Volte-face du Sénat sur la lutte contre la prostitution (Sud Ouest, 29 mars 2015)

lors que la proposition de loi initiale prévoyait d’abroger le délit de racolage instauré par Nicolas Sarkozy pour lui substituer la pénalisation des clients, la commission spéciale du Sénat a bouleversé la donne mercredi dernier : elle a réintégré le délit de racolage, pourtant décrié par les associations sur le terrain, et a rejeté toute sanction des clients. Demain, le Sénat se lancera donc dans l’examen d’un texte profondément remanié.

À l’origine, il proposait de punir l’achat d’acte sexuel d’une contravention de 1 500 euros. Cette mesure a le soutien des associations prônant l’abolition de la prostitution (Mouvement du Nid, Fondation Scelles, etc.) et du gouvernement. Mais le sujet divise l’opinion publique et au sein même des groupes parlementaires. Des associations de prostituées (Strass, Bus des femmes, etc.) et des organisations qui les soutiennent (Act Up, Médecins du monde) combattent ce point, craignant de voir les prostituées poussées vers la clandestinité et se retrouver encore plus à la merci des rares clients.

Pour les défenseurs du texte initial, inspiré par l’exemple de la Suède qui pénalise les clients depuis 1999, il faut dissuader la demande et renverser les responsabilités, en considérant les prostituées comme des victimes et non plus comme des délinquantes. Le texte prévoyait, en contrepartie, de supprimer le délit de racolage, une promesse de campagne de François Hollande qui fait l’unanimité parmi les associations.

Depuis 2003 est sanctionné « le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ». La contrevenante est passible de deux mois de prison et de 3 750 euros d’amende. Pour les associations, ce délit de racolage a surtout précarisé et stigmatisé les prostituées, victimes parfois de « harcèlement » et d’arrestations « abusives ».

L’impunité des clients

Pourtant, déjà à l’Assemblée, les députés UMP, redoutant un appel d’air pour le trafic d’êtres humains, s’étaient opposés à toute abrogation. Manuel Valls a aussi exprimé ses réserves, défendant un outil d’« aide à la connaissance des réseaux ». « C’est un moyen d’avoir des éléments d’enquête » et « d’avoir connaissance des conditions des victimes », confirme un haut responsable de la police. Faux, rétorquent les opposants au délit de racolage. Il « n’a protégé aucune victime de la traite et n’a pas permis d’arrêter plus de proxénètes », affirme la sénatrice EELV Esther Benbassa. « Judiciairement, le délit n’a pas été efficace », sauf « à faire s’enfuir les prostituées d’une zone visible », ajoute Yves Charpenel, de la Fondation Scelles. Au final, « cela confirme qu’il n’y a pas de volonté de venir réellement en aide aux travailleuses du sexe », estime Morgane Merteuil, du Syndicat du travail sexuel. Pour le Mouvement du Nid, les sénateurs ne veulent tout simplement « pas toucher à l’impunité des clients “prostitueurs” ».

La proposition de loi prévoit aussi le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, une aide aux victimes et le développement d’alternatives à la prostitution.

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