Au cœur de l’angoisse dans le Centre de rétention du Mesnil-Amelot

« Ce n’est plus du racisme ou de la xénophobie, mais de la méchanceté. Ils mettent les gens ici pour les faire souffrir. »

« Ce n’est plus du racisme ou de la xénophobie, mais de la méchanceté. Ils mettent les gens ici pour les faire souffrir », s’insurge Joseph*. Le jeune homme est enfermé au Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (77) et attend son expulsion vers l’Algérie. Le 3 janvier, des migrants enfermés au CRA de Vincennes (94) ont entamé une grève de la faim, ils ont depuis été rejoints par ceux du Mesnil-Amelot, de Oissel (76) et de Sète (34). Tous réclament la fermeture des CRA, l’arrêt des expulsions et des violences policières, des conditions de vie dignes et l’accès aux soins. C’est la première fois qu’un tel mouvement, même éphémère, se répand d’un CRA à l’autre pour porter des revendications aussi politiques.

Lundi 28 janvier, nous accompagnons Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, qui exerce son droit de visite des lieux de privations de liberté au Mesnil-Amelot. Le CRA, isolé, se situe à proximité des pistes de l’aéroport de Roissy. Derrière les murs, le ronflement des moteurs d’avions meuble une atmosphère déjà pesante. C’est ici que la contestation s’est montrée la plus forte durant les grèves de la faim. « Le 8, c’est devenu généralisé, quasiment personne ne mangeait. Ce qui est énorme. On avait jamais vu ça », nous explique-t-on à la Cimade, la seule association présente dans les locaux.

« Le lavabo ne marche pas. La lumière non plus, ça fait une semaine qu’on n’en a pas. Pour utiliser les WC on n’a pas d’eau, ni de papier toilette, rien du tout… », tempête Anton*. L’homme a déjà passé 45 jours au Mesnil-Amelot. Privé de dignité, il explose devant la sénatrice de Paris. « On sait pas comment faire, ici on vit dans des conditions désastreuses ! ». Pour la parlementaire, la visite se révèle éprouvante. « C’est sale. Les chambres sont froides et les retenus sont en claquettes », observe Esther Benbassa. La température ne dépasse pas 4 degrés et l’accueil glacial du commissaire divisionnaire Pierre Bordereau, directeur interdépartemental de la police aux frontières (PAF) ne réchauffe pas l’ambiance.

La visite dérange visiblement un personnel sur la défensive. Et pour cause, les méthodes violentes de la PAF révoltent les migrants qui ne manquent pas de se répandre. « Ils prennent les gens ici et les mettent dans les avions scotchés avec des casques », se fâche Anton écœuré. « Hier, ils ont renvoyé un Algérien qui avait un cancer, ils l’ont scotché dans l’avion. En Algérie, on ne peut pas se soigner », s’inquiète pour sa part Marwan*. L’utilisation de bandes velcro pour entraver les migrants et de casques pour patients psychiatriques, est une pratique déjà observée lors de précédentes expulsions. À la Cimade, on confirme avoir également connaissance de ces pratiques.

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© S. de Sakutin / AFP

« J’avais un rendez-vous à la préfecture et on m’a emmené directement ici », se plaint un homme devant la sénatrice. Ces traquenards, déjà documentés dans d’autres régions, semblent se généraliser. « La préfecture de Paris est particulièrement spécialiste dans ce mode opératoire, affirme Nicolas Pernet, responsable des questions de rétention à la Cimade depuis deux ans. Elle convoque et interpelle les gens. Leur avion part tôt le lendemain matin. Le but n’est pas tant de les expulser, mais de les déclarer en fuite ». Les personnes qui refusent de monter dans l’avion seraient relâchées immédiatement. Leur obstruction à la mesure d’éloignement permet de qualifier la fuite. VICE vous a raconté le cauchemar que vivent ensuite ces fugitifs.

« Récemment, ma période de dix-huit mois [de fuite] s’est terminée, mais ils m’ont quand même mis ici depuis 21 jours », se plaint un réfugié ghanéen. « Ça fait 22 jours que je suis ici. L’année dernière, j’ai été renvoyé des Pays-Bas vers l’Irak et je suis revenu, renchérit à son tour Adam*. Je n’ai donné mes empreintes dans aucun autre pays. Je ne sais pas pourquoi je suis là ». Les doléances des pensionnaires agacent Pierre Bordereau, le responsable de la PAF. « Il a automatiquement un titre de placement s’il est ici. C’est la préfecture qui décide », lâche-t-il avec une agressivité mal dissimulée. Arc-boutée sur les règlements, la situation des personnes dont il a la charge ne semble pas l’émouvoir. Il ne connaît d’ailleurs même pas leurs noms. Une attitude qui heurte la sénatrice. « Ce qui est le plus choquant c’est ce langage très bureaucratique à l’endroit de gens qui ne comprenaient rien. Il n’y a aucune empathie, s’indigne Esther Benbassa. Le directeur adjoint n’avait absolument aucune envie ni de nous parler ni de parler aux personnes qui le sollicitaient. Ce n’était pas des êtres humains qu’il avait devant lui ».

« C’est tout un système, validé par la hiérarchie, qui fait passer l’expulsion loin devant des considérations humaines basiques » – Nicolas Pernet responsable des questions de rétention à la Cimade

Au Mesnil-Amelot, les conditions dans lesquelles sont enfermés les migrants ont des répercussions dramatiques. « Il y a des personnes qui perdent plus de sept kilos pendant leurs séjours ici. On voit des changements physiques. Ils ne mangent pas à leur faim », se désole un membre de la Cimade. « Il y a une augmentation des personnes avec des troubles psychologiques », poursuit-il. Le confinement au Mesnil-Amelot, vécu comme un supplice, plonge une partie des retenus dans l’affliction et le désespoir. « Il y a une vraie détresse. Dans un CRA où il n’y a pas une si grande promiscuité, c’est un problème », constate Esther Benbassa.

