Age pivot : l’opposition dénonce un «leurre», «un hochet» et «une pièce de théâtre»

Le retrait provisoire de l’âge pivot de la réforme des retraites est vu par l’opposition comme un coup « tactique » du gouvernement pour faire passer la réforme. Mais selon le sénateur Modem Jean-Marie Vanlerenberghe, « des ajustements » sont possibles sans hausse du coût du travail, dans le cadre de la conférence de financement.

 

 

Samedi, un urgent de l’AFP tombe : « Retraites : le gouvernement retire provisoirement l’âge-pivot du projet de loi ». Dans une lettre aux syndicats, le premier ministre Edouard Philippe s’engage sur ce qu’il appelle un « compromis ». Le leader de la CFDT, Laurent Berger, crie « victoire ». Ce qui semblait impossible avant les fêtes, le serait-il devenu ? Pas vraiment, car on voit rapidement que l’histoire est plus compliquée. L’exécutif ne s’est engagé à retirer que la notion d’atteinte progressive de l’âge pivot à 64 ans sur la période 2022-2027. Mais pour la suite, il y aura bien un « âge d’équilibre » dans le projet de loi.

Pour financer le système d’ici 2027, à charge aux partenaires sociaux de trouver un plan B, dans le cadre de la conférence de financement. Une conférence très encadrée, car l’exécutif exclut une baisse des pensions ou une hausse du coût du travail… Si d’ici avril syndicats et patronat ne trouvent pas la solution miracle, Edouard Philippe prendra ses « responsabilités ». Autrement dit, l’âge pivot pourrait bien revenir par la fenêtre, mais cette fois par voie d’ordonnance. Le Parlement aurait ainsi à peine son mot à dire.

« Un chiffon rouge pour casser la grève »

Toute l’opposition y voit un coup politique du gouvernement : avoir agité le chiffon rouge de l’âge pivot pour le retirer au moment opportun, afin de mieux faire passer l’ensemble de la réforme, comme nous l’évoquions à la mi-décembre. « C’est une stratégie, ou plutôt une tactique du gouvernement pour arriver à faire un pas, sans trop de frais, vis-à-vis notamment de certains partenaires sociaux, et dire qu’on a trouvé un compromis » analyse René-Paul Savary, sénateur LR de la Marne, qui suit le dossier des retraites pour son groupe.

Chacun décrit la situation à sa manière. « Personne n’est dupe. On peut appeler ça une pièce de théâtre, un leurre. C’est un chiffon rouge pour, à un moment donné, casser la grève et casser le mouvement » pour Fabien Gay, sénateur PCF de Seine-Saint-Denis. « Ce sont des paillettes », raille Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, « étonnée que Laurent Berger se réjouisse, car rien n’a changé, Edouard Philippe avait déjà dit ça en décembre ».

« Le gouvernement cherche la division syndicale mais n’amène absolument aucune avancée. L’acceptation par Edouard Philippe de la conférence de financement, c’est un hochet, rien d’autre » abonde la sénatrice socialiste Monique Lubin. « En janvier l’âge pivot disparaît, mais en avril, il reviendra » craint le numéro 1 du PS, Olivier Faure, invité de la matinale de Public Sénat ce lundi.

Regardez :

Réforme des retraites : « En janvier, l’âge pivot disparait, mais en avril il reviendra » déclare Olivier Faure
06:30

La piste « de la branche accident du travail, source d’économie pour les entreprises ? »

Au Sénat, le sénateur Modem (groupe Union centriste) Jean-Marie Vanlerenberghe salue lui la nouvelle. Et pour cause, « c’est exactement ce que je proposais, il fallait mettre l’âge pivot entre parenthèses et faire confiance aux partenaires sociaux » rappelle le rapporteur de la commission des affaires sociales, spécialiste des retraites. C’est ce qu’il proposait en effet dès le 16 décembre.

