Au Mesnil-Amelot, les associatifs se retirent d’un centre de rétention pour migrants au bord de l’implosion

Les salariés de l’association disent ne plus pouvoir faire face aux violences psychologiques et physiques auxquelles ils sont confrontés. Les personnes enfermées dans le centre de rétention administrative témoignent d’un quotidien infernal rythmé par les brimades, les humiliations et les dénis de justice.

« Je me sens menacée de choc psychique. Personnellement, je pense que je suis en danger. Voir un mec se tuer devant moi, je ne pourrais pas l’assumer psychologiquement et je n’accepterais pas d’être complice de ça », s’insurge Clémence Lormier, salariée de la CIMADE au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (77). La seule association présente dans le centre a annoncé jeudi qu’elle s’en retirait durant trois jours. Ce dimanche soir, les salariés de l’association nous ont communiqué leur intention de continuer d’user de ce droit de retrait lundi et mardi. Contacté vendredi par Les Inrocks, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

Les salariés de la CIMADE disent ne plus pouvoir faire respecter les droits des personnes retenues. « Il y a une multiplication des violences au CRA, des placements illégaux et des situations dramatiques. Ce qui fait qu’on n’est plus en mesure d’assurer à la fois le soutien juridique des personnes et de s’assurer qu’elles vont bien », constate Clémence Lormier. « Il y a eu beaucoup trop de tentatives de suicides, de violences policières, d’actes de désespoir, de mise à l’isolement, de choses graves… On est épuisés et on n’a pas les moyens de répondre juridiquement et politiquement à la hauteur de cette situation ». L’équipe de la CIMADE est au bout du rouleau, un profond désarroi règne chez les associatifs. « Depuis plusieurs mois, il y a une politique globale d’enfermement en rétention par les préfectures qu’on ne comprend pas très bien. On enferme des personnes érythréennes ou soudanaises, d’autres atteintes du VIH. On fait ça pour les expulser alors qu’on sait que leur vie est en jeu », détaille la salariée de l’association. Pour elle, la politique actuellement menée par la France sur la question migratoire et le climat particulièrement anxiogène du Mesnil-Amelot ne laissent pas d’autre choix aux intervenants que de se retirer.

Cinq tentatives de suicide spectaculaires en une semaine

« L’élément déclencheur c’est une triple tentative de suicide qui a eu lieu au CRA, mardi en début d’après-midi dont l’une était particulièrement traumatisante et choquante », résume Nicolas Pernet, responsable des questions de rétention en Île-de-France à la CIMADE. « Une personne est montée en haut d’une grille, s’est enroulée du fil barbelé autour du cou et menaçait de sauter pour se pendre comme ça. » Les migrants aussi sont choqués par la scène à laquelle ils ont été confrontés. « Franchement, c’était un truc de ouf », nous dit l’un d’eux au téléphone. « À ce moment-là les policiers nous ont fait rentrer dans les bâtiments et ils nous ont enfermés ». Dans la confusion, deux autres migrants grimpent sur le toit d’un bâtiment et menacent également de mettre fin à leurs jours. « Où est la Justice ? », hurle l’un d’entre eux.

Quelques jours plus tôt, d’autres migrants, enfermés dans le CRA du Mesnil-Amelot, avaient décidé d’en finir. « Une personne a tenté de se suicider en avalant une grande quantité de médicaments », relate Nicolas Pernet. « Actuellement, il y a une personne qui n’a pas bu ni mangé pendant plusieurs jours. L’unité médicale avait signalé la semaine dernière que ça devenait extrêmement compliqué au niveau de ses reins. Cette personne avait aussi avalé un coupe-ongles et quinze dominos ». Direction l’isolement pour le malheureux qui est manifestement en train de se laisser mourir. L’administration souhaite le soustraire à la vue des autres prisonniers. Au téléphone, l’un d’entre eux raconte aux Inrocks : « C’est le médecin qui a dit de le mettre à l’isolement pour qu’il fasse descendre ce qu’il a avalé. Il disait que ça allait bien se passer alors que le mec a fait une grève de la faim pendant sept jours. Il ne voulait pas lui faire d’opération, comme ça, on pouvait le garder dans le centre. Ici, ils cherchent à expulser les gens par tous les moyens ». À ce jour, l’homme aurait encore le coupe-ongles dans le ventre.

