La réforme pénale initiée par la Garde de Sceaux Christiane Taubira et votée à l’Assemblée a été enrichie en Commission des lois du Sénat mercredi dernier. Elle arrive en séance ce mardi après-midi. Ce projet de loi fait suite à la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, laquelle avait démontré, chiffres à l’appui, que pour les petites infractions, la récidive était plus faible après une peine de probation en liberté (devenue « contrainte pénale » dans le texte du projet de loipour mieux en marquer l’aspect punitif) qu’après un séjour en prison.
Constat d’échec pour l’ère Sarkozy
La politique anti-récidive menée depuis dix ans a échoué. Les peines planchers instaurées sous l’ère Sarkozy n’ont pas dissuadé les récidivistes potentiels. Au contraire, le taux de récidive a plus que doublé.
De surcroît, les procédures pour lutter contre les sorties « sèches » ont manqué leur cible, puisque 78% des personnes incarcérées sortent sans aucun suivi, ni accompagnement. Or le taux de récidive est deux fois plus élevé dans le cadre de sorties « sèches » que dans le cadre d’un aménagement de peine.
Sans logement, sans RSA, sans carte Vitale, complètement démunis, les libérés récidivent, leurs seuls réseaux étant ceux qu’ils ont côtoyés avant le délit qui les a conduits en prison… et ceux qu’ils ont rencontrés en prison même!
Les prisons sont surpeuplées, délabrées au point où elles mettent en danger aussi bien les détenus que le personnel. Notre pays emprisonne dix à quinze fois plus que les pays européens, notamment l’Allemagne. Si les sanctions sont nécessaires, la prison ne peut être la réponse à tout. Une admonestation suffit à convaincre 50 à 60% des primo-délinquants de ne pas recommencer.
Conjuguer humanisme et efficacité
Même si le projet de loi examiné cette semaine ne fait pas vraiment le ménage dans la pléthore de textes et de procédures qui se sont accumulés au fil des ans, même s’il n’est pas révolutionnaire, du moins a-t-il le mérite d’infuser dans le système à la fois un peu d’humanité et un peu de réalisme, en mettant l’insertion, avec la contrainte pénale, au centre de ses préoccupations.
L’objectif est bien de sanctionner le condamné. Mais il est aussi de favoriser son amendement, et son insertion ou sa réinsertion. Afin d’assurer efficacement la protection de la société, en prévenant la récidive et en restaurant l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime. L’accent est naturellement mis, dans ce cadre, sur l’individualisation des peines, prenant en compte les circonstances de l’infraction, ainsi que la personnalité et la situation de son auteur.
Une mesure phare : la contrainte pénale
L’introduction dans l’échelle des peines d’une nouvelle peine, la contrainte pénale, est sans conteste la mesure phare du dispositif. Applicable en matière correctionnelle, elle consiste en un suivi intensif en milieu ouvert, dont un accompagnement socio-éducatif individualisé du condamné. C’est bien une peine à part entière, sanctionnant une série de délits pour lesquels de courtes peines d’emprisonnement sont encourues, tels le vol simple, la conduite sous l’emprise de l’alcool, l’usage de stupéfiants.
Si la prison assure à la société une sécurité provisoire, seule l’insertion peut lui garantir une sécurité de longue durée. Ceux qui voudraient laisser croire que l’on va laisser ces délinquants dans la nature cherchent à nous tromper. Il s’agit au contraire d’une authentique prise en main du délinquant par les personnel d’insertion, les collectivités territoriales, les associations. Il s’agit à la fois de remettre à flot et de responsabiliser. Cela ne vaut-il pas mieux que de végéter en prison, d’y passer son temps à regarder passivement la télévision, ou d’y faire l’apprentissage du banditisme ou du djihadisme auprès de prisonniers au passé lourd ?
Autres avancées
Le projet de loi crée par ailleurs la libération sous contrainte pour des personnes condamnées à une ou plusieurs peines d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. Cette libération sera appliquée aux deux tiers de la peine, le reste s’effectuant sous un régime de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique.
La libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, pour ceux qui sont condamnés à plus de cinq ans de prison, sera elle aussi décidée au cas par cas, comme la libération sous contrainte. Le projet de loi reprend enfin la procédure de mise en liberté pour motif médical au bénéfice des personnes en détention provisoire, objet, à l’origine, d’une proposition de loi écologiste votée au Sénat le 13 février dernier, dont j’avais été la rapporteure.
Ni laxisme, ni sécuritarisme : réhabilitation
La Commission des lois lors du Sénat a tenté, la semaine dernière, d’améliorer le texte en l’enrichissant. Il n’est nullement question, dans cette affaire, de verser dans un quelconque laxisme, même si la contrainte pénale a fait ressurgir les vieux démons de notre imaginaire pénal.
La posture des adversaires de la réforme sera évidemment d’invoquer ces démons et de crier au laxisme, quand la philosophie de ce texte est la « réhabilitation ». La tolérance zéro à l’insécurité est un leurre, à peine utile électoralement. Le sécuritarisme est au mieux un populisme, que ses résultats concrets -négatifs- suffisent à disqualifier.
Il ne s’agit pas simplement « d’aider les délinquants », mais bien d’aider la société et de veiller efficacement à sa sécurité. Le récidiviste (réel ou potentiel) n’est pas cet individu a priori inamendable qu’il faut laisser en prison pour mieux le surveiller. C’est un homme, c’est une femme comme nous, pour qui, au-delà de la sanction que nous lui imposons, mérite notre sollicitude.
A nous de l’aider à réintégrer une société active, à nous de le ramener ainsi dans le monde de ceux qui tracent leur voie sans avoir à nuire aux autres. Si cet homme ou cette femme est bien notre semblable, vulnérable, qui a failli, il ou elle peut aussi reprendre le même chemin que nous. L’insertion, l’aide à l’insertion, les moyens alloués pour ce faire sont de meilleurs remèdes que la prison (on ne parle pas ici, bien sûr, des grands criminels, des violeurs, et autres pédophiles actifs).
Une société qui opte pour la répression radicale est inéluctablement condamnée à produire des récidivistes, en les marginalisant à jamais, en les mettant hors des « murs ». Elle est condamnée à construire toujours plus de prisons, et à subir indéfiniment les retombées de la promiscuité criminogène de lieux de détention qui ne font certes pas honneur au pays héritier des Lumières que nous prétendons être.
Pourquoi ne pas choisir plutôt le vivre mieux ensemble, grâce au « care », cette philosophie politico-sociale qui prend aujourd’hui racine dans nombre de pays anglo-américains, soucieuse des besoins des plus démunis et ambitieuse dans la défense de leurs droits pour retisser les liens sociaux?
Ne pas céder !
Il est à espérer que le gouvernement ne succombera aux cris d’orfraie des vitupérateurs du prétendu laxisme et qu’il veillera à ce que ce projet de loi (vraiment) de gauche ne devienne pas un texte tiède, amputé de toute avancée notable. Le débat sera houleux, en séance, cette semaine? Fort bien! On mesurera là, concrètement, la détermination du gouvernement à réellement dépoussiérer notre justice, à regarder vers l’avenir, à ne pas céder au populisme sécuritaire ambiant.
Nous, les écologistes, nous croyons au tournant que ce projet de loi peut amorcer. Et si nous l’avons déjà amendé en commission, avec nos collègues socialistes, c’est pour qu’il atteigne ses objectifs et permette de construire une justice plus humaine et plus sociale.
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