En déplacement pour une conférence internationale à Bratislava le jour de la séance, c’est Jean Desessard, Président du groupe, qui a gentiment accepté de porter notre voix.
Texte n° 9
Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale
– Discussion générale –
Jeudi 13 octobre 2016
Jean Desessard
Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mes Chèr(e)s collègues,
Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de nos collègues députés Alain Tourret et Georges Fenech visant à réformer la prescription en matière pénale.
Pour être précis, nous réexaminons ce texte après son renvoi en commission des lois le 2 juin dernier.
A l’appui de la motion de renvoi, le rapporteur M. Buffet, arguait du fait que la prescription pénale méritait un important débat que le calendrier parlementaire imposé par le gouvernement ne permettait pas. Il estimait également nécessaire qu’une étude d’impact soit menée afin d’évaluer la charge supplémentaire qui pèserait sur les juridictions, par l’effet de la réduction du nombre d’affaires prescrites chaque année.
Cet aléa de la procédure parlementaire montre surtout que la prescription n’est pas une simple question de procédure mais porte en elle un important débat et nous interroge sur notre rôle de législateur.
Depuis plusieurs années, de nombreuses propositions ont été faites en la matière. Dès 2007, nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung,dans leur rapport d’information « pour un droit de la prescription moderne et cohérent », formulaient sept recommandations au nombre desquelles on retrouve l’allongement des délais de prescription de l’action publique à 5 ans en matière délictuelle et à 15 ans en matière criminelle.
Plus récemment, en mai 2015, les auteurs de la présente proposition de loi déposaient un rapport d’information sur la prescription en matière pénale et préconisaient également l’allongement des délais de prescription.
Concrètement, le droit a été modifié et, au fil des années, le délai de prescription de l’action publique de certaines infractions a été allongé :
- crimes contre l’humanité,
- terrorisme,
- trafic stupéfiants,
- infractions contre les mineurs,
- infractions sexuelles…
A ce titre, le professeur Jean Danet s’interrogeait en 2006, je cite: « La désintégration de toute unité du système de la prescription de l’action publique est-elle alors inéluctable puisque les exceptions aux règles générales deviennent, en étant assurées de recueillir l’approbation des victimes, le moyen de marquer fortement l’importance que le législateur attache à la poursuite et à la sanction de certains faits, même si elles surviennent très longtemps après leur commission. La prescription est-elle en train d’être pensée désormais davantage au travers des fonctions qu’elle peut remplir dans une politique criminelle qu’au travers de ce qui la fonde ? N’est-elle plus qu’un signe ? Ou conserve t- elle un sens ? »
Ces propos reflètent tout à fait la position que le groupe écologiste défend ici depuis longtemps. Si, en tant qu’hommes et femmes politiques, nous avons parfois la volonté légitime de vouloir rassurer les victimes, de leur dire que nous mettons tout en œuvre pour qu’elles puissent obtenir justice. Nous avons également, en tant que législateur, le devoir de maintenir un droit solide, cohérent et qui fait sens.
A ce titre, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a le grand mérite de poser le débat en termes généraux et de nous éloigner ainsi d’un droit d’exception que nous avons toujours refusé.
Il renforce la sécurité juridique en ce qu’il vient préciser clairement le point de départ du délai de prescription pour chaque infraction ou catégorie d’infraction.
Mais si la nécessité de mettre à plat le droit de la prescription ne fait, pour nous, aucun doute, la nécessité d’allonger les délais de prescription de droit commun en matière délictuelle et criminelle ne nous semble pas aller de soi.
Il est important de le rappeler : la prescription n’a pas pour seule fonction de protéger la « sécurité juridique »des auteurs d’infractions, elle est aussi, dans une certaine mesure, une forme de protection des victimes.
Le syndicat de la magistrature l’a rappelé, d’autres professionnels du droit également, le procès qui se termine par un acquittement ou une relaxe parce qu’il n’y a plus assez d’éléments pour condamner est d’une extrême violence pour la victime qui vit cela comme une négation de sa parole et un déni de justice.
De surcroît, pour reprendre les termes du syndicat : « Même en cas de déclaration de culpabilité, le procès qui intervient trop longtemps après les faits ne peut se terminer que par une ʺpeine symboliqueʺ. Il ne pourra donc apaiser les souffrances de la victime, car si la société démocratique admet et réclame l’individualisation des peines, la victime ne peut la supporter ».
Je conclurai, mes chèr(e)s collègues, en vous disant que le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte, parce que le grand débat que la droite sénatoriale appelait de ses vœux n’a pas eu lieu, le rapporteur n’ayant d’ailleurs entendu que deux syndicats et une personnalité qualifiée lors des auditions complémentaires.
Mais surtout parce que, finalement, cette proposition de loi ne nous semble rendre service ni aux victimes, ni au droit.
Je vous remercie.