Accidents : la chasse dans le viseur
Après une série d’accidents parfois mortels, François de Rugy appelle les chasseurs à respecter les « bonnes pratiques ». Au Sénat, les défenseurs de la chasse sont nombreux. Pour Emmanuel Macron, c’est aussi un enjeu électoral. « Grosso modo, 3 millions de personnes votent chasse » estime le sénateur Pierre Charon.
La chasse dans le collimateur. Une série d’accidents rapprochés vient poser la question de la sécurité à la chasse. Le 13 octobre, un Britannique à VTT est mort accidentellement après avoir reçu une balle de chasseur, lors d’une battue. Le 21 octobre, c’est un rabatteur qui est décédé dans la Meuse, lui aussi mortellement touché. Un autre vététiste a lui été blessé lors d’une battue en Ariège et ce week-end, un chasseur a été blessé à l’abdomen par un autre chasseur lors d’une battue au chevreuil, en Saône-et-Loire.
Face à ces accidents à répétition, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a rencontré les chasseurs ce lundi. Si la réforme de la chasse était aussi au programme, le ministre a profité de la rencontre pour appeler les chasseurs à généraliser les « bonnes pratiques ». Le président de la Fédération nationale des Chasseurs (FNC), Willy Schraen, s’est dit prêt à discuter avec les fédérations de randonneurs ou de cyclistes. Mais « il ne sera pas question d’un jour de non chasse », a-t-il insisté.
C’est pourtant l’idée de la députée LREM de l’Isère, Emilie Chalas, d’interdire la chasse le dimanche. Une pétition de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas) fait la même proposition. A l’inverse, un député LREM, Alain Perea, président du groupe d’étude sur la chasse de l’Assemblée, avait proposé d’interdire le VTT pendant la chasse, avant de reconnaître un tweet « maladroit »…
Au Parlement, comme au sein de l’exécutif, la chasse dispose de beaucoup de relais. Le nouveau ministre des Relations avec le Parlement, le Modem Marc Fesneau, est un chasseur. Mais il pratique une chasse particulière et difficile : la chasse à l’arc. Le Président lui-même, qui a fêté des 40 ans au domaine de Chambord, cherche à envoyer des signaux positifs aux chasseurs. Le prix du permis de chasse sera divisé par deux.
68 sénateurs au groupe d’études sur la chasse
Au Sénat, un lapin ne tiendrait pas deux minutes, tant les chasseurs sont nombreux. Le président LR de la Haute assemblée, Gérard Larcher, est passionné par la chasse, tout comme le président du groupe LREM, François Patriat. Le sénateur de Côte-d’Or fait le lien entre le chef de l’Etat et les chasseurs. Si vous le lancez sur la chasse, celui qui aime « voir (son) chien chasser le gibier » est intarissable. « En Bourgogne, depuis ma fenêtre, j’entends les cerfs bramer la nuit. C’est extraordinaire » s’enthousiasme François Patriat. Il « comprend » les opposants à la chasse, « qui sont loin des préoccupations rurales ». « La chasse a mauvaise image, liée à des attitudes du passé. Maintenant, c’est aux chasseurs de mieux s’expliquer. Aujourd’hui, la chasse est entrée dans une ère plus noble, dans le respect des espaces et des espèces ».
Le groupe d’études sur la chasse compte pas moins de 68 sénateurs. « C’est le plus important au Sénat et à l’Assemblée » souligne le sénateur Pierre Charon, autre chasseur de la Haute assemblée et chargé du sujet pour le parti LR. Dans ce groupe, les sénateurs, de gauche comme de droite, comparent parfois leur tableau de chasse. « On prend des photos avec nos téléphones et on se montre les bêtes » raconte Pierre Charon. Willy Schraen y a été reçu le mois dernier. Pierre Charon connaît bien aussi Thierry Coste, le lobbyste qui œuvre pour les chasseurs. « Je l’ai eu hier au téléphone en vue de la rencontre aujourd’hui avec François de Rugy », un ministre qu’il apprécie, car « énormément plus ouvert que Nicolas Hulot ».
Poids électoral « énorme » des chasseurs
Les liens entre Pierre Charon et Thierry Coste date d’il y a quelques années. Le poids électoral « énorme » des chasseurs – 1,2 millions dans le pays – en était à l’origine. « C’est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy et moi avions passé un accord avec Bernard Baudin, ancien président de la Fédération nationale des chasseurs, et Thierry Coste, pour qu’il y ait 60 chasseurs en position éligible sur les listes pour les élections régionales. Ma mission auprès de Nicolas Sarkozy, c’était d’empêcher que les chasseurs votent FN » raconte le sénateur de Paris. D’autant qu’en comptant les familles, « grosso modo, 3 millions de personnes votent chasse ».
