par Esther Benbassa, Sénatrice EELV du Val-de-Marne, Directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)
Ce billet est le 57e de la série « Vu du Sénat »
Les socialistes ont de nouveau reculé, cette fois sur la Procréation Médicalement Assistée (PMA). La nouvelle secrétaire d’Etat chargée de la Famille, Laurence Rossignol, égérie du féminisme au Sénat, a cédé à la demande de la Manif Pour Tous dont elle a reçu une délégation la semaine dernière. La PMA pour les couples de lesbiennes et pour les femmes seules va ainsi disparaître des radars, tandis que les couples hétérosexuels infertiles restent eux – fort heureusement – autorisés à y avoir recours, lorsqu’ils ont moins de 43 ans, sont mariés ou fournissent la preuve d’une vie commune depuis deux ans.
Désespérer encore un peu la gauche !
Et pourtant, aussi bien Manuel Valls que la ministre de la Santé, Marisol Touraine, dans un passé récent, déclaraient qu’ils ne s’opposaient pas à la PMA, depuis longtemps réclamée par les associations LGBT. La précédente ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, avait promis, lors des débats au Parlement sur le mariage pour tous, que le projet de loi sur la famille en préparation inclurait la PMA. Cela dit, dès avant la reculade de sa successeure, le gouvernement avait fait savoir que le texte sur la famille ne se pencherait pas sur la PMA. Désormais, c’est gravé dans le marbre : la Manif Pour Tous a gagné, et la PMA pour les couples de lesbiennes et pour les femmes seules est officiellement sacrifiée sur l’autel de la réconciliation avec cette partie de la France qui s’est opposée au mariage pour tous.
L’abstention massive aux municipales n’aura pas servi de leçon aux socialistes. Ils ne se sont jamais sérieusement posé la question de la composition et des motivations de cette masse d’abstentionnistes, dont une grande partie, pourtant, est (ou était) de gauche. Comme si la raclée électorale tout juste reçue et l’annonce de la raclée à venir ne suffisaient pas, les renoncements continuent. Et l’on n’hésite pas ainsi à continuer de décevoir – je devrais dire : de désespérer – les électeurs de gauche, en s’imaginant peut-être qu’on finira par convaincre la droite de voter pour le PS, les réactionnaires de la Manif Pour Tous compris. Rien de nouveau, ici. Triste blague.
Une urgence n’en abolit pas une autre
On continuera à nous dire qu’il y a plus urgent aujourd’hui. Ainsi le chômage. Oui, bien sûr, la question de l’emploi est une urgence, une urgence absolue, pour d’innombrables Français. Mais pour les lesbiennes et les femmes seules qui attendent d’avoir un enfant, l’urgence n’en est pas moins dans le vote d’une loi qui mettrait enfin un terme à la discrimination dont elles sont victimes.
Chacun et chacune vit son urgence selon son histoire, selon sa situation. Une urgence n’en abolit pas une autre. Et répondre à l’une n’empêche pas de répondre à l’autre. L’attente – quel qu’en soit l’objet – est toujours insupportable.
Hélas, du présent quinquennat, il n’y aurait donc plus rien à attendre sur ce sujet ? Et comme le prochain pourrait bien être de droite, à toutes ces femmes qui espéraient le changement maintenant, que dirons-nous ? Qu’elles feraient mieux, si elles en ont les moyens, de se faire faire ça à l’étranger ?
Mais de quoi a-t-on peur ?
Mais de quoi a-t-on peur ? La loi autorise déjà les femmes seules à adopter. Et de surcroît, à bien regarder les chiffres, on se rend compte que si la PMA était autorisée pour la catégorie de personnes qui en est aujourd’hui exclue, la famille « traditionnelle » ne saurait évidemment s’en trouver déstabilisée, et ne disparaîtrait pas.
Environ 30 000 couples (homosexuels et hétérosexuels), sur environ 15,5 millions de couples, se rendent actuellement chaque année dans un centre pratiquant la procréation médicalement assistée (en France ou à l’étranger). Autrement dit : 0,19% des couples français ont recours à la PMA. En Grande-Bretagne, les femmes capables d’élever un enfant, sans limite d’âge, peuvent avoir légalement recours à la PMA. En 2012, elles ont été 48 491 à le faire. Ce qui représente 0,26% des couples britanniques.
La comparaison de ces deux chiffres est instructive : l’accès sans restrictions à la PMA ne provoque évidemment pas la ruée des lesbiennes et des femmes seules dans les centres qui y sont dédiés. Ce n’est pas le réel qui nous effraie. Mais nos fantasmes. Des fantasmes qui doivent beaucoup au poids de la religion, dans un pays qui, pourtant, n’hésite jamais à faire de la laïcité son principal étendard…
Je me souviens encore des débats, il y a un an, au Sénat, sur la PMA. Ils étaient parfois d’un autre âge. L’œil sévère et renfrogné de l’Église veillait. A certains parlementaires de droite, il faisait débiter clichés et préjugés. Aucune voix, alors, pourtant, à gauche, ne s’élevait contre l’idée d’étendre à d’autres le bénéfice du recours à ce procédé.
