En 1981, le sénateur Henri Caillavet déposait une proposition de loi relative au changement d’identité et d’état civil des personnes transsexuelles. Le 11 décembre 2013, je déposai moi-même, à mon tour, au nom du groupe écologiste, un texte aux visées similaires, toujours au Sénat.
Sur cette question, en trente ans, on a si peu avancé! L’intérêt électoral, en l’occurrence, ne joue guère en effet. Quels politiques s’intéresseront-ils à une population qui, en France, compte entre 3000 et 4000 personnes, qui plus est quand pèsent sur elle des préjugés plus lourds encore que ceux dont ont si longtemps pâti les gays et les lesbiennes?
La pièce d’identité: un instrument de discrimination
Le cadre juridique actuellement en vigueur pour le changement d’état civil et de prénom des personnes trans est caractérisé par une médicalisation et une judiciarisation du processus qui pénalise gravement ces personnes pendant leur parcours de transition. Si le droit n’exige pas d’intervention chirurgicale, il demande en revanche un traitement médical irréversible qui implique la stérilisation.
Durant cette période de transition, les risques de marginalisation et de précarisation sont élevés. 26% des personnes concernées perdent leur travail, 11% leur logement. 40% de celles qui perdent leur travail deviennent SDF. Et lorsque les informations sur la pièce d’identité sont discordantes avec l’apparence, les discriminations à l’embauche et au logement sont encore plus fortes, ce qui explique, pour certains, un basculement dans la prostitution comme dernier recours pour survivre.
Leur pièce d’identité se transforme en l’occurrence, pour les personnes trans, en un véritable et impitoyable instrument de discrimination. Et ce alors même qu’en raison des préjugés relatifs à l’identité de genre, la discrimination subie est de fait ordinairement passée sous silence et reste impunie. A quoi s’ajoutent les humiliations du quotidien, les sarcasmes, les insultes, la violence.
L’état du droit en Europe et en France
Fort heureusement, lors des débats ayant entouré en juillet 2012, au Sénat, l’examen de la loi sur le harcèlement sexuel, grâce aux efforts conjugués de différentes sensibilités politiques de gauche (et du centre), la transphobie a finalement été reconnue en droit pénal français. L’avancée est réelle. Mais évidemment bien loin d’être suffisante.
Dès 1992, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) reconnaissait pour la première fois que le refus d’un Etat d’autoriser les personnes transgenres à modifier la mention du sexe dans leur état civil afin de pouvoir obtenir des documents officiels conformes à leur identité de genre constituait une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les personnes transgenres n’en continuent pas moins, en Europe, à lutter pour changer d’état civil sans que leur intimité soit bafouée et sans que leur état mental soit mis en question par une psychiatrisation forcée.
En France, le régime de la modification de la mention du sexe à l’état civil a suivi un long processus d’élaboration jurisprudentielle. Aujourd’hui, ce régime résulte essentiellement de principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, aucun texte législatif n’étant intervenu de façon spécifique en la matière.
Par deux arrêts du 11 décembre 1992, l’Assemblée plénière de cette Cour a jugé que « lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique une personne présentant le syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »
Une fois la modification obtenue, il appartient à la personne transsexuelle de demander la mise à jour des documents administratifs la concernant. En fait, actuellement, en France, la procédure de changement est systématiquement judiciarisée et contentieuse. Le contentieux est à l’initiative de la personne trans et la charge de la preuve lui incombe.
Nous sommes allés au-delà des recommandations de la CNCDH
Dès 2010, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) recommandait une démédicalisation complète de la procédure de changement de la mention de sexe à l’état civil et rappelait que les troubles de l’identité de genre ont été retirés de la liste des affections psychiatriques.
En 2013, la CNCDH proposait cette fois une procédure systématiquement judiciarisée mais réduite à l’homologation devant le Tribunal de grande instance, le juge examinant systématiquement les motifs de non-homologation.
En concertation avec un certain nombre d’associations (chaque association ayant ses revendications propres et ses exigences spécifiques, pas toujours immédiatement compatibles avec l’état de notre droit), en accord avec le groupe écologiste du Sénat, et prenant appui sur les promesses de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, lors de l’examen du projet de loi égalité femmes-hommes, j’ai choisi, pour ma part, d’intervenir à droit constant, ayant pour premier objectif de donner quelque chance de faire aboutir notre projet de modification de la procédure.
Mon groupe et moi-même avons cependant décidé d’aller au-delà des recommandations de la CNCDH en préconisant, dans le texte déposé en décembre 2013, un recours, dans le cas du changement d’état civil et de prénom des personnes trans, à une procédure calquée sur celle s’appliquant déjà aux changements de nom, à savoir une procédure simplement administrative, et non judiciaire. Ainsi le changement de la mention du sexe et, s’il y a lieu, celui du prénom seraient-ils autorisés par décret, cette autorisation ne pouvant en aucun cas être subordonnée à la production d’expertises ou de certificats médicaux.
« Loi argentine » et droit français pour le moment incompatibles
La proposition de loi que je porte, avec mon groupe, est assurément perfectible. Elle est le fruit d’une réflexion de longue haleine, entamée dès mai 2012, avec l’étude de législation comparée sur la modification de la mention du sexe à l’état civil que j’avais commandée aux services du Sénat. Et elle n’est bien sûr, comme toute proposition de loi, qu’une ébauche. Et elle peut – elle doit – toujours être amendée. Reste que les associations doivent comprendre que dans l’état actuel du droit français, si l’on veut donner la moindre chance à un tel texte d’être un jour effectivement débattu et peut-être voté au Parlement, et donc à la condition des personnes trans la moindre chance d’être un jour concrètement améliorée, il semble difficile d’envisager, dans l’immédiat, de transposer simplement chez nous la « loi argentine ».
Cette « loi argentine », fort libérale, et effectivement perçue par beaucoup comme un modèle, énonce dans son article 1er le droit à l’identité de genre (reconnaissance et libre développement), et pose comme seules conditions au changement d’être âgé(e) de 18 ans au moins, d’attester que la personne se trouve protégée par ladite loi et d’exprimer le prénom choisi. Nul doute que cette « loi argentine » aurait été la bienvenue en France, une fois notre code civil dépoussiéré par une réforme en profondeur. Nous n’en sommes pourtant pas encore là. Il n’en faut pas moins avancer, ouvrir enfin une brèche dans la muraille des préjugés et de l’immobilisme législatif. C’est ce que je propose.