Alors qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen paradent au Salon de l’Agriculture, la sénatrice EELV Esther Benbassa entend placer l’éthique au centre de l’élevage. Une ambition à contre-courant, ou pas.
arler d’élevage éthique dans un pays d’agriculture comme le nôtre n’est pas une mince affaire. Au niveau européen, la France est, de loin, le premier pays agricole, bien qu’en ce qui concerne le bio l’hexagone ne soit pas le leader européen. Si l’on tient compte de la part de bio dans la « surface agricole utile » (SAU), la France se classe à la troisième place européenne derrière l’Espagne et l’Italie. Les temps changent, notamment sous la pression des consommateurs, toujours plus inquiets pour ce qu’il y a dans leurs assiettes.
Et si, pour bien manger, l’éthique était la clé ? C’est tout le cœur de la proposition de loi déposée par la sénatrice écolo Esther Benbassa : « Pour un élevage éthique, socialement juste et soucieux du bien-être animal ». Ou comment conjuguer écologie et social, humains et animaux.
« Convergence rare » au palais du Luxembourg, s’étonne la sénatrice, cette proposition de loi a été signée par des écolos, des communistes, des socialistes, des radicaux de gauche et même quelques centristes. Elle y voit la preuve que le monde politique bouge avec la société contre ces « méthodes barbares ».
Les principales propositions sont les suivantes :
- rendre inconscients les animaux avant la saignée et ce jusqu’à la mort de l’animal
- interdire l’abattage des femelles dont la gestation a dépassé les deux tiers de la période de gestation
- interdire la castration à vif et la caudectomie des porcelets ; interdire l’usage du dioxyde de carbone pour étourdir les cochons
- interdire le broyage des poussins mâles et des canetons femelles vivants ; interdire l’électronarcose des volailles
- interdire les cages pour les lapins et les poules
- interdire tout élevage n’offrant pas d’accès au plein air aux animaux
Au-delà de ces pratiques, Esther Benbassa tient en ligne de mire l’arrêt de l’élevage industriel à l’horizon 2025. Il faut dire que sa proposition de loi tombe au même moment que la dernière vidéo de l’association L214 sur l’abattoir Sobeval, en Dordogne. Cet abattoir est l’absolu contre-modèle : appartenant à un groupe hollandais, certifié Label Rouge et bio, il fournit en viande les plus grands restaurants et en tannerie les plus grandes marques de luxe. L’envers du décor : il débite 90 veaux de l’heure, les bêtes sont parfois conscientes, agonisantes de longues minutes.
Ensemble, tout devient possible
En Seine-et-Marne, Yves de Fromentel y croit aussi en élevage éthique. Lui est agriculteur, comme son père. Dans sa ferme, à Pécy, il a fait depuis 2009 le pari d’une agriculture « bioholistique », qu’il définit de la sorte : « Une obligation de résultats en termes d’environnement, d’emploi et de qualité ». Pour se faire, il a opéré un changement radical, une mission quasiment impossible sans les aides départementales et régionales, sans les « Cigales », ni sans les 17 heures de travail quotidien, toute l’année durant, sans pouvoir se verser de salaire à lui ou à sa femme car « tout part dans le remboursement des prêts ». Mais Yves de Fromentel ne se laisse pas abattre. Pour montrer la réussite de son projet, il se compare à son voisin. Lui emploie neuf personnes et sa ferme fait 170 hectares. Le voisin, c’est 800 hectares pour deux travailleurs.
Yves de Fromentel est un passionné, un « conteur », comme le répète Esther Benbassa. Il vante sa quinzaine de cultures différentes, « en rotation sur 17 années ». Il vante aussi sa soixantaine de vaches, élevées pour leur lait, soumises à une seule traite par jour. « On ne court pas après le rendement ici, contrairement à l’industrie. On a remis l’Homme au centre de l’agriculture, pas le fric ! » Il faut reconnaître à Yves de Fromentel son franc-parler, son sens de la punchline : « On n’est plus des paysans, on est des exploitants. On a une agriculture en « -cide » : herbicide, insecticide, suicide. » En quelques phrases, il résume une situation intenable. La course à la (sur)production. La dépendance en l’industrie, la grande distribution, les Monsato. Une agriculture qui tue tout ce qu’elle touche : l’agriculteur, la terre, les animaux, les plantes et, bien sûr, les consommateurs.
L’agriculture est prise dans une spirale mortifère, un serpent venimeux se mordant la queue. « Il faut retrouver le bon sens de nos ancêtres et recréer le cercle vertueux. Si l’on crée un équilibre et une complémentarité entre l’animal et le végétal, non seulement tout a meilleur goût, mais la qualité nutritive suit », assure Yves de Fromentel qui voit son métier comme celui du « premier acteur de la santé », santé animale comprise. Et tout ceci a bien sûr à voir avec l’abattage. Pour lui, la meilleure solution, ce sont les abattoirs mobiles [1], pratique modèle de la Suède et de l’Allemagne. L’élément essentiel, là, c’est l’absence de déplacement des bêtes, premier facteur de stress et donc d’amoindrissement de la qualité de la viande.
Parallèlement à sa façon d’être agriculteur, Yves de Fromentel revendique une distribution locale de ses produits. Il met l’accent sur les circuits courts, les Amaps, notamment pour pouvoir vendre au « juste prix ». « Mettez tout l’argent du Grand Paris dans la ruralité, la France ira mieux », lance l’agriculteur. Yves de Fromentel va jusqu’à demander le retour des corporations, supprimées à la fin du XVIIIème siècle.
Esther Benbassa n’est pas naïve, elle sait combien il faudra énormément « accompagner le monde paysan pour l’arrêt de l’agriculture industrielle, pour un retour au local ». Politiquement, ce combat de titans sera des plus ardus. Les adversaires sont nombreux : les industriels, les lobbies, la FNSEA (entre autres), les tenants du néolibéralisme (coucou Macron), etc., etc. Plus dur encore, il faudra convaincre un monde paysan qui penche très sérieusement à droite depuis des générations que son salut n’aura de débouché politique qu’à gauche – et qu’il n’est pas question de créer des kolkhozes à tout bout de champ ! A-t-on d’autres choix ?