actuellement à des personnes le souhaitant d’accueillir aisément un enfant dans leur foyer. Deuxièmement des procédures de délaissement longues et fastidieuses, qui plongent certains mineurs dans des situations de précarité, avec des parents souvent violents ou incapables de les élever.
Trop longtemps, le législateur est parti du postulat que les liens du sang devaient primer et l’enfant se maintenir le plus longtemps possible dans sa famille biologique.
Cette tradition devrait impérativement prendre fin. Oui, certains parents ne sont pas aptes à élever leurs enfants. Oui, ces enfants doivent être mis à l’abri, protégés et confiés à des familles adoptives, qui sont susceptibles de réunir les conditions essentielles à leur épanouissement.
Ainsi, les auteurs de ce texte ont souhaité rendre le recours à l’adoption simple plus facile. La filiation par adoption simple n’effaçant pas la filiation biologique, les tuteurs adoptifs prendront le relais des parents de sang pour l’éducation des enfants délaissés.
Le dernier pan intéressant de ce texte est le traitement qui est fait des mineurs étrangers. Alors que le Gouvernement continue à fermer les yeux sur leur enfermement en Centre de Rétention Administrative, au détriment des préconisations de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, cette proposition de loi nous rappelle un élément fondamental : avant d’être des étrangers, ces mineurs sont des enfants, qu’il faut éduquer, intégrer et surtout protéger. En permettant à ces derniers d’accéder plus aisément à un titre de séjour, en simplifiant les règles d’adoption pour les enfants nés à l’étranger, ce seraient de véritables pas faits pour la normalisation de leur situation. Si ces mesures étaient adoptées, nous changerions de paradigme : l’enfant primerait sur le migrant. De tels éléments viseraient à rendre plus humaines nos politiques d’accueil des mineurs étrangers et nous ne saluerions que positivement ces évolutions.
Cependant, certaines dispositions proposées dans ce texte semblent éloignées des réalités de terrain, voire contre-productives. C’est notamment le cas des conditions de reprise des enfants placés, posées à l’article 4.
Pour cette raison, le groupe CRCE s’abstiendra sur cette proposition de loi. Nous sommes cependant favorables à ce que des travaux soient menés sur un tel sujet. C’était d’ailleurs le sens de notre proposition de loi visant à créer une délégation parlementaire aux droits des enfants, rejetée par notre assemblée le 20 novembre 2019.
Mes cherEs collègues, nos enfants sont l’avenir de notre pays. Actuellement, 300 000 mineurs sont pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Eux aussi ont le droit à un avenir meilleur, à une citoyenneté épanouissante, à une sureté économique, et à un accès sécurisé à l’éducation et à la vie active. Si nous menons ce combat de front, leur futur n’en sera que plus stable et enviable.
Je vous remercie.
Prise de parole à l’article 4 :
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cherEs collègues,
L’article 4, dans sa rédaction actuelle, vise à encadrer les conditions de reprise par ses parents d’un enfant placé auprès des services de l’aide sociale à l’enfance.
Deux formalités sont ici exigées : un entretien avec le tuteur de l’enfant et la convocation du conseil de famille.
Nous pouvons hélas craindre qu’un tel dispositif ne soit contre-productif et stigmatise les parents ayant délaissé leur enfant, alors que toutes les familles ayant eu recours à une telle procédure ne possèdent pas le même profil.
Tous les parents « délaissants » ne sont pas forcément maltraitants. Certains préfèrent confier leurs enfants à l’ASE en raison de problèmes sociaux, financiers ou encore sanitaires.
Or, la maladie ou les problèmes d’argent peuvent parfaitement être passagers. Il ne serait donc pas compréhensible de refuser un retour simple des enfants au sein d’un foyer ayant retrouvé une situation normale.
Le droit positif est par ailleurs suffisamment protecteur, dans la mesure où un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social des parents et de l’enfant est proposé pendant les trois années qui suivent la procédure de délaissement.
Bien que nous partagions tous l’objectif défendu par Madame Costes, à savoir l’intérêt supérieur de l’enfant, il ne nous semble pas que cet article soit de nature à en garantir l’effectivité.
Je vous remercie.
Prise de parole à l’article 9 :
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cherEs collègues,
Le présent article 9 vise à limiter le montant de la part des allocations familiales versée à la famille en cas de placement d’un enfant auprès de l’aide sociale à l’enfance.
Dans le droit positif, lorsqu’un enfant est placé, les allocations familiales sont en principe perçues par les services de l’ASE.
La loi prévoit toutefois une dérogation à ce principe lorsqu’un enfant fait l’objet d’une mesure judiciaire de placement : le juge peut alors décider de maintenir le versement de ces allocations à la famille, dans le cas où celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de celui-ci dans son foyer.
Dans ces cas spécifiques, la retenue partielle des allocations familiales ne saurait être justifiée, appropriée ou pertinente.
Par ailleurs, nous ne saurions ignorer que nombre de familles « délaissantes » le sont pour des raisons financières. La crise sanitaire liée au Covid-19 a mis davantage en avant cette dimension dans les foyers modestes, en attestent les besoins croissants d’aide alimentaire dans les familles. Au regard de la conjoncture actuelle, il semble qu’une telle disposition viendrait fragiliser encore plus les familles déjà paupérisées.
Il ne semble donc pas nécessaire de modifier la loi en vigueur.
Je vous remercie.