Mardi 24 juin, Esther Benbassa intervenait en séance comme oratrice des sénateurs CRCE sur la PPL Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame la Rapporteure,
Mes cherEs collègues,
En 1983, Robert Badinter, alors Garde des Sceaux, disait que « la victime se trouve dans la pire des solitudes : celle qui s’accompagne d’un sentiment de rejet ».
En effet, à ses fondements, notre droit pénal se donnait pour simple mission de poursuivre le responsable d’un crime ou d’un délit et de le traduire en Justice. La victime, elle, était délaissée, esseulée, sans accompagnement, ni réparation.
Fort heureusement, depuis plusieurs décennies, notre législation a évolué dans le sens d’une plus grande considération envers la personne touchée par un acte délictuel ou criminel. Protéger la victime, lui accorder une indemnisation est aujourd’hui un objectif recherché par notre droit.
Pourtant, la rédaction de notre code de procédure pénale est loin d’être parfaite. Ainsi, le collectif « France victimes » et de nombreux avocats pénalistes ont-ils attiré l’attention du législateur sur certaines dispositions venant malencontreusement restreindre le droit des victimes à être indemnisées.
La rédaction actuelle de l’article 706-5 du code de procédure pénale est en effet source d’un contentieux défavorable aux personnes ayant fait l’objet d’un délit ou d’un crime. Elle est par ailleurs contraire à l’esprit de la Loi du 15 juin 2000 venant renforcer les droits des victimes.
Dans les faits, cet article prévoit que celles-ci doivent saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions – la CIVI – afin de bénéficier du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions – le FGTI.
La présente proposition de loi a pour objet de préciser le point de départ du délai d’un an dont disposent les victimes pour demander une indemnité auprès de la CIVI.
En effet, un désaccord existe en la matière entre le législateur et le juge.
Et pour cause, les travaux préparatoires de la Loi du 15 juin 2000 indiquaient clairement que le délai d’un an devait courir à partir de l’avis donné par la juridiction ayant statué définitivement sur l’attribution de dommages et intérêts. Pourtant, la rédaction juridique qui a finalement été adoptée à l’article 706-5 du code de procédure pénal n’a pas bénéficié de la même clarté. Ainsi en a-t-Il découlé une jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle le délai d’un an courait à compter de la date de l’avis donné par la première juridiction, qui a alloué une indemnisation, même si sa décision n’est pas définitive.
Cette interprétation ne peut être reprochée au jugé, qui ne fait qu’appliquer la loi de manière littérale. Il est en revanche du devoir du législateur d’améliorer le droit qui désavantage actuellement les victimes, puisque celles qui se sont vues allouer des dommages et intérêts ne peuvent attendre la fin de la procédure judiciaire les concernant pour saisir la CIVI.
Il est donc ici proposé de revenir à l’esprit de la Loi du 15 juin 2000, en permettant à ce que le délai d’un an commence à courir après que la dernière instance se soit prononcée. Les droits des victimes n’en seront que renforcés et nous ne pouvons que saluer et soutenir cette Proposition de Loi.
Comme à l’Assemblée nationale, nous ne doutons pas que celle-ci fera consensus.
Je voudrai cependant profiter de cette tribune afin de mentionner un sujet annexe à celui que nous traitons aujourd’hui : celui du fonctionnement du FGTI.
Sénatrice d’une circonscription marquée par plusieurs actes terroristes ces dernières années, je suis particulièrement sensible au sort réservé aux victimes de ces funestes événements. Entre 2014 et 2015, plus de 2 600 personnes ont été touchées directement ou indirectement par les attentats. La dette de l’Etat à leur égard est immense.
Pour ces personnes, les procédures auprès du FGTI afin d’obtenir leurs dommages et intérêts est une nouvelle épreuve, un nouveau combat. Comment expliquer par exemple que plus de quatre ans après l’attentat du 13 novembre 2015, certaines victimes soient toujours en attente du rapport d’expertise, prouvant la régularité de leur demande d’indemnisation ?
Un tel traitement est inacceptable et ne saurait perdurer. Il va sans dire que la suppression en 2017 du Secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes n’est pas de nature à améliorer cette situation.
Cet exemple nous démontre tout le chemin qu’il reste à parcourir afin que notre droit offre aux victimes la protection et la considération qu’elles méritent.
La Proposition de Loi que nous adopterons aujourd’hui est une première pierre à cet édifice mais elle ne saurait être suffisante.
Je vous remercie.