Qu’on mette les formes pour éviter une nouvelle polémique, je peux le comprendre. Mais reculer ainsi devant les représentants de la Manif pour tous n’honore pas le gouvernement non plus que notre nouvelle ministre de la Famille, si prompte pourtant, hier, au Sénat, et encore aujourd’hui, à défendre les droits des femmes, avec une véhémence parfois presque excessive (quant il s’agit d’autres sujets, du moins). Aujourd’hui, donc, on fait tabula rasa de tout cela. Restera à expliquer cette courageuse décision à la population LGBT, assez nombreuse, me semble-t-il, à voter à gauche…
« Manipulation du vivant »!
Je ne dirai certes pas que nous, écologistes, soyons épargnés par les débats internes. La PMA a bien été inscrite dans notre programme pour les élections législatives, et j’avais porté moi-même, au Congrès de Caen, à l’automne dernier, une motion où EELV s’engageait « pour que le dossier de la PMA pour les couples de lesbiennes ne soit pas enterré », une motion votée à une très large majorité.
Or ne voilà-t-il pas que notre vétéran altermondialiste, adversaire résolu et courageux des OGM, député européen depuis 2009, menant aujourd’hui la liste EELV pour les européennes dans la circonscription du Sud-Ouest, José Bové, déclare, contre toute attente, le 30 avril, dans l’émission « Face aux chrétiens » sur KTO, qu’il est opposé à toute manipulation sur le vivant, et donc opposé à la PMA : « Que ce soit pour les couples homosexuels ou hétérosexuels, que ce soit sur le végétal, l’animal et a fortiori sur l’humain, je suis contre toute manipulation sur le vivant ».
« Manipulation sur le vivant », ça ne veut évidemment rien dire. Sur la PMA, José Bové peut avoir des réserves et les exprimer. Mais cette « manipulation sur le vivant », c’en est un peu trop. Nous interdira-t-on aussi de prendre des antibiotiques pour laisser les bactéries se développer librement, ou même de prendre la pilule… ? Un militant EELV s’indignant des propos tenus par notre tête de liste remettait clairement les choses en place, écrivant : « La PMA n’est en rien une manipulation du vivant et les enfants qui naissent ne sont pas des bébés OGM. Il n’y a aucune modification génétique, juste la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde. » José Bové est-il pour ou contre la FIV? Et finalement, si on le suit, la chasse et la cueillette ne valent-elles pas mieux que toute agriculture humaine ?
Écologie et question sociale
« L’écologie, dit encore José Bové, ne se limite pas à la question sociale. » Pardi ! Mais qui donc a jamais soutenu ça ? L’écologie inclut la question sociale, c’est tout. Elle est tout à la fois souci de la nature, des rapports des humains avec la nature, et des rapports des humains entre eux. À l’inverse, à trop vouloir dissocier l’écologie du social, le risque est grand de verser dans une forme de naturalisme réactionnaire.
José Bové est-il imbu du mythe du « bon sauvage », a-t-il trop lu Rousseau ou Paul et Virginie ? Le XVIIIe siècle a certes exalté l’idéal de cet homme bon qui était bon parce qu’il vivait au contact de la nature. Mais là encore il faut être prudent. Derrière cette idéalisation de la nature, il y a aussi, il y a d’abord, une critique sociale. Là-dessus, je suis sûre que José Bové et les écologistes que ses déclarations maladroites ont pour le moins surpris, peuvent se retrouver. Et lui-même peut revenir sur certains de ses propos, sans se renier pour autant, ou au moins reconnaître qu’ils n’engagent pas, loin de là, tout EELV.
Le 7 mai, on remet ça !
Tournons donc cette page quelque peu malheureuse, regrettable faux pas politique en cette veille d’élections européennes. Et pour la tourner clairement, le 7 mai, comme cela est annoncé depuis un moment, nous, écologistes, n’hésiterons pas à marquer notre différence et à déposer une proposition de loi sur l’extension de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. Sergio Coronado le fera à l’Assemblée, et moi, au Sénat, au nom du groupe écologiste, conformément à la ligne de notre mouvement sur la question.
Nous avions déjà défendu cette idée sous forme d’amendement lors de l’examen du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes. Nous nous battrons à nouveau, chacun de notre côté, pour ce droit à l’égalité avec les couples hétérosexuels que réclament légitimement les couples de lesbiennes et les femmes seules. Une exigence d’égalité et un progrès des libertés individuelles indissociables, dans l’écologie politique, de la défense de l’environnement.
Lire cette tribune sur le site du Huffinton Post.
Lire également « José Bové, faucheur de PMA » (Libération, 5 mai 2014).