Les risques liés à la chasse, les politiques connaissent aussi. Lors d’une chasse à Chambord, l’ancien député UMP Pierre Lellouche avait tiré aux pieds de Frédéric Péchenard, ancien Directeur général de la police nationale, en voulant abattre un sanglier. Exclu de la chasse présidentielle, l’intéressé a ensuite démenti l’épisode.
« La fin de la chasse le dimanche, c’est la fin de la chasse populaire »
Après les derniers accidents, François Patriat souligne qu’« il y a toujours à faire pour la sécurité », mais il veut remettre les choses en perspective : « Il y a 400 morts en vélo par an. On ne change pas pour autant règles pour rouler à vélo. Il y a 380 noyades en mer, on n’empêche pas la baignade. A la chasse, il y a 15 morts par an et généralement il y a 12 chasseurs ». Deux chasseurs viennent d’ailleurs ce week-end de se tirer accidentellement dans le pied. « Il y a beaucoup plus d’accidents de la route à cause des sangliers » ajoute Pierre Charon.
François Patriat ne veut pas entendre parler d’interdiction dominicale de la chasse. « La fin de la chasse le dimanche, c’est la fin de la chasse populaire » dit-il. « Dans les petits villages, c’est leur petit plaisir » ajoute Pierre Charon. Son collègue LREM n’est cependant pas opposé à un jour sans chasse. Surtout que François Patriat l’a déjà proposé dans la loi chasse de 2000, qu’il a « écrite pour Dominique Voynet, le mercredi était un jour sans chasse. Mais cela avait été retiré par le Sénat ». Les chasseurs sont cependant peu nombreux à sortir la carabine ce jour là.
Côté sécurité, l’image des chasseurs, qui seraient autant amateur de perdrix que de Bordeaux, n’arrange rien. La faute, selon Pierre Charon, à un célèbre sketch :
« Ça, ce sont les Inconnus qui ont fait le sketch avec la gallinette cendrée, qui a nui aux chasseurs. C’est très drôle, je suis le premier à en rire. Mais il faut que ça reste un sketch. Quand vous êtes aviné, vous tirez mal, vous ne risquez pas de tuer quelqu’un. Que ce soit convivial, oui. Mais c’est très rigoureux. On peut virer un chasseur s’il ne respecte pas les règles ».
« On va faire aussi un quota de victimes humaines pour chaque saison ? »
Face aux derniers accidents, la sénatrice EELV Esther Benbassa à une solution plus radicale : interdire tout simplement la chasse. « En tant qu’écologiste, je suis contre la chasse. Je ne vois pas pourquoi on laisserait cette pratique qui tue tous les jours des milliers d’animaux vivants » affirme la sénatrice de Paris, qui demande si « on va faire aussi un quota de victimes humaines pour chaque saison ? » Pour Esther Benbassa, « la chasse est une tradition qui a fait son temps ». Elle appelle à « des état généraux de la chasse, avec consultations des citoyens ».
Pour la sénatrice PS de l’Oise, Laurence Rossignol, qui avait déposé l’année dernière une proposition de loi pour interdire la chasse à cour, « la question n’est pas de partir en guerre contre la chasse. Mais d’identifier quelles sont les chasses inutiles et les méthodes de chasse inutiles ». L’ancienne ministre cite « la chasse à la glu. Les oiseaux viennent se prendre les pattes et ne peuvent plus décoller. C’est barbare ». Laurence Rossignol est aussi « étonnée qu’on autorise la chasse par temps de brouillard », récurrent dans les plaines de Picardie, où les chasseurs sont nombreux.
La sénatrice PS souligne aussi « la dimension électoraliste » de la part d’Emmanuel Macron. « Les chasseurs et leur famille, ça pèse ». Alors que la droite a accusé le chef de l’Etat d’être « le Président des villes », « Emmanuel Macron veut surtout être le président de la campagne. C’est pour ça qu’il utilise les chasseurs » souligne Pierre Charon. Mais pour le sénateur LR, « la solidarité chasseur » compte avant toute chose et les batailles politiques : « Peu importe. Si grâce à lui on améliore les choses pour la chasse, on ne peut que s’en réjouir ».
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