Les pensionnaires du CRA puisent dans leurs dernières forces pour protester et tenter de conserver leur dignité dans des conditions extrêmes. Depuis janvier, un mouvement de contestation sans précédent secoue les centres dans l’indifférence la plus totale. Les violences policières, l’absence de soin et les dénis de justice poussent les migrants dans leur retranchement. Au point d’opter pour la grève de la faim, les automutilations ou le suicide. « En début d’année, les grèves de la faim étaient particulières dans le sens où c’étaient des mouvements collectifs coordonnés entre personnes retenues dans plusieurs CRA. Il y avait une intensité particulière à ce moment-là, mais c’est quelque chose de continu », précise Nicolas Pernet. Peu après le début de la mobilisation, Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, s’était rendue sur place. « Les réfugiés nous ont parlé des mouvements de protestation qui avaient eu lieu, ils se plaignaient du manque d’accès au soin et des mauvais traitements », raconte-t-elle au téléphone. « Il y avait un homme qui avait avalé des lames de rasoir. Il avait une copie de sa radio. On a senti que ça se passait mal et j’étais choqué de ce qu’il se passait ».

Un climat de violence extrême règne dans le centre

Depuis le départ de la CIMADE, les fonctionnaires de police du Mesnil-Amelot auraient multiplié les provocations à l’égard des migrants. « On a voulu parler avec les policiers qui viennent nous enfermer le soir », raconte un père de famille marocain. « On a dit que c’était pas logique d’enfermer quelqu’un qui a le VIH dans un centre de rétention. C’est une maladie mortelle, il devrait être soigné », poursuit-il. « Le chef des policiers a demandé en quoi c’était grave et ensuite il nous a demandé s’il nous avait baisés ou si on l’avait sucé ». Impossible pour les migrants d’échanger avec les policiers qui les surveillent. Ils subissent leur sort livré à eux-mêmes. Pire, ils disent subir de grave violence de la part des pandores. « Ils ont tapé plusieurs fois sur un Palestinien. Et celui qui a le VIH, ils l’ont frappé violemment, il y avait beaucoup de sang. Ils l’ont emmené à l’isolement et ils l’ont frappé de nouveau », s’insurge le même homme.

« Il y a une personne qui n’a pas eu son traitement pour le VIH pendant deux semaines à la fin du mois de juin », confirme de son côté Nicolas Pernet. « Il y a une procédure d’expulsion qui suit son cours et qui est validée par le ministère de l’Intérieur que l’on a saisi de cette question-là. Il ne pourra pas être pris en charge dans son pays d’origine, c’est vraiment une personne qui devrait être protégée ». Cette expulsion pourrait donc avoir lieu, en dépit d’un article limpide du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) : si elles ne peuvent pas être soignées dans leur pays, ces personnes « ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ». Dans l’espace réservé aux familles, un couple de Soudanais, intercepté alors qu’ils fuyaient la répression au Soudan, risque également la mort en cas d’expulsion vers Khartoum. Pour accompagner leur demande d’asile, ils ont fait un récit circonstancié des tortures et des persécutions qu’ils ont déjà subies de la part du régime en place et de la menace qui pèse sur leur vie. Contre toute attente, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leur demande en première instance. La femme, enceinte, a entamé une grève de la faim. « Elle n’a pas mangé depuis 12 jours », affirme un migrant au téléphone. « On a essayé de la convaincre parce que c’est dangereux pour son bébé. Les policiers s’en foutent qu’elle mange ou pas. On dirait pas qu’on est en France ici, il n’y a pas de droits de l’Homme ni de la Femme ».

Un week-end agité après le départ de la CIMADE

Pour anticiper d’éventuelles répercussions après le départ de la CIMADE, ce serait le branle-bas de combat chez les fonctionnaires du CRA. « Ils sont en train de réparer les toilettes, ils réparent plein de trucs qui ne marchaient pas et qu’ils n’avaient jamais réparés. Ils sont en train de nettoyer partout. Ils ont fait tout un bâtiment hier, aujourd’hui ils en font un autre », explique un migrant que Les Inrocks ont pu joindre dès vendredi. La discipline est renforcée. « À l’heure du dîner, ils nous ont retiré toutes les cartes et on a compris qu’ils voulaient les changer pour remettre de l’ordre. Pour que chacun retourne dans la chambre attribuée par l’administration », poursuit notre interlocuteur.

Vendredi, une grève de la faim a éclaté chez les personnes enfermées au sein d’une aile du CRA pour protester contre les conditions de rétention. Le lendemain, les hommes de l’aile voisine refusent de rentrer dans les bâtiments. « Ils nous ont proposé une solution (l’administration leur a proposé d’écrire leurs doléances, ndlr), certains ont refusé. Ils sont toujours dehors. Pour l’instant, on ne sait pas si c’est une magouille pour nous berner ou pas… », nous explique le jour même l’un d’entre eux au téléphone. D’après des participants à la mobilisation contactés le lendemain, les policiers sont allés jusqu’à menacer de faire intervenir des unités antiémeutes dans l’enceinte du CRA. « Ils nous ont dit qu’on avait deux solutions. Soit on rentrait tranquillement, soit les CRS viendraient nous faire rentrer par la force ». Les migrants ont rempli des feuilles de doléances à l’attention de l’administration. « On a écrit qu’on ne voulait plus être enfermé, on veut être respecté, on veut qu’ils respectent les horaires de l’infirmerie et de tous les services ici… On ne demande que nos droits quoi », résume l’un d’entre eux.

Alors que notre dernière conversation avec les migrants touche à sa fin, des hurlements retentissent à l’autre bout du fil. Des voix de policiers résonnent dans les bâtiments. Le téléphone change de main. « C’est grave chaud franchement. Il y a des comportements abusifs de ces policiers qui nous gardent et qui ne respectent pas les règles. Ils nous traitent pire que des animaux », nous murmure fébrilement l’homme qui s’est emparé de l’appareil. « Il faut vraiment venir voir. On ne peut pas décrire tout ce qu’il se passe. Il faut voir les toilettes, les douches, la nourriture qu’on mange… Rien ne va ».

Une institution opaque et imperméable aux regards extérieurs

Les centres de rétention administrative apparaissent comme une institution particulièrement opaque et les fonctionnaires de police n’apprécient guère que l’on s’intéresse de trop près à leur fonctionnement. « J’ai été étonnée par l’accueil quand même rude de M. Bordereau [le commandant du CRA, ndlr] qui a fait toutes les difficultés possibles pour que les journalistes ne rentrent pas et qui m’a cherché des noises pendant un moment. Il était très sûr de ce qu’il faisait », nous explique Esther Benbassa qui garde un souvenir amer de sa visite et des échanges qui ont suivi avec l’administration.
« J’ai demandé au directeur les numéros de dossier des personnes qui étaient là pour pouvoir suivre les plaintes des gens qui nous avaient parlé. Quand j’ai rappelé le commandant Bordereau, il s’est montré insultant à mon égard et il a refusé de me donner des explications », poursuit-elle. La direction générale de la police aux frontières (DGPAF) lui adressera par la suite une réponse laconique qui se résume à la liste des dossiers, suivis de la mention « a fait l’objet d’une reconduite », suivi de l’assurance de leurs meilleurs sentiments. Une missive qui ressemble à un pied de nez au législateur de la part d’une administration policière qui semble convaincue de son impunité. Le message sonne aussi comme un avertissement adressé aux journalistes et aux politiques soucieux du sort des migrants. Une hypothèse que partage également la sénatrice : « Ils veulent peut-être que je la ferme et que j’arrête de venir pour éviter les répercussions sur les personnes enfermées. Aujourd’hui, tout leur est permis. C’est grave de savoir que, quand on y va, la suite pour ces pauvres gens qui nous parlent ce sont des persécutions ou des expulsions. »

Pour retrouver l’intégralité de l’article, cliquez ici.