Reste à voir si une solution sortira de la conférence de financement. A cet égard, les mots du premier ministre sont peut-être une indication. Il n’a cette fois pas explicitement exclu une hausse des cotisations, pour préférer refuser une « hausse du coût du travail ». Une formulation qui pourrait laisser la place à une hausse des cotisations, compensée autrement pour les entreprises. C’est une voie à suivre, selon Jean-Marie Vanlerenberghe : « Bien sûr, il peut y avoir des ajustements » pense le sénateur du Pas-de-Calais. Il ajoute :

Le coût du travail, ce n’est pas seulement les cotisations. Il y a d’autres moyens de le baisser

Il évoque « plusieurs hypothèses », comme le « crédit d’impôt ». Il faudrait aussi regarder du côté « de la branche accident du travail. Est-ce que ce n’est pas une source d’économie pour les entreprises ? » demande le rapporteur de la commission des affaires sociales, qui souligne que « la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) est excédentaire de 1,7 milliard d’euros environ. Et il y a une ponction par la Sécu d’un milliard d’euros, dont on peut discuter ».

« Si on augmente les salaires, il y aura plus de cotisations »

Le sénateur voit d’autres pistes, à commencer par l’Etat lui-même. « Une bonne partie du déficit pour 2027 provient de l’Etat employeur, en raison de la baisse du nombre de fonctionnaires et des salaires, par le gel du point d’indice depuis longtemps. L’Etat doit compenser » dit-il. Jean-Marie Vanlerenberghe pense enfin à une autre idée : « Si on augmente les salaires, il y aura plus de cotisations. Quand vous voyez les résultats records du CAC 40… Il n’y a pas que les communistes qui ont le droit de se poser cette question ! »

Le communiste Fabien Gay, justement, vise aussi « les 60 milliards d’euros versés aux actionnaires ». Il pense en revanche qu’« il ne sortira rien de la conférence de financement, car personne ne sera d’accord ». Pour le sénateur du groupe CRCE, c’est toute la réforme qui est à jeter, car « l’âge d’équilibre, ça veut dire qu’il faudra travailler plus longtemps, jusque 64, 65, 66 ans et peut-être 67 ans ».

« C’est un Parlement Colin-Maillard, qui vote une loi sans savoir ce qu’il y a dedans »

La socialiste Monique Lubin voit un parallèle avec les négociations entre partenaires sociaux sur l’assurance chômage. Le gouvernement avait repris la main et imposé ses vues. « On a déjà fait le coup aux syndicats sur l’assurance chômage. A l’époque Laurent Berger était vent debout » rappelle la sénatrice PS des Landes. Sur la valeur du point, elle souligne que « la loi prévoit une révision tous les 5 ans. Rien ne sera gravé dans le marbre ».

La socialiste ajoute « un autre problème majeur : il n’y a absolument aucune étude d’impact. On ne sait pas où on va ». « On va examiner un texte qui sera bancal car il n’y aura pas l’équilibre financier » confirme le sénateur LR René-Paul Savary, qui défend pour sa part une augmentation de l’âge de départ à la retraite au nom de la « vérité. Il sera difficile de tourner longtemps autour du pot ». « C’est un Parlement Colin-Maillard, c’est-à-dire un Parlement qui vote une loi sans savoir ce qu’il y a dedans » confirme son collègue Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine. Regardez :

Retraites : « C’est un Parlement Colin-Maillard, qui vote une loi sans savoir ce qu’il y a dedans » selon Karoutchi (LR)
01:01

Pour Jean-Marie Vanlerenberghe, l’obstacle n’est pas insurmontable. Cette étude d’impact « peut prendre plusieurs hypothèses ». Le sénateur Modem ne suit pas Gérard Larcher, qui demande le report de l’examen au Parlement, en attendant les conclusions de la conférence et l’étude d’impact. « Je comprends ce que dit Gérard Larcher, mais je pense qu’il faut en finir » souhaite le centriste.

« Emmanuel Macron est en train de jouer avec le feu »

Les opposants aimeraient eux en finir avec ce projet. Esther Benbassa, qui a manifesté samedi, s’est rendue lundi matin avec d’autres parlementaires femmes à un dépôt de la RATP pour soutenir des grévistes. « Nous avons entonné le Chant des femmes, un chant féministe des années 70, pour rappeler que les femmes vont y perdre » dit la sénatrice d’EELV (voir la vidéo).

Le gouvernement semble lui aussi décidé à aller jusqu’au bout. Ce qui inquiète Monique Lubin. « Emmanuel Macron est en train de jouer avec le feu, à force de ne pas écouter ceux qui sont toujours concernés » souligne la socialiste, qui met en garde : « On se coupe de la base populaire de la société française. Ces gens-là en ont assez : ils le démontrent par l’abstention, les gilets jaunes et un vote de plus en plus assumé vers l’extrême droite ».