« Ici, c’est un cauchemar, mais je n’ai pas le choix », résume Marwan. Cet Algérien, venu soigner un cancer en Belgique, est enfermé depuis 28 jours. Désespéré par sa situation, il a avalé quatre lames de rasoir. « Régulièrement, il y a des personnes qui s’automutilent soit pour éviter un renvoi à tout prix soit simplement à cause des conditions de rétention », raconte un intervenant de la CIMADE. Actuellement, les lames de rasoir se baladent dans l’estomac de Marwan qui exhibe sa radio devant la sénatrice. « Je ne suis pas docteur, mais il y avait quatre lames », confirme-t-elle. Le risque immense pris par Marwan n’ébranle pas les policiers. « C’est un cas classique. Ça fait parti des mesures qu’ils prennent pour se soustraire à l’éloignement », commente froidement l’imperturbable commissaire Pierre Bordereau. « Effectivement, il y a énormément de personnes qui prennent bien soin au préalable d’emballer des lames pour les avaler », ajoute un fonctionnaire suspicieux. Le climat étouffant instauré au Mesnil-Amelot ne laisse pas de place à la compassion. « C’est tout un système, validé par la hiérarchie, qui fait passer l’expulsion loin devant des considérations humaines basiques », analyse Nicolas Pernet.

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© S. de Sakutin / AFP

Comment réagit la police quand des personnes tourmentées se mettent ainsi en danger ? « Souvent, la réponse n’est pas médicale, mais c’est l’isolement », nous répond-on à la Cimade. Pour séparer une personne du reste des retenus, les CRA disposent de minuscules cellules. L’équipement s’avère rudimentaire et minimaliste : une paillasse en béton en guise de sommier et des toilettes en inox. « Ce qui nous inquiète c’est que [l’isolement] est souvent utilisé pour des personnes qui sont en état de détresse psychologique et qui ont avalé une lame ou se sont tapés la tête sur les murs pendant une crise d’angoisse », déplore une intervenante.

Une circulaire du 14 juin 2010 définit les conditions dans lesquelles un individu peut-être mis à l’isolement. « Cette procédure […] doit avoir un caractère exceptionnel, être très limitée dans le temps et strictement justifiée par le comportement de l’intéressé […]. Elle ne doit revêtir aucun caractère disciplinaire et ne doit nullement aggraver les conditions de la rétention administrative ». Les contours de cette sanction restent tout de même flous et la procédure se résume à une simple inscription dans un registre. La décision dépend du seul chef de centre qui utilise ces cellules à sa guise.

Marwan n’est pas le seul retenu privé de soins. « Moi je suis venu ici en attendant une opération chirurgicale de la main, raconte Joseph. J’avais un certificat médical. Ils ont arraché le bandage qu’on m’avait fait et ils m’ont dit que je n’avais rien et que de toute façon ici il n’y avait pas de chirurgien ». « J’ai un kyste dans le dos et on me donne juste un pansement. J’ai une thérapie psychiatrique, mais on ne me donne pas de rendez-vous avec un psychiatre » témoigne un autre homme. « Sur la santé, le constat est accablant », résume Nicolas Pernet qui a travaillé cinq ans au Mesnil-Amelot. « On est globalement dans un contexte où la suspicion de la part de l’administration l’emporte sur son obligation de protéger des personnes gravement malades qui ne peuvent pas être soignées dans leur pays d’origine » La liste des pathologies graves que les membres de l’association disent avoir observée au Mesnil-Amelot se révèle longue : hépatites, VIH, cancers, drépanocytose… L’article L511-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) paraît pourtant limpide : si elles ne peuvent pas être soignées dans leur pays, ces personnes « ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ».

« Le service médical c’est le pompon ! », s’énerve Esther Benbassa. « Une personne qui s’est présentée comme cadre de santé n’a pas laissé parler ni l’infirmière ni le docteur. Elle était désagréable et ne voulait pas répondre aux questions ». Jusqu’au 1er janvier 2017, le médecin de l’Agence régionale de Santé (ARS) qui dépend du Ministère de la Santé était compétent pour décider du maintien sur le territoire d’une personne malade en rétention. Mais depuis l’entrée en vigueur de la loi Cazeneuve sur le droit des étrangers, la décision est prise par le médecin de zone rattaché à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). L’évaluation de l’état de santé des migrants passe ainsi sous la houlette du Ministère de l’Intérieur qui privilégie la lutte contre la fraude. La Cimade observe en conséquence une augmentation des avis médicaux défavorables rendus aux termes d’évaluations dont les modalités restent opaques.

Les conditions épouvantables dans lesquelles sont cloîtrées ces personnes auxquelles l’Etat reproche d’avoir franchi une frontière, sont inquiétantes. D’autant plus qu’au CRA du Mesnil-Amelot, la police enferme également des publics parmi les plus fragiles. « Il y a environ 300 enfants par an », s’alarme un associatif qui travaille au CRA. « Le plus jeune bébé qu’on ait vu avait un mois. On voit aussi beaucoup de femmes enceintes, c’est presque banal », détaille Nicolas Pernet.

La sénatrice Esther Benbassa a demandé au commissaire divisionnaire Pierre Bordereau d’examiner le cas des retenus qu’elle a rencontrés et de lui apporter des réponses. À ce jour, le fonctionnaire ne s’est pas exécuté. Il n’a pas non plus souhaité répondre à nos